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Full text of "Liégeois et Bourguignons en 1468"

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LIEGEOIS  ET  BOURGUIGNONS 

en     1408 
ÉTUDE  HISTORIQUE  DE  M.  LE  Dr  H.-FM.  ESTRUP 

Conseiller  d'É.at  à  Copenhague 

D'APRÈS    LES    RAPPORTS     DU     LÉGAT    ONUFRIUS 

TRADUCTION  OU  DANOIS  PUBLIÉE  AVEC  UNE  INTRODUCTION 

PAS 

Stanislas  BORMÂNS 

D'  en  philosophie  et  lettres.  Archiviste  de  l'État  à  Namur, 
Membre  de  l'Académie  royale  de  Relgique. 


LIEGE 

L.  GRANDMONT-DONDERS,   IMPRI.MKL'U-I.IHRAIIIK 

rue  Vinâve-d'Ue.  22 

1881 


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SOCIÉTÉ 


BIBLIOPHILES  LIEGEOIS 


PUBLICATION  N°  24 
Exemplaire  de  ]&**  î-xaMIime*-  Je'.  L  ftaw*  3t  aoi<iAiûv«- . /aW 

N°  5^2 

/*"   Le  Secrétaire 


LIÉGEOIS  ET  BOURGUIGNONS 


en     1408 
ETUDE  HISTORIQUE  DE  M.  LE  D'  H.-F'-J.  ESTRUP,  ' 

Conseiller  d'État  à  Copenhague 


D'APRÈS    LES    RAPPORTS     DU     LÉGAT     ONUFRIUS 
TRADUCTION  OU  DANOIS  PUBLIÉE  AVEC  UNE  INTRODUCTION 

PAR 

Stanislas  BORMANS 

D'  en  philosophie  et  lettres,  Archiviste  de  TÉtat  à  Namur, 
Membre  de  i'Acadé'mie  royale  de  Belgique. 


LIEGE 
L.   GKANDMONT-DONDERS,   IMPRIMEUR-LIBRAIRE 

rue  Vinâve-d'Ile,   22 

1881 


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INTRODUCTION 


Les  quatre  campagnes  de  Charles  le  Téméraire 
contre  les  Liégeois  en  1465,  1400,  1407  et  1408,  la 
prise  de  Dinant  (1460)  et  celle  de  Liège  (1408),  sui- 
vies l'une  et  l'autre  de  la  destruction  presque 
complète  de  ces  deux  villes  importantes,  sont,  sans 
contredit,  les  épisodes  les  plus  intéressants  et  les 
plus  douloureux  des  annales  de  notre  antique 
principauté,  et  comptent  aussi  parmi  les  faits  les 
plus  mémorables  de  notre  histoire  nationale. 

On  ne  doit  donc  pas  s'étonner  si  les  graves  évé- 
nements dont  notre  pays  fut  alors  le  théâtre,  aient 
fait  immédiatement  l'objet  de  plusieurs  relations, 
et  soient  devenus,  dans  la  suite,  le  sujet  d'un  grand 
nombre  d'études  historiques. 

Je  n'entre  pas,  à  mon  tour,  dans  la  lice  pour 
tâcher  de  faire  mieux  que  mes  devanciers;  bornant 
mon  ambition  à  un  rôle  plus  modeste,  je  veux,  à 
propos  de  la  publication  d'un  travail  étranger  qui 
répand  sur  cette  période  une  nouvelle  et  abondante 
lumière,  passer  rapidement  en  revue  les  relations, 


les  chroniques,  les  mémoires  et  autres  sources  de 
l'histoire  de  ces  temps  troublés. 

Parmi  les  récits  dus  à  des  contemporains,  ceux, 
naturellement,  auxquels  on  doit  ajouter  le  plus  de 
foi,  sont  sortis  de  la  plume  des  hommes  qui,  soit 
qu'ils  y  aient  pris  une  part  active,  soit  qu'ils  en 
aient  été  simples  spectateurs, virent  par  eux-mêmes 
les  faits  qu'ils  racontent.  Quant  à  ceux  qui  ont 
écrit  d'après  les  renseignements  dus  à  des  témoins 
oculaires,  ils  ne  peuvent  prétendre  au  même  degré 
d'exactitude,  ni,  par  conséquent,  au  même  degré 
de  confiance.  Cependant  leurs  relations  sont  en- 
core, et  à  juste  titre,  considérées  comme  des 
documents  importants,  car  nous  devons  supposer 
vrais  les  souvenirs  du  narrateur  et  fidèle  la  trans- 
cription de  l'écrivain. 

Dans  l'énumération  des  historiens  et  des  chroni- 
queurs qui  va  suivre,  j'observerai  cette  distinction 
essentielle  et  je  classerai,  si  je  puis  m'exprimer 
ainsi,  leurs  oeuvres  dans  l'ordre  de  l'authenticité 
qu'on  doit  leur  attribuer,  abstraction  faite  du  mé- 
rite qu'ils  peuvent  présenter  par  l'abondance  de 
leurs  renseignements  ou  par  leur  forme  littéraire, 
sans  m'inquiéter  non  plus  de  leur  état  social,  et 
même  sans  avoir  égard  à  leur  origine  française, 
bourguignonne  ou  liégeoise. 

C'est  en  comparant  ces  divers  auteurs  —  tout  en 
mettant  de  côté  le  point  de  vue  où  chacun  d'eux 
se  place,  ses  tendances,  ses  préoccupations  person- 
nelles, ses  sympathies,  ses  haines,  —  et  en  les 
contrôlant  ensuite  avec  les  chartes  et  autres  actes 


VII 

publics  de  l'époque,  que  l'on  parviendra,  non  seu- 
lement à  connaître  les  hommes,  les  mœurs  et  les 
faits  dans  leur  plus  rigoureuse  vérité,  mais  encore 
à  saisir  l'enchaînement  des  événements,  leurs 
causes  et  leurs  résultats.  Le  tableau  qui  sortira  de 
cet  examen  a  toute  chance  d'être  aussi  complet  que 
possible  ,  d'abord  par  le  grand  nombre  de  peintres 
qui  en  ont  préparé  les  couleurs  et  par  leurs  na- 
tionalités différentes,  ensuite  par  la  diversité  de 
leurs  fonctions ,  de  leur  caractère  et  de  leur 
condition  sociale  :  car,  comme  le  dit  M.  Henrard, 
à  cette  époque  «  tous  ceux  qui  savent  tenir  une 
plume  veulent  raconter  ce  qu'ils  ont  vu,  ce  qu'ils 
ont  ouï  dire  :  hommes  d'Etat  et  hommes  d'Eglise, 
hommes  d'armes  et  bourgeois ,  évèque,  moine, 
clerc,  capitaine  et  soldat,  tous  écrivent,  tous  nous 
laissent  des  Mémoires  (1).  » 

Philippe  de  Gommines  (mort  en  1509)  n'avait 
que  10  ans  lorsqu'il  fut  attaché,  en  1464,  à  la  cour 
de  Charles  le  Téméraire.  Il  suivit  son  maître  dans 
toutes  ses  expéditions  contre  les  Liégeois.  Acheté 
par  Louis  XI,  il  passa,  en  1472,  au  service  de  ce 
prince.  Entre  les  années  1488  et  1493  il  écrivit  ses 
Mémoires  qui  embrassent  une  partie  des  règnes 
de  Louis  XI  et  de  Charles  VIII  (2).  Comme  il  ne 
rapporte  rien   qu'il  n'ait  vu  s'accomplir  sous  ses 

(1)  Appréciation  du  règne  de  Charles  le  Téméraire  et  des 
projets  conçus  par  ce  prince  dans  V intérêt  de  la  maison  de 
Bourgogne.  Mémoire  couronné  par  l'Académie,  1873. 

(2)  Michaui)  et  Poujoulat,  Nouvelle  collection  de  Mémoires 
pour  servir  à  l'histoire  de  France,  lrc  série,  tome  IV  (1837).  Les 


VIII 

yeux,  son  récit,  dans  lequel  il  n'omet  aucun  détail, 
mérite  toute  confiance.  De  plus,  ayant  vécu  dans 
l'intimité  des  princes,  et  chargé  souvent  de  mis- 
sions importantes  il  connaît  le  fond  des  choses  et 
n'ignore  aucun  des  rouages  secrets  de  la  politique  ; 
enfin,  doué  d'une  grande  science  d'observation, 
d'un  esprit  vif  et  pénétrant,  profondément  versé 
dans  la  connaissance  des  hommes,  instruit,  prudent, 
réfléchi,  son  récit  est  plein  d'enseignement  (i). 
C'est  un  véritable  historien. 

Jean  de  Haynin  (mort  en  1495).  Jean  dit  Bron- 
gnart,  sire  de  Haynin  et  de  Louvignies,  dans  le 
Hainaut,  était  vassal  des  ducs  de  Bourgogne,  et,  en 
cette  qualité,  accompagna  également  Charles  le 
Téméraire  dans  toutes  ses  campagnes,  de  1465  à 
1477.  Ainsi  que  le  firent  plusieurs  hommes  de 
guerre  de  son  temps,  il  inscrivait  dans  un  journal, 
sans  aucune  préoccupation  littéraire,  jour  par  jour 
et  presque  heure  par  heure,  les  étapes,  les  sièges, 
les  batailles,  les  simples  escarmouches  ;  il  indique 
la  force  des  armées,  désigne  avec  soin  les  capitaines, 
fait  connaître  les  pertes  subies  par  les  belligérants, 
donne  les  noms  des  morts  tombés  dans  la  mêlée. 
Mais  ces  détails  minutieux  ne  sont  pas  racontés 

expéditions  de  Charles  contre  les  Liégeois  occupent  presque  tout 
le  livre  II  (chapitres  I  à  XIV,  pages  28  à  50).  M.  Chantelouze 
vient  de  publier,  cette  année  même,  une  nouvelle  édition  des 
Mémoires  de  Commines,  que  je  n'ai  pas  encore  vue. 

(î)  Il  faut  naturellement  se  méfier  de  son  chauvinisme  bour- 
guignon, comme  le  remarque  M.  Dewez  dans  son  Hist.  de  Liège, 
t.  II,  p.  66,  note  2. 


IX 

sèchement,  au  contraire  ;  on  trouve  dans  son 
récit  des  descriptions  vives  et  animées,  des  anec- 
dotes, des  dialogues,  voire  même  des  discours.  En 
outre,  il  est  au  courant  de  ce  qui  passe  dans  les 
hautes  régions  et  ne  se  bat  pas  sans  savoir  pourquoi. 
On  conçoit  combien  l'œuvre  d'un  pareil  témoin 
doit  présenter  de  garanties,  notamment  au  point 
de  vue  des  dates. 

La  Société  des  bibliophiles  de  iVIons  a  publié  les 
Mémoires  de  messire  Jean  de  Haynin  (i),  mais  dans 
un  texte  abrégé,  tronqué  et,  par  suite,  rempli 
d'erreurs.  Une  copie  du  véritable  texte  de  Jean  de 
Haynin  se  trouve  à  la  bibliothèque  royale  de  La 
Haye  parmi  les  manuscrits  Gérard  (2).  Malheureu- 
sement la  quatrième  expédition  de  Charles  contre 
les  Liégeois,  en  1468,  manque  (3). 

Olivier  de  la  Marche  (mort  en  1502),  devint  à 
douze  ans  page  de  Philippe  le  Bon,  et  resta  toute  sa 
vie  entièrement  dévoué  à  la  maison  de  Bourgogne  ; 

(1)  Mons,  1842,  2  vol.  in-8°,  n°  XI  des  publications  de  cette 
Société. 

(2)  M.  de  Reiffenberg  cite  le  ms.  Gérard  dans  son  édition  de 
VHist.  des  ducs  de  Bourgogne,  t.  VI,  où  il  donne  (pp.  412-455)  des 
extraits  du  texte  abrégé  des  Mémoires  du  sire  de  Haynin  relatifs 
à  la  campagne  de  1465.  Cl',  le  Bulletin  de  la  Société  de  Vhistoire 
de  France,  t.  II,  p.  132,  et  le  Compte-rendu  des  séances  de  la 
comm.  d'hist.  de  Belgique,  lre  série,  t.  I,  pp.  73  et  120. 

(3)  Voyez  le  Compte-rendu  de  la  Commission  royale  d'histoire, 
3e  série,  tome  IX,  papes  444  à  447,  où  j'ai  parlé  de  la  copie  de 
Gérard  et  émis  l'opinion  que  le  quatrième  voyage  pourrait  bien 
se  trouver  dans  le  manuscrit  n°  212  de  la  bibliothèque  de  sir 
Thomas  Phillips  (Cf.  ibidem,  p.  240). 


Charles  le  Téméraire  le  créa  chevalier  après  la 
bataille  de  Monthiéry.  Lors  des  expéditions  de 
Liège,  il  faisait  partie  de  l'entourage  de  ce  prince 
en  qualité  de  capitaine  de  ses  gardes.  Il  avait  alors 
environ  40  ans.  Six  ans  plus  tard,  il  écrivit  des 
Mémoires  pour  les  années  1435  à  1489  (i),  dans 
lesquels  il  ne  raconte  aussi  que  ce  qu'il  a  vu.  Simple 
et  modeste,  il  n'a  pas  la  prétention  d'être  un  his- 
torien, et  quoiqu'il  ait  été  plusieurs  fois  chargé  de 
missions  à  l'étranger,  son  horizon  politique  n'est 
pas  étendu.  C'est  plutôt  un  peintre.  La  cour  l'oc- 
cupe plus  que  l'armée  ,  et  il  s'arrête  bien  plus 
volontiers  à  parler  de  fêtes  et  à  narrer  des  anec- 
dotes qu'à  décrire  des  batailles.  Son  style  est  fort 
négligé.  Il  ne  consacre  aux  affaires  de  Liège  que 
deux  chapitres  ;  mais  le  caractère  honnête  et  sin- 
cère de  l'auteur  fait  qu'ils  peuvent  être  rangés  au 
nombre  des  sources  les  plus  précieuses  de  l'époque. 
On  peut  seulement  lui  reprocher  d'estropier  les 
noms  propres  au  point  de  les  rendre  quelquefois 
méconnaissables  (2). 

Onufrius  ,   évêque  de  Tricaria  (mort  en   1471). 
Envoyé  en  1468  à  Liège  comme  légat  du  Saint-Siège, 

(i)  Michaud  et  Poujoulat,  op.  cit.,  lre  série,  tome  III  (1837).  Ce 
qui  concerne  Liège  comprend  en  partie  les  chapitres  1  et  2  du 
livre  II,  pages  513 à  518. 

(2)  Cf.  Paquot,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  littéraire  des 
dix-sept  provinces  des  Pays-Bas,  etc.,  t.  XV,  p.  305.  Jean  de  la 
Bouverie,  dit  le  Ruyte,  chevalier,  bourgmestre  de  Liège  en  1455 
(voy.  le  Recueil  héraldique  des  bourgmestres  de  Liège,  p.  159,  et 
cfr.  ibid.,  p.  175),  était,  suivant  Jean  de  Haynin,  cousin  germain 
d'Olivier  de  la  Marche. 


XI 

ce  prélat  fut  non  seulement  présent  à  tous  les  évé- 
nements qui  précédèrent  immédiatement  la  prise 
de  la  Cité,  mais  se  trouva  très  activement  mêlé  aux 
nombreuses  négociations  qui  eurent  lieu  entre  les 
Liégeois  et  les  Bourguignons  en  vue  de  conclure  la 
paix.  Etant  à  Liège,  il  adressa  au  pape  un  rapport 
très  détaillé  sur  sa  mission.  Sa  position  officielle, 
sa  qualité  de  négociateur  désintéressé,  sa  science, 
son  caractère,  contribuent  à  faire  de  son  récit  un 
document  du  plus  haut  intérêt.  La  présente  pu- 
blication ayant  pour  but  de  le  faire  connaître,  j'en 
parlerai  plus  loin  avec  de  plus  amples  détails. 

Un  anonyme,  qui  vivait  à  Liège  sous  Louis  de 
Bourbon, a  écrit  l'histoire  de  la  Cité  de  1449  à  1408. 
Il  atteste  plusieurs  fois  qu'il  a  vu  les  faits  qu'il  rap- 
porte. Cette  importante  chronique  n'est  pas  pu- 
bliée (i).  Selon  Fisen,  l'historien  Brusthem  l'a 
copiée  presque  mot  pour  mot  dans  ses  Annales,  qui 
sont  également  inédites. 

Lettres  de  maître  Antoine  de  Loisey,  bourgui- 
gnon, licencié  ès-lois,  au  président  de  Bourgogne, 

(i)  Le  manuscrit  se  trouve  chez  M.  X.  de  Theux,  à  Bruxelles, 
qui  en  a  parlé  dans  ses  Nouveaux  mélanges  de  Villenfagne, 
pp.  149-150.  J'ai  signalé  quelques  autres  manuscrits  relatifs  à 
Louis  de  Bourbon  et  à  son  époque,  dans  les  Bull,  de  la  Conim. 
d'histoire,  3e  série,  t.  IX,  p.  4(32  ;  mais  je  n'en  connais  pas  les  au- 
teurs, et  le  temps  m'a  manqué  pour  me  rendre  compte  de  leur 
valeur.  Une  curieuse  chronique  de  Georges  Munterus,  curé  de 
Curange,  qui  embrassait  la  même  époque,  est  presqu'entièrement 
perdue.  Il  ne  reste  plus,  à  l'abbaye  d'Averbode,  en  Brabant,  que 
le  second  des  trois  volumes  qu'elle  comprenait  (Voy.  ibid.,  Ve 
série,  I,  U  ;  VIII,  425). 


XII 

et  de  Jean  de  Marsilles,  échanson  du  duc  de  Bour- 
gogne, à  sa  sœur,  à  Dijon,  toutes  deux  datées  de 
Liège,  l'une  du  3  novembre,  l'autre  du  8  novembre 
1468.  La  première  ne  relate  que  le  sac  de  la  ville, 
l'autre  débute  par  la  prise  de  Tongres  (î).  Six  autres 
lettres,  en  flamand,  écrites  de  Liège  entre  le  28  oc- 
tobre et  le  24  novembre  1467,  par  Louis  van  den 
Piyne,  Jean  van  Halewyn  et  Jean  de  Guupere  à  des 
parents  ou  à  des  amis,  à  Ypres.  Tous  ces  person- 
nages servaient  dans  l'armée  de  Charles  de  Bour- 
gogne (2).  Emanant  d'hommes  qui  prenaient  part 
aux  événements  et  qui,  payant  de  leur  personne, 
se  trouvaient  au  premier  rang  pour  bien  voir,  ces 
documents  présentent  toutes  les  garanties  de 
certitude  et  de  précision  attachées  aux  correspon- 
dances privées. 

Adrien  du  Vieux-Bois  (mort  vers  1484),  ainsi 
nommé  d'après  son  lieu  de  naissance,  Oudenbosch, 
dans  le  Brabant  septentrional,  ou  à  Oudenbosch 
en  Flandre,  près  de  Lokeren,  était  moine  dans 
l'abbaye  de  Saint-Laurent,  près  de  Liège.  A  partir 
de  l'année  1449,  il  prit  l'habitude  de  consigner,  jour 
par  jour,  ce  qui  se  passait  dans  la  principauté  et 
particulièrement  à  Liège.  Plus  tard  (vers  l'an  1469?), 
il  donna  aux  notes  de  ce  Diarium  la  forme  d'une 
chronique,  tout  en  respectant  scrupuleusement 
l'ordre  des  dates.  Martène  et  Durand  ont  publié 

(1)  Imprimées  en  partie  par  M.  Gachard  dans  le  Compte-rendu 
des  séances  de  la  Comm.  d'hist.,  lre  série,  t.  III,  pp.  20  à  34. 

(2)  Imprimées  par  M.  J.  Diegerick  dans  le  Bulletin  de  la 
Société  scientifique  et  littéraire  du  Limbourg,  t.  V,  pp.  357  à  371. 


XIII 

cette  œuvre  sous  ce  titre  :  Rerum  leodiensium  sub 
Joanne  Heinsbergio  et  Ludovico  Borbonio  episcopis, 
opus  Adriani  de  Veteri-Busco  (i),  1429  à  1483.  La 
première  partie  de  cette  chronique,  jusqu'à  l'année 
1449,  est  empruntée  à  Jean  de  Stavelot  ;  mais  à 
partir  de  là,  Adrien  marche  seul.  Il  rapporte  un 
grand  nombre  de  faits  qui  se  sont  accomplis  sous 
ses  yeux.  Appelé  souvent,  par  la  nature  de  ses 
fonctions,  à  figurer  dans  les  solennités  religieuses, 
il  les  décrit  dans  leurs  moindres  détails,  en  ayant 
soin  de  dire  qu'il  y  assistait.  Ce  qu'il  n'a  pas  vu  lui- 
même,  il  le  tient  de  personnes  bien  informées  avec 
lesquelles  sa  position  le  mettait  en  relation.  Il 
nous  prévient  à  plusieurs  reprises  qu'il  doit  les 
renseignements  relatifs  à  la  dernière  guerre  de 
Charles  contre  les  Liégeois  au  fameux  Gui  de 
Brimeux,  qui  y  joua  un  si  grand  rôle  (2). 

Avant  tout,  il  se  préoccupe  d'être  complet  et 
exact,  sans  songer  à  faire  une  œuvre  littéraire. 
Comme  il  annote  les  moindres  faits,  son  récit  est 
rempli  de  menus  mais  curieux  détails.  C'est  une 
des  sources  les  plus  sûres  que  nous  ayons  pour  la 
seconde  moitié  du  quinzième  siècle. 

(1)  Amplissima  collectio,  tome  IV,  col.  1201  à  1378.  Martène  et 
Durand  ont  donné  en  note  quelques  fragments  du  Diarium  qui 
leur  ont  paru  présenter  de  l'intérêt  pour  l'histoire.  Ce  qui  con- 
cerne les  guerres  de  Charles  de  Bourgogne  occupe  les  colonnes 
1264  à  1346. 

(2)Voy.  Amplissima  collectio,  col.  1335,  1338.  M.  X.  de  Theux 
possède  une  traduction  de  la  chronique  d'Adrien  avec  des  notes 
de  M.  Devaux,  doyen  de  St-Pierre,  à  Liège,  à  la  fin  du  dernier 
siècle. 


XIV 

Thomas  Basin  (mort  en  1491),  a  été,  jusqu'en 
1854,  confondu,  par  tous  les  historiens,  liégeois  et 
autres,  avec  le  prêtre  liégeois  Amelgard.  Il  fit  ses 
études  à  Paris  et  ù  Louvain.  Homme  très  savant  et 
très  habile,  Basin,  après  avoir  été  professeur  de 
droit  canon  à  Caen,  devint  membre  du  Conseil 
privé  de  Charles  VII,  auquel  il  rendit  de  grands  ser- 
vices par  ses  légations.  Devenu  évoque  de  Lisieux, 
en  Normandie,  il  révisa  le  procès  de  Jeanne  d'Arc  et 
joua  un  grand  rôle  dans  des  affaires  très  impor- 
tantes. C'est  lui  qui  sacra  évoque  Louis  de  Bourbon, 
à  Huy,  le  1:3  juillet  146G.  Ayant  encouru  la  haine  de 
Louis  XI,  il  fut  obligé  de  s'exiler  et  mourut,  à  l'âge 
de  79  ans,  chez  son  ami  David,  bâtard  de  Bour- 
gogne, évêque  d'Utrecht.  C'est  là  qu'il  écrivit  en 
latin  l'Histoire  des  règnes  de  Charles  VII  et  de 
Louis  XI,  de  1407  à  1483  (î),  dans  laquelle  on 
trouve  une  relation  assez  étendue  des  guerres  des 
Liégeois  avec  les  ducs  de  Bourgogne  (2).  L'auteur 
déclare  avoir  vu  une  grande  partie  des  choses  qu'il 
raconte,  et  ce  qu'il  n'a  pas  vu,  dit-il, il  l'a  tiré  d'au- 
teurs dont  on  ne  saurait  mettre  la  véracité  en 
doute.  C'est  surtout  à  partir  de  l'année  1419  que 
son  récit  prend  l'intérêt  d'un  témoignage  direct, 

(1)  Publiée  pour  la  première  fois  en  entier  par  J.  Quicherat, 
Paris,  1854,  4  vol.  in-S°. 

(2)  Cette  relation  occupe,  dans  le  livre  II,  les  chapitres  vin, 
ix,  xvi  à  xvni  et  xxii  à  xxv  (Quicherat,  t.  I,  pp.  129  et  suiv., 
105  et  suiv.,  191  et  suiv.).  Martène  et  Durand  l'ont  publiée,  sous 
lo  nom  d'Amelgard,  dans  leur  Amjrtiss.  coll.,  t.  IV,  col.  741  et 
suiv.,  en  y  comprenant  la  mort  de  Louis  de  Bourbon,  en  1483,  et 
les  événements  dont  Maestricht  Ait  alors  le  théâtre. 


XV 

oculaire  et  animé.  «  Cependant.,  dit  M.  Quicherat, 
ce  n'est  pas  un  témoin  auquel  on  doive  s'abandon- 
ner. Ses  écrits  historiques  le  placent  derrière 
Philippe  de  Gommines  et  derrière  Georges  Chaste- 
lain,  au-dessus  de  ces  chroniqueurs  par  le  senti- 
ment, au-dessous  d'eux  pour  la  sûreté  de  l'infor- 
mation. » 

Jacques  Piccolomini  (1)  (mort  en  1479),  cardi- 
nal de  Pavie, homme  très  savant, écrivit  en  plusieurs 
livres,  des  Rerum  suo  tempore  geslarum  commen- 
tarii,  contenant  le  récit  des  événements  qui  se 
passèrent  en  Europe  pendant  les  années  1464  à 
1469  (2).  La  relation  de  la  prise  de  Liège  figure  dans 
le  livre  IV  ;  elle  a  été  reproduite  par  Chapeau- 
ville  en  1616  (3),  par  Struvius  en  1717  (4),  et  par  de 
Ram  en  1844  (5).  Elle  est  très  courte,  mais  présente 

(1)  Son  véritable  nom  était  Ammanati.  Ce  fut  le  pape  Pie  II, 
son  protecteur,  qui,  par  une  espèce  d'adoption,  lui  fit  prendre  son 
propre  nom  de  famille. Voy.  Namèche,  Cours  cThist.  nation.,  VII, 
564. 

(2)  Imprimés  à  Milan  en  1506,  puis  à  Francfort,  en  1614,  avec 
les  Commentaires  d'yEneas  Sylvius. 

(3)  Gesta  pontificum  leodiensium,  tome  III,  pages  175  à  185, 
sous  ce  titre  :  De  Caroli  Burgundi  expeditione  contra  Leodienses 
etcivitatis  deprœdatione,  etc. 

(4)  Rerum  Germanicarum  scriptores  varii  de  bibliotheca 
Freheri,  Argentorati,  tome  II,  pages  271  et  suiv.,  sous  ce  titre  : 
De  Leodiensium  dissidio  cum  episcopo  suo  Ludovico  Borbonio  et 
de  Leodii  civitatis  excidio. 

(5)  Documents  relatifs  aux  troubles  du  pays  de  Liège  sous  les 
princes-évêques  Jean  de  Rome  et  Louis  de  Bourbon,  Bruxelles, 
1844,  in-4°,  pages  371  à  382,  sous  ce  titre  :  De  expugnatione  leo- 
diensi. 


XVI 

un  intérêt  particulier  en  ce  qu'elle  met,  avec  auto- 
rité, le  public  au  courant  des  relations  du  Saint- 
Siège  avec  tous  les  partis. Quant  auxfaits  eux-mêmes, 
on  s'aperçoit  aisément  que  l'auteur  en  a  puisé  une 
bonne  partie  clans  les  Rapports  du  légat  Onufrius  (1). 

Angélus  de  Gurribus  Sabinis  (mort  entre  1471 
et  1500),  était  un  poète  renommé  de  Viterbe.  Onu- 
frius s'étant  décidé  à  présenter  au  pape  Paul  II  un 
mémoire  justificatif  de  sa  conduite,  lui  demanda 
de  faire  son  apologie  (2).  Ange  y  consentit  et  écrivit, 
sous  l'inspiration  du  légat,  un  véritable  poème 
épique  en  six  livres,  comprenant  près  de  six  mille 
vers  alexandrins,  que  Martène  et  Durand  publièrent 
sous  le  titre  de  Angeli  de  Curribus  Sabinis,  poetœ 
laureati,  de  excidio  civitalis  Leodiensis  libri  sex  (3). 
Nous   raconterons  plus  loin   les   péripéties  qu'a 

(1)  Voyez  Bouille,  Hist.  de  Liège,  t.  II,  p.  163.  Piccolomini 
considère  ces  événements  comme  une  leçon  pour  le  St-Siége.  Il 
en  donne  le  récit  «  quo  nostris  pontificibus  esse  documento 
possit  quantum  sseculi  principibus  oporteat  credi  quantumque 
adhiberi  curse  conveniat  ne  iis  pastores  plebibus  dentur  quorum 
vel  setate  vel  ambitione  offeratur.  » 

(2)  «  Accivit  ex  omni  Italia  doctissimum  poetam  Angelum 
Viterbiensem,  qui  heroïco  carminé  rem  omnem  ab  egressu 
urbis  luculenter  perscriberet.  »  (Herbenus,  dans  de  Ram, 
op.  cit.,  p.  361). 

(3)  Amplissima  collectio,  tome  IV,  col.  1380  à  1500,  d'après  un 
manuscrit  du  baron  de  Crassier.  M.  de  Villenfagne,  dans  ses 
Mélanges  historiques  et  littéraires,  Liège,  1810,  pp.  338  à  379,  en 
a  donné  une  mauvaise  analyse  que  M.  de  Ram  a  reproduite  clans 
ses  Documents,  etc.,  pp.  235  à  260.  Ce  dernier  eut  fait  cbose  plus 
utile  en  publiant  une  traduction  complète  de  ce  poëme  qui,  en 
bien  des  endroits,  est  d'une  intelligence  difficile. 


XVII 

subies  ce  poème.  Au  même  titre  que  les  Rapports 
du  légat,  avec  lesquels,  du  reste,  il  se  rencontre  et 
se  confond,  pour  ainsi  dire,  en  bien  des  endroits, 
ce  poëme  est  pour  nous  du  plus  haut  intérêt.  11 
l'est  même  pour  les  faits  étrangers  à  l'histoire  de 
Liège,  notamment  pour  ceux  du  règne  de  Charles 
le  Téméraire.  Malheureusement,  l'intervention  du 
merveilleux, qu'il  emprunte  au  paganisme,  les  longs 
discours  et  les  longues  descriptions  poétiques  en 
rendent  la  lecture  fatigante  (i). 

Matthias  Herbenus  (mort  vers  1505  ?),  éco- 
làtre  de  Saint-Servais,  à  Maestricht,  fut  attaché  à 
la  personne  d'Onufrius  après  le  retour  du  légat  à 
Rome,  et  devint  le  collaborateur  du  poëte  de  Vi- 
terbe  (2). C'était  un  homme  très  instruit  (3).  Comme 
nous  le  verrons  plus  loin,  c'est  grâce  à  lui  que 
l'œuvre  d'Ange  est  arrivée  jusqu'à  nous.  Il  com- 
posa en  vers  un  argument  pour  chacun  des  six 
livres  du  poëme,  et  en  fit  faire  plusieurs  copies 
qu'il  adressa  à  différents  personnages,  entre  autres 
à  Henri  de  Rerghes, évoque  de  Cambrai  (1480-1502). 

(i)  Le  manuscrit  n°  1675  de  la  bibliothèque  du  Vatican  contient, 
au  folio  173,  les  Leodinœ  historiœ  d'Ange  de  Viterbe  (Voyez  les 
Bulletins  de  la  Commission  royale  d'histoire,  2e  série,  tome  X, 
p.  30). 

(2)  «Usus  est  autem  vicissim  mea  opéra  in  hoc  labore  legatus  » 
(Herbenus  dans  de  Ram,  Documents,  etc.,  p.  361.  Cf.  ibidem,  in- 
troduction, p.  XVI. 

(3)  Il  composa,  en  vers  latins,  une  histoire  des  miracles  de  St 
Servais,  et  un  traité  De  origine  rebusque  gestis  Trajectensinm 
ad  Mosam,  qui  sont  restés  inédits.  Cf.  Foppens,  Bibliotheca  bel- 
gica,  p.  867. 


XVI II 

En  tète  ligure  une  épitre  dédicatoire  dans  laquelle  il 
raconte  brièvement  le  sac  de  Liège;  elle  est  surtout 
précieuse  à  cause  des  renseignements  qu'il  nous 
donne  sur  la  personne  du  légat.  M.  de  Ram  l'a  pu- 
bliée sous  ce  titre  :  Epistola  dedicatoria  quœ  poe- 
mati  de  vasiationc  leodiensi  in  codice  cameracensi 
prœflgitur  (1). 

Jean  Peecks  (mort  en  1516),  est  connu  sous  le 
nom  de  Jean  de  Looz  parce  qu'il  était  né  dans  cette 
petite  ville.  Il  avait  onze  ans  lorsque  survinrent  les 
événements  de  1408.  Il  passa  huit  mois  à  Liège,  en 
1466,  et  y  revint  un  instant  l'année  suivante.  En 
1477,  il  se  fit  moine  à  l'abbaye  de  Saint-Laurent, 
dont  il  fut  nommé  abbé  en  1508.  Etant  simple 
moine,  il  avait  fait  l'histoire  de  son  monastère. 
Mais  plus  tard,  il  remania  son  travail  qui  devint 
une  histoire  très  étendue  et  très  détaillée  des  évé- 
nements dont  le  Brabant  et  le  pays  de  Liège  en 
particulier  avaient  été  le  théâtre  pendant  sa  vie. 
M.  de  Ram  a  publié  son  œuvre  sous  ce  titre  : 
Joannis  de  Los,  abbatis  Sancti  Laurentii  prope  Leo- 
dium,  chronicon  rerum  gestarum  ab  anno  1455  ad 
annum  1514  (2).  Peecks  ne  nous  dit  pas  où  il  puisait 

(1)  Documents,  etc.,  pages  356  à  362.  Une  autre  copie  était 
dédiée  à  Lambert  d'Oupée,trélbncier  de  St- Lambert  (1503  à  1515), 
chanoine  de  St-Servais  à  Maestricbt,  chancelier  de  l'évêque  de 
Liège,  secrétaire  du  cardinal  Julien  de  Caesarinis  et  commensal 
d'Alexandre  VI  (Cf.  de  Theux,  le  Chapitre  de  St-Lambert  à 
Liège,  t.  III,  p.  5).  Voyez  le  Bulletin  du  bibliophile  belge,  t.  I. 
p.  265. 

(2)  Documents,  etc.,  p.  3  à  132.  Ce  qui  concerne  les  expéditions 
de  Charles  de  Bourgogne  contre  les  Liégeois  occupe  les  pages 


XIX 

ses  renseignements,  mais  ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'ils  proviennent  de  bonne  source.  Sa  haute  po- 
sition le  mettait  à  même  d'être  bien  informé.  On 
voit  qu'il  ne  négligea  rien  pour  cela,  car  sa  grande 
préoccupation  est  d'être  exact  pour  les  dates  et  les 
noms  propres,  et  complet  dans  les  plus  minimes 
détails.  Son  exposition  est  claire  et  méthodique,  sa 
chronologie  sûre,  ses  renseignements  sont  certains. 
Sa  chronique  est,  après  celle  d'Adrien  du  Vieux- 
Bois,  la  meilleure  et  la  plus  riche  que  nous  possé- 
dions pour  cette  époque. 

Henri  Van  der  Heyden  ou  de  Merica  (mort  en 
1479).  était  prieur  du  couvent  de  Bethléem,  près  de 
Louvain  ;  il  avait  48  ans  en  1468.  Immédiatement 
après  le  sac  de  Liège,  plusieurs  membres  du  clergé 
liégeois  vinrent  se  réfugier  dans  son  monastère. 
«  Louvain,  dit  M.  de  Ram  (i),  devint,  en  quelque 
sorte,  le  refuge  de  tous  ceux  qui  restèrent  fidèles  à 
la  cause  de  Louis  de  Bourbon.  »  On  lui  demanda 
de  recueillir  tout  ce  qu'il  entendait  raconter  sur  ce 
fait  et  d'en  composer  une  relation  ;  c'est  ainsi  qu'il 
écrivit  sa  Comjiendiosa  hisioria  de  cladibus  Leo- 
diensium,  qui  a  été  publiée  par  M.  de  Ram  (2). 
Comme  il  tenait  ses  renseignements  de  témoins 
oculaires,  son   œuvre  est  originale,  véridique,  et 

22  à  63.  Cf.  ibidem,  introduction,  p.  ni.  Jean  Peecks  s'occupait 
aussi  de  peinture.  Voy.  Helbig,  Histoire  de  la  peinture  aie  pays 
de  Liège,  p.  77.  Cf.  de  Theux,  Nouveaux  mélanges  de  Vi/len- 
fagne,  p.  146. 

(1)  Documents,  etc.,  introduction,  p.  xi. 

(2)  Documents,  etc.,  p.  135  à  183. 


XX 

contient  çà  et  là  quelques  faits  qui  ont  échappé  aux 
autres  chroniqueurs.  Malheureusement,  Van  der 
Heyden  a  plutôt  voulu  faire  œuvre  de  style 
qu'oeuvre  d'histoire  ;  il  néglige  les  dates,  sacrifie 
la  pensée  à  la  phrase  et  s'adonne  à  la  déclamation. 
C'est  une  amplification  de  rhétorique. 

Theodoricus  Pauli  ou  Franconis  (mort  vers 
1490  ?),  vice-doyen  du  chapitre  de  Saint-Martin  à 
Gorcum,  avait  52  ans  lors  du  sac  de  Liège  en  1468. 
Il  avait  la  manie  d'écrire  (i).  Ayant  eu  l'occasion  de 
voir  un  garde  du  corps  de  Charles  le  Téméraire, 
nommé  Jacques  Deyn,  qui  avait  accompagné  ce 
prince  dans  toutes  ses  expéditions  contre  les  Lié- 
geois,il  se  les  fit  raconter  (2)  et  en  composa  un  récit 
que  M.  de  llam  a  publié  sous  ce  titre  :  Historia  de  cla- 
dibus  Leodiensium,  1465-1408  (3).  S'il  s'était  borné  à 
nous  soumettre  ce  que  lui  racontait  Jacques  Deyn, 
il  eut  fait  un  travail  utile.  Mais  nous  ne  pouvons 
admettre  que  l'homme  d'armes  ait  retenu  avec  une 
telle  précision  les  noms,  les  faits  et  les  dates,  et  il 
n'est  pas  douteux  que  Pauli,  donnant  carrière  à  son 
imagination,  n'ait  ajouté  à  son  récit  une  foule  de 
particularités  de  son  cru.  Il  nous  présente  les  faits 

(1)  Il  a  écrit  une  Histoire  universelle.  Voy.  de  Ram,  Documents, 
etc.,  introduction,  p.  xv. 

(2)  «  Hue  usque  certificatum  est  ab  honesto  viro  Jacobo  Deyn... 
qui  omnia  praedicta  fere  vidit  et  semper  in  omnibus  prsesens  fuit; 
et  is  Tbeodorico  Pauli  alias  Franconis,  canonico  in  Gorchein, 
petitione  aliquorum  honestorum,  sub  omni  fide  enarravit.  «  {Ibich, 
p.  231). 

(3)  Documents,  etc.,  p.  185 à  232. 


XXI 

tels  qu'il  lui  semble  qu'ils  ont  dû  se  passer.  Par  ses 
phrases  inutiles,  ses  répétitions, ses  détails  oiseux, 
on  voit  qu'il  se  préoccupait  beaucoup  plus  de  sa 
réputation  littéraire  que  de  sa  responsabilité  d'his- 
torien. Son  Historia  ne  nous  inspire  aucune  con- 
fiance. 

Georges  Chastelain  (mort  en  1475),  dit  YAcl- 
ventureux,  entra  tout  jeune  au  service  de  Philippe 
le  Bon  et,  jusqu'à  l'âge  de  32  ans,  combattit  sous 
sa  bannière.  De  1435  à  1445  il  habita  la  France,  où 
il  fréquenta  la  cour.  Il  revint  ensuite  auprès  de  son 
maître,  qui  l'honora  de  sa  confiance  et  le  chargea 
souvent  de  missions  importantes.  Il  avait  51  ans 
lorsque,  en  1454,  il  quitta  le  service  militaire  pour 
se  retirer  à  Valenciennes,  avec  le  titre  de  chroni- 
queur de  la  maison  de  Bourgogne.  C'est  là  qu'il 
écrivit  ses  Mémoires, embrassant  les  années  1419  à 
1470,  et  qui  jouissent,  à  juste  titre,  d'une  grande 
autorité.  Loyal,  impartial,  zélé  pour  la  vérité  jus- 
qu'à l'imprudence,  Chastelain  est,  en  outre, dignecle 
toute  confiance  parce  qu'il  avait  été  lui-même  té- 
moin d'un  grand  nombre  de  faits  et  qu'il  tient  les 
autres  des  principaux  personnages  de  son  temps 
avec  lesquels  il  était  en  relation,  ou  les  appuie  sur 
des  documents  officiels  qui  lui  ont  été  communi- 
qués. Avec  une  grande  expérience  des  hommes  et 
des  choses,  il  envisage  les  faits  de  haut  et  tâche  de 
faire  voir  leur  enchaînement.  A  côté  de  cela,  il  ne 
néglige  pas  les  détails  et  a  soin  d'indiquer  les 
dates  et  les  noms  propres.  En  un  mot,  ce  n'est  pas 
une  chronique,  mais  une  histoire.  Malheureuse- 


XXII 

ment,  son  ouvrage  est  perdu  en  partie,  et,  pour  ce 
qui  regarde  Liège,  les  faits  des  années  1466  et  1468, 
manquent  presque  complètement  (1). 

Jacques  du  Clercq  (mort  après  1467),  écuyer, 
licencié  en  droit,  était  conseiller  et  avocat  de  Phi- 
lippe le  Bon.  En  1448,  n'étant  encore  âgé  que  de 
28  ans,  il  se  fixa  à  Arras,  sa  ville  natale,  et  com- 
mença à  écrire  les  événements  de  son  temps,  en 
compilant  les  chroniques  contemporaines.  Cepen- 
dant, il  y  ajoute  assez  fréquemment  des  renseigne- 
ments inédits  qu'il  devait  à  ses  relations  person- 
nelles. Il  déclare,  du  reste,  qu'il  s'est  enquis  du 
mieux  qu'il  a  pu.  Son  récit,  en  eiîet,  abonde  en 
détails  intéressants  et  on  peut  se  fier  à  son  exacti- 
tude. Mais  s'il  est  de  bonne  foi,  simple,  franc, 
véridique,  il  est  froid  et  décoloré.  Ses  Mémoires 
embrassent  les  années  1448  à!467,  car  ils  s'arrêtent 
à  la  mort  de  Philippe  le  Bon  (2). 

Jean  de  Troyes  (mort  après  1483),  greffier  de 
l'hôtel  de  ville  de  Paris,  avait  35  ans  lorsqu'il  se 
mit  à  écrire,  sous  forme  de  journal,  les  Choses 
advenuesau  royaulmede  France  etaultres  royaulmes 

(1)  Edition  de  M.  le  baron  Kervyn  de  Lettenhove,  Bruxelles, 
1863.  Ce  qui  concerne  Liège  n'occupe  que  quelques  chapitres  de 
la  lre  partie  du  livre  VII  ;  t.  V,  pp.  307,  315,  319  à  360. 

(2)  Ses  Mémoires  ont  été  publiés  par  M.  le  baron  de  Reiffen- 
berg,  Bruxelles,  1835.  Ce  qui  concerne  Liège  se  trouve  dans  le 
livre  V,  chapitres  45,  47,  51,  54,  56  à  64.  M.  Polain  cite  Jean  du 
Clercq  et,  en  même  temps,  Monstrelet,  qui  mourut  en  1453. 
Matthieu  de  Coucy,  continuateur  de  Monstrelet,  s'arrête  lui- 
même  en  1461.  (Voy.  Buchon,  Coll.,  XXXV,  XXXVI).  M.  du 
Fresne  de  Beaucourt  a  donné  une  édition  de  Coucv  en  1863. 


XXIII 

voisins,  ainsi  qu'il  a  pu  s'en  souvenir.  Son  œuvre, 
publiée  sous  le  titre  de  Chronique  de  Louis  XI  de 
Valois  ou  de  Chronique  scandaleuse,  embrasse  les 
années  1460  à  1483  (1).  L'auteur  est  un  bon  bour- 
geois, peu  initié  à  la  politique,  et  qui  expose 
naïvement,  en  gros  et  sans  malice,  les  événements 
de  son  temps,  sans  les  juger,  sans  s'inquiéter  de 
rechercher  le  pourquoi  et  le  comment  des  choses. 
«  L'intérêt  de  ses  Mémoires  consiste  bien  moins 
dans  les  faits  politiques  que  dans  la  peinture  des 
mœurs  contemporaines  et  le  récit  de  curieuses 
anecdotes  (2).  »  Il  dit  peu  de  chose  des  expéditions 
contre  les  Liégeois,  mais  ce  peu  est  à  noter  comme 
un  écho  de  l'opinion  publique  en  France. 

Robert  Gaguin  (mort  en  1501),  ministre  général 
de  l'ordre  des  Trinitaires  en  France, était  un  homme 
d'une  grande  science.  Louis  XI,  Charles  VIII  et 
Louis  XII  lui  confièrent  tour  à  tour  plusieurs  mis- 
sions importantes  à  l'étranger.  Chargé  de  la  garde 
de  la  Bibliothèque  royale  de  Paris,  il  acheta  un 
grand  nombre  de  manuscrits  précieux  (3),  ce  qui 
le  mit  à  même  d'être  bien  renseigné.  Aussi  ses 
Annales  ou  Compendium  super  origine  et  gestis 
Francorum  a  Pharamundo  usque  ad  annum  1491, 
furent-ils  estimés  ;  ils  eurent  vingt-deux  éditions 

(1)  Cette  chronique  a  eu  seize  éditions.  La  plus  récente  se  trouve 
clans  la  Nouvelle  collection  des  mémoires  de  Michaud  et  Poujou- 
lat,  lre  série,  t.  IV,  pp.  241  à  351.  Ce  qui  concerne  Liège  se  trouve 
aux  pages  271,  276,  277,  281,  283,  288,  289. 

(2)  Ibidem,  p.  243. 

(3)  11  cite  des  volumes  d'Origène  provenant  de  Dinant. 


XXIV 

et  huit  traductions  dans  le  courant  du  seizième 
siècle,  mais  n'ont  plus  été  imprimés  depuis.  C'est 
une  œuvre  originale  pour  ce  qui  regarde  la  seconde 
moitié  du  quinzième  siècle,  et  quoique  ce  qu'il  dit 
des  expéditions  contre  les  Liégeois  ne  soit  guère 
important,  encore  faut-il  en  tenir  compte  (i). 

Adrien  de  But  ou  de  Saeftinghe  (mort  en  1488), 
prieur,  puis  portier  de  l'abbaye  des  Dunes,  écrivit 
vers  l'an  1480  un  Supplementum  chronici  magistri 
JEgiclii  cl  Roya  et  Bartholomœi  de  Beca,  religioso- 
rum  Dunensium,  de  1463  à  1468,  avec  lacunes,  que 
M.  de  Ram  a  publié  (2).  Il  parle  des  démêlés  des  Lié- 
geois avec  le  duc  de  Bourgogne  en  1465  et  1466  ; 
mais  ce  ne  sont  que  des  fragments  ;  il  y  rapporte 
notamment  quelques  poésies  touchant  la  destruc- 
tion de  Dinant(3). 

(1)  Ces  expéditions  se  trouvent  dans  le  livre  X,  drap.  VII  à  XI, 
p.  253,  255  et  259  de  l'édit.  de  Francfort,  1577. 

(2)  Documents,  etc.,  pp.  362  à  371. 

(3)  Je  ne  cite  que  pour  mémoire  d'autres  poésies  contempo- 
raines, françaises  et  latines,  relatives  à  la  destruction  de  Dinant 
et  de  Liège  :  Bartholomœi  Leodiensis  carmen  de  guerra  leodina 
et  de  direptione  urbis  dionantensis  (dans  de  Ram,  1.  c,  pp.  261- 
290)  ;  La  correction  des  Liégeois  (ibid.,  pp.  291-304)  ;  La  com- 
plainte de  la  Cité  de  Liège  (ibid.,  pp.  325,  334)  ;  La  complainte 
de  Dinant  (ibid.,  pp.  335-345).  Ce  ne  sont  que  des  dythirambes  en 
l'honneur  des  ducs  de  Bourgogne,  et  qui  n'apprennent  rien  pour 
l'histoire.  —  Notons  en  passant  que  M.  de  Rama  eu  tort,  selon 
nous,  de  faire  figurer  dans  son  recueil  des  pièces  concernant  la 
bataille  d'Othée,  en  1408  (ibid.,  pp.  304-325).  —  On  peut  en  dire 
autant  d'une  Epistola  incerti  auctoris  de  Caroli  Burgundiœ 
ducis  laudibus  et  victoriis,  necnon  Leodiensium  clade  et  excidio 
a.  1468,qui  se  trouve  dans  Freher,  Script,  rerum  German,  éd. 
Struve,  t.  II,  p.  278. 


XXV 

Paul  Emile  ou  Paolo  Emilio  (mort  en  1529), 
était  un  italien  qui  se  lixa  en  France  sous  Charles 
VIII,  et  devint  chanoine  de  Vérone  et  de  Paris.  Il 
portait  le  titre  de  chroniqueur  du  roi,  et  fut  chargé 
d'écrire  l'histoire  de  France  «  dans  le  style  de 
l'antiquité.  »  Son  livre  De  rébus  gestis  Francorum 
usque  ad  annum  1488  libri  deeem  a  été  souvent 
imprimé  à  Paris,  de  même  qu'une  traduction,  dans 
les  seizième  et  dix-septième  siècles.  Il  cite  Phi- 
lippe de  Gommines  dans  sa  relation  des  expéditions 
contre  les  Liégeois  (i). 

Nauclerus  (mort  vers  1510)  est  un  surnom  donné 
à  Jean,  chevalier  de  Vergen,  prévôt  de  l'église  de 
Tubingue,  puis  chancelier  de  l'université  de  cette 
ville.  Il  a  écrit  un  précieux  Chronicon  universelle  ou 
Memorabilium  omnis  œtatis  et  omnium  gentium 
chronicon  commentarii,  qui  s'arrête  à  l'an  1500.  On 
v  trouve  une  courte  relation  du  sac  de  Liège  qui 
semble  rédigée  d'après  des  rapports  verbaux. 
Cependant  il  l'ait  mention  de  Robert  Gaguin  (2). 

Tritheim  (mort  en  1510),  peut  être  considéré 
comme  le  dernier  historien  contemporain  des 
expéditions  de  Charles  contre  les  Liégeois,  car  il 
naquit  en  1462  à  Trithenheim  (d'où  son  nom),  près 
de  Trêves  ;  il  était  fils  du  chevalier  Jean  Heiden- 
berg.  Ce  savant  homme  devint  abbé  du  monastère 

(1)  Ce  qui  concerne  Liège  occupe  les  pages  485  à  488  de  l'édition 
de  Paris,  1548. 

(2)  Qeneratio  XLIX,  pp.  491  à  493  du  tome  II  do  redit,  de  Co- 
logne, 1564. 


XXVI 

de  Spanlieim,  puis  de  celai  de  St-Jacques  à  Wurz- 
bourg.  Il  écrivit  beaucoup  d'ouvrages,  entre  autres 
sonimportant  Chronicon  Hirsaug  iense  ou  Annalium 
Hirsaug iensium  tomi  duo,  compleclentes  historiam 
Franciœ  et  Germaniœ,  g  esta  imperatorum ,  etc., 
embrassant  les  années  830  à  1514.  Il  est  sincère 
mais  crédule,  et  manque  de  critique.  Il  fit,  en  1495, 
la  connaissance  de  Matthias  Herbenus,  à  Spanheim, 
et  c'est  probablement  de  lui  qu'il  tenait  les  détails 
qu'il  donne  sur  la  prise  de  Liège  en  1468  (t). 


Telles  sont  les  chroniques,  relations,  etc.,  dues 
à  des  écrivains  contemporains,  qui  traitent,  ex 
professo  ou  incidemment,  de  la  lutte  des  Liégeois 
contre  la  maison  de  Bourgogne  (2).  Elles  sont  nom- 
breuses, et  si  l'on  y  ajoute  un  genre  de  documents 
plus  authentique  encore,  à  savoir  les  chartes,  les 
traités  et  autres  actes  publics  (3),  on  conviendra 

(1)  Joannis  Trithemii...  annales  Hirsaugienses,  Monasterii 
S.  Galli,  1690,  tome  II,  pp.  459  à  467. 

(2)  Je  n'ai  pas  fait  mention  du  Chronicon  magnum  Belgicum, 
qui  s'arrête  à  l'année  1474,  parce  qu'il  n'est  qu'une  compilation 
de  sources  connues  (Voy.  Potthast,  Bibl.  hist.  medii  cevi,  p.  207). 

(3)  En  voici  une  brève  énumération  :  1°  Soixante  dix-neuf 
lettres  et  autres  documents  relatifs  aux  expéditions  de  Charles 
contre  Dinant  et  Liège,  du  16  juil.  1465  au  2  mai  1468  (Gachard, 
Docum.  inédits,  etc.,  t.  II,  pp.  197  à  498.  Cf.  Idem,  Analectes,  etc., 
pp.  7  à  14). 

2°  Soixante  et  onze  lettres,  etc.,  du  1er  mai  1465  au  17  sep. 
1466  (S.  Bormans,  Cartulaire  de  Dinant,  t.  II,  pp.  87  à  297). 

3°  Vingt-six  lettres,  bulles,  traités,  etc.,  du  29  oct.  1461  au  21 
oct.  1469  (de  Ram,  Documents,  pp.  484  à  597). 


XXVII 

qu'il  est  peu  d'épisodes  de  nos  annales  sur  lesquels 
nous  possédions  autant  de  sources  diverses. Aussi, 
depuis  le  seizième  siècle  jusqu'à  nos  jours,  les 
écrivains  n'ont-ils  pas  manqué  pour  exploiter  cette 
mine  féconde.  On  en  jugera  par  la  liste  sommaire 
des  principaux  d'entre  eux  que  je  fais  suivre  ici,  et 
dans  laquelle  ils  sont  rangés  suivant  l'ordre  des 
temps  où  ils  ont  vécu  : 

Jacques  Meyer  (né  en  1491),  Commentarii  sive  Annales 
rerum  Flandricarum  libri  17.  Anvers,  1561,  loi.  337  v°  à  347 
passim. 

Guillaume  Paradin  (né  vers  1510),  Les  Annales  de  Bourg ogne, 
de  378  à  1482.  Lyon,  1566,  pp.  936  à  938  (1). 

4"  Vingt  et  une  lettres,  mandements,  etc.,  du  duc  Charles,  du 
27  juil.  1467  au  30  oct.  1468  (Gachard,  Doc.  inéd.,  t.  I,  pp.  154  à 
168,  178  à  192,  196  à  201). 

5°  Quatorze  traités,etc  ,  du  22  avril  1465  au  16  mars  1468  (Bon- 
mans,  Recueil  des  ordonnances  de  la  principauté  de  Liège,  lre 
série,  pp.  586  à  615). 

6°  Quatre  lettres  de  la  ville  de  Liège  à  Louis  XI,  etc.,  du  15 
juil.  au  19  août  1467  (M.  Gachard,  dans  les  Bulletins  de  la  com- 
mission royale  d'histoire,  2e  série,  t.  VIII,  pp.  98  à  103). 

7°  Liste  des  objets  enlevés  de  Liège  en  1468  par  les  soldats  de 
Charles  le  Téméraire,  publiée  par  S.  Bormans,  dans  les  Bull,  de 
VInstitut  archéol.  liégeois,  t.  VIII,  pp.  181  à  207. 

8°  Analyses  de  vingt  chartes,  du  8  oct.  1464  au  10  sept.  1469 
(Schoonbroodt,  Inventaire  des  chartes  du  chapitre  de  St-Lam- 
bert,  à  Liège,  pp.  329  à  343). 

9°  Analyses  de  huit  documents,  du  9  sept.  1466  au  21  oct.  1469, 
dans  de  Barante,  Hist.  des  ducs  de  Bourgogne,  édit.  de  M.  Ga- 
chard, t.  II,  p.  726. 

(i)  M.  le  baron  Adrien  Wittert  a  cité  un  curieux  passage  de  ce  livre  dans 
Le»  preux  et  la  gravure  à  Liège  en  1444,  p.  2o.  Paradin  paraît  avoir  visité 
Liège  qu'il  compare  une  fois  à  Lyon,  une  autre  fois  à  Rouen. 


XXYIII 

Suffridus  Pétri  (i)  (né  en  1527),  Gesta  pontificum  Leodiens. 
a  Joanne  de  Bavaria  usque  ad  Erardum  a  Marcha  (1390  à  1505), 
dans  Chapeaville,  Gesta pontif.  leod.,  t.  III,  pp.  14  à  190. 

Pontus  Heuterus  (né  en  1535),  Rerum  Burgundicarum  libri 
sex.  La  Haye,  1639,  livre  V,  chap.  III  et  IV,  édit.  de  Louvain, 
1649,  pp.  126  à  130  (2). 

Brusthem  (mort  en  1549),  chronique  liégeoise  en  latin,  s'anv- 
tant  à  l'année  1544.  Inédite  (Cf.  ci-dessus  Anonyme,  p.  xi,  et 
voy.  de  Theux,  Nouveaux  mélanges  de  Villenfagne,  pp.  146  à  149). 

Fisen  (mort  en  1649),  Historiarum  ecclesiœ  leodiensis  partes 
duœ,  Liège,  1696,  2e  partie,  pp.  233  à  277. 

Mélart,  L'histoire  de  la  ville  et  ehasteau  de  Huy,  1641,  pp.  24G 
à  268. 

Foullon  (mort  en  1669),  Historia  leodiensis,  etc.,  Liège, 
1735,  t.  II,  pp.  64  à  140. 

(Abry),  Recueil  héraldique  des  bourgmestres  de  la  noble  Cité 
de  Liège,  1720,  pp.  165  à  182,  passim.  (3). 

Bouille,  Histoire  de  la  ville  et  pays  de  Liège,  1725,  t.  II,  pp. 
74  à  163. 

Duclos  ou  Charles  Pineau  (mort  en  1772),  Histoire  de  Louis 
XI.  La  Haye,  1745,  t.  I,  pp.  379,  381  à  397. 

Jaeger,  Geschichte  Caris  des  Riihnen.  Nur.,  1797. 

Dewez,  Histoire  du  pays  de  Liège,  1822,  t.  II,  pp.  21  à  75. 

Villenfagne,  Recherches  sur  V  histoire  de  la  ci-devant  princi- 
pauté de  Liège,  1817,  t.  II,  pp.  60  à  62. 

De  Barante,  Histoire  des  ducs  de  Bourgogne,  1824,  tome  II, 

[i)  Cet  auteur,  qui  s'appelait  Sjurd  Peeters,  n'a  fait  que  traduire  Philippe 
de  Commincs  (Voy.  NÈVE,  Relations  de  Suffridus  Pétri  avec  tuniversitè  de 
Louvain,  Louvain,  1848). 

(2)  Dans  son  livre  VI,  Heuterus  dit  qu'Arnold  de  Wachtendonck  l'a  aidé 
dans  ses  recherches.  Ce  savant  liégeois,  mort  en  1605,  avait,  paraît-il ,  étudié 
d'une  manière  toute  particulière  lesévènements  du  règne  de  Louis  de  Bourbon. 
Son  frère  Herman  avait  composé  un  Supplément  à  la  vie  de  ce  prince  — 
imprimé  ou  manuscrit,  je  ne  sais,  —  qui  est  cité  par  M.  de  Gerlache,  p.  279 
de  son  Histoire,  mais  que  je  n'ai  jamais  rencontré. 

(5)  Je  crois  avoir  prouvé  qu'Abry  est  le  véritable  auteur  de  ce  livre,  attribué 
jusqu'à  ce  moment  au  jurisconsulte  Lovons  (Voy.  Le  Bibliophile  helge,  t.  II, 
1867,  p.  270). 


XXIX 

pp.  253  à  325  passim,  de  l'édit.  de  M.  Gachard.  (Cf.  de  Gerlache,  p. 
248,  note.) 

B(ov)y,  Promenades  historiques  clans  le  pays  de  Liège,  1838, 
t,  I,  pp.  13  à  32. 

Polaln,  Histoire  de  V ancien  pays  de  Liège,  1844,  t.  II,  pp.  296 
à  388. 

Freeman,  Charles  the  Bold,  dans  les  Select  historical  Essays, 
1850. 

A.  Borgnet,  Sac  de  Binant  par  Charles  le  Téméraire,  1853, 
dans  les  Annales  de  la  Soc.  archéol.  de  Namur,  t.  III,  pp.  1  à  92, 
avec  documents. 

De  Gerlache,  Histoire  de  Liège,  1859,  t.  IV  des  Œuvres  com- 
plètes, pp.  212  à  300  (1). 

Ed.  Garnier,  Louis  de  Bourbon,  évêque-prince  de  Liège, 
Paris,  1860,  in-8°. 

John  Foster  Kirck,  Histoire  de  Charles  le  Téméraire,  duc 
de  Bourgogne.  Trad.  de  l'anglais  par  Ch.  Flor  O'Squarr,  1866, 
3  volumes. 

Polain,  Liège  et  Bourgogne  ou  les  six  cents  Franchimontois, 
dans  les  Récits  histor.  de  Vanc.pays  de  Liège,  1866,  pp.  243  à  265. 

A.-J.  Namèche,  Cours  d'histoire  nationale,  t.  VII,  1867,  pp. 
456  à  578  passim. 

P.  Henrard,  Les  campagnes  de  Charles  le  Téméraire  contre 
les  Liégeois,  dans  le  Bull,  de  VAcad.  d 'archéol.  de  Belg.,  2e  série, 
t,  XIII,  1867,  pp.  581  à  678. 

Henaux,  Histoire  du  pays  de  Liège,  1875,  t.  II,  pp.  77  à  182. 

P.  Fredericq,  Essai  sur  le  rôle  politique  et  social  des  ducs  de 
Bourgogne  dans  les  Pays-Bas,  1875,  pp.  17,  20,  21. 

Baron  Jules  de  Chestret  de  Haneffe,  Jean  de  Wilde,  étude 
sur  un  chef  liégeois  du  XVe  siècle,  dans  le  Bull,  de  l'Institut 
archéol.  liég.,  t.  XIII,  1877,  pp.  1  et  suiv. 

Malgré  le  grand  nombre  de  ces  écrits,  tout  n'est 
pas  dit  encore  sur  le  terrible  conflit  qui  amena,  en 
1468,  la  destruction  de  Liège.  La  monographie  de 
M.  Borgnet  sur  le  sac  de  Dinant,  et  l'étude  de 

(i)  M.  de  Gerlache  avait,  antérieurement,  publié  une  étude  intitulée  : 
Révolutions  de  Liège  sous  Louis  de  Bourbon,  Bruxelles,  1831,  in-8n. 


XXX 

M.  Henrard  sur  l'ensemble  des  campagnes  de 
Charles  le  Téméraire  contre  les  Liégeois,  sont  les 
travaux  les  plus  complets  et  les  plus  approfondis 
qui  aient  paru  jusqu'à  présent  sur  les  événements 
qui  nous  occupent.  Mais  leurs  auteurs  n'ont  pu 
consulter  toutes  les  sources,  dont  quelques-unes 
leur  étaient  difficilement  accessibles,  d'autres  com- 
plètement inconnues.  Une  des  plus  importantes 
parmi  les  premières  est,  sans  contredit,  la  relation 
de  l'évêque  de  Tricaria,  Onufrius,  dont  nous  pu- 
blions aujourd'hui  la  substance.  Mais  voyons  d'a- 
bord ce  que  les  écrivains  nous  apprennent  sur  la 
vie  de  ce  légat  et  sur  sa  mission  à  Liège. 

Onufrius  ou  Honophrius,  évèque  de  Tricaria 
dans  la  Basilicate,  était  romain  de  naissance  et 
appartenait  à  la  noble  famille  de  Sancta-Cruce  (1). 
Un  digne  prêtre,  Matthias  Herbenus,  qui  fut  long- 
temps attaché  à  sa  personne,  nous  apprend  que  les 
dons  du  corps  et  de  l'esprit  ne  lui  avaient  pas  été 
ménagés  (2)  et,  de  son  côté,  Ughelli  affirme  qu'il 
jouissait  d'une  grande  réputation  de  savoir  (?.).  Il 

(1)  «  Ex  ea  familia  quae  vulgo  Sanctae-Crucis  nuncupatur  » 
(Herbenus,  dans  de  Ram,  Documents,  etc.,  p.  357).  «  Honufrius, 
Tricaricensis  prsesul,  homo  romanns,  in  familia  locupleti  quse 
Sanctse-Crucis  dicitur  »  (Piccolomini,  ibid.,  p.  373).  «  Meminit 
Honufrii  Carolus  Chartarius  in  advocatorum  consistorialium  lib. 
in  Petro  Sanctacrucio,  p.  15,  nbi  uberiori  calamo  hujus  gentis 
nobilissimse  viros  egregios  recensait  ad  satietatem  *  (Ughelli, 
cité  par  de  Ram,  ibid.,  p.  xvn).  Cf.  Ange  de  Viterbe,  dans  VAm- 
pliss.  coll.,  t.  IV,  col.  1401. 

(•2)  «  Pluribns  animi  et  corporis  dotibus  ornatus  »  (Herbenus, 
ibid.). 

(3)  «  Egregiam  Honufrii  doctrinam  et  ernditionem  memorat 


XXXI 

devait  aussi  être  très  habile  en  affaires  et  doué 
d'un  grand  esprit  de  conciliation,  car  le  pape  Pie  II 
l'ayant  envoyé  en  qualité  de  légat  à  Mayence,  pour 
apaiser  des  débats  qui  avaient  fait  couler  le  sang 
dans  l'archevêché,  il  accomplit  sa  mission  à  la  satis- 
faction générale  (1). 

Depuis  plusieurs  années  (1456) ,  des  troubles 
violents  déchiraient  la  principauté  et  surtout  la 
ville  de  Liège  qui  était  en  guerre  ouverte  avec  son 
évêque,  Louis  de  Bourbon,  neveu  du  duc  Philippe 
de  Bourgogne  (2).  Pour  punir  des  sujets  trop  peu 
soumis  à  son  gré,  il  avait  jeté  l'interdit  sur  la  Cité, 
—  29  octobre  1461  (3) — et  quitté  sa  capitale.  Un 

Fantinus  Valeressus,  Jaderensis  archiepiscopus,  iu  epistola  ad 
eumdeni  scripta  11  Kal.  decemb.  a0  1462.  »  (Texte  cité  par  M.  de 
Ram,  ibid.,  p.  xvn). 

(1)  «  Quem  Pius  ^neas  Belgarum  niisit  ad  oras 
Atque  Moguntiacum,  ut  Dieteruni  forte  rebellem 
Pontiflci  Latio,  et  Fredericum  conciliaret 
Ductorem  belli.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1401). 
Onufrius  arriva  à  Mayence  en  octobre  1463  à  l'effet  de  conclure 
la  paix  entre  Diether  d'Isenburg  et  Adolphe  II  de  Nassau,  com- 
pétiteurs pour  le  siège  de  Mayence,  et  afin  de  relever  Diether, 
ainsi  que  ses  alliés,  entre  autres  le  comte  palatin  Frédéric  le 
Victorieux,  de  l'excommunication.  Cette  paix  fut  conclue  par 
Onufrius  et  Ferrici,  le  28  octobre  1463,  à  Francfort  sur  le  Mein 
(Helwich,  De  dissiclio  Moguntino  in  Joannis  Scriptores  rerum 
Moguntin.,  t.  II,  pp.  193-194). 

(2)  Piccolomini,  qui  était  bien  au  courant  des  faits,  déclare  que 
Louis  ne  fut  agréé  par  le  pape  qu'à  la  suite  de  la  promesse  que 
Philippe  le  Bon  lui  fit  d'un  secours  contre  les  Turcs  (dans  de  Ram, 
p.  372). 

(3)  Voir  l'acte  dans  de  Ram,  op.  cit.,  p.  484.  Pie  II  confirma  cet 
interdit  le  1er  mai  1462  {Ibid.,  503). 


XXXII 

légat,  Pierre  Ferrici,  envoyé  en  1463  (1)  pour  réta- 
blir l'union,  ne  put  y  parvenir,  et  même  les  choses 
s'envenimèrent  à  ce  point  que,  le  22  mars  4465, 
les  Liégeois  prononcèrent  la  déchéance  de  leur 
évêque  (2).  Les  Bourguignons  envahirent  alors  la 
principauté  et,  le  20  octobre,  battirent  les  milices 
liégeoises  àMontenaken.  Le  pape,  auquel  les  deux 
partis  avaient  eu  recours,  ne  savait  trop  que  faire, 
et  il  ne  fallut  rien  moins  que  la  promesse  d'un 
secours  contre  les  Turcs,  que  lui  fit  le  duc  de 
Bourgogne,  pour  faire  cesser  ses  hésitations  :  par 
une  sentence  du  23  décembre  1465,  il  se  prononça 
en  sa  faveur  et  donna  tous  les  torts  aux  Liégeois  (3). 
Mais  entretemps,  Louis  XI,  roi  de  France,  ce 
cauteleux  ennemi  du  duc  de  Bourgogne,  avait,  le 
17  juin  1465,  conclu  une  alliance  avec  les  Liégeois, 
et  entretenait  soigneusement  dans  la  Cité  l'esprit 
de  révolte  ;  aussi  toutes  les  tentatives  d'accom- 
modement restèrent-elles  inutiles.  Le  28  octobre 
1467,  les  Bourguignons  infligèrent  aux  Liégeois  une 
seconde  et  sanglante  défaite  à  Brusthem.  Raes  de 
Heers,  le  chef  du  parti  hostile  à  l'évêque,  hors  d'état 
de  continuer  la  lutte,  quitta  Liège  à  la  tête  de  plu- 

(1)  Le  bref  est  daté  du  12  janvier  (voy.  de  Ram,  p.  512).  Ferrici 
arriva  le  31  mars  à  Aix-la-Chapelle  (Adrien  dans  YAmpliss.coll., 
IV,  1258).  Il  se  transporta  à  Trêves  pour  prononcer  sa  sentence, 
le  10  septembre  1464. 

(2)  Adrien,  dans  YAmpliss.  coll.,  IV,  1267-1270.  Cependant,  par 
un  bref  du  6  mars  1465,  adressée  Louis  de  Bourbon,  Paul  II 
avait  suspendu  pour  quatre  mois  l'interdit,en  vue  d'arriver  à  un 
arrangement. 

(3)  Sur  la  Pauline,  voy.  de  Gerlache,  Hist.  de  Liège,  p.  222. 


XXXIII 

sieurs  milliers  de  ses  partisans,  tandis  que  Charles 
de  Bourgogne  entrait  en  maître  dans  la  Cité, 
le  17  novembre,  en  compagnie  de  Bourbon  (î). 
Par  sa  célèbre  et  cruelle  sentence  du  18,  le  duc 
dépouilla  les  Liégeois  de  toutes  leurs  anciennes 
institutions,  ordonna  la  démolition  de  leurs  mu- 
railles, et  bannit  à  perpétuité  les  bourgeois  qui 
avaient  suivi  Raes  de  Heers. 

Courbés  sous  le  joug,  les  Liégeois  réclamèrent 
l'intervention  du  pape  pour  obtenir  un  adoucisse- 
ment à  leur  sort,  et  notamment  la  levée  de  l'inter- 
dit (2).  Cédant  à  leurs  instances,  Paul  II  assembla 
en  1468  un  consistoire  et  proposa  d'envoyer  à 
Liège  un  légat  muni  de  pleins  pouvoirs  pour 
réconcilier  le  prince  avec  ses  sujets.  Les  quali- 
tés éminentes  d'Onufrius  et  le  succès  de  sa  pre- 
mière mission  le  désignèrent  au  choix  des  cardi- 
naux (3).  D'abord  il  voulut  refuser,  et  ne  céda  enfin 
que  sur  les  vives  instances  du  pape. 

(1)  Voyez  dans  Gachard,  Collection  de  documents  inédits,  t.  I, 
pp.  154-182,  les  lettres  de  Charles  le  Téméraire  au  magistrat 
d'Ypres  touchant  sa  campagne  contre  les  Liégeois  en  1467. 

(2)  Jean  de  Looz,  dans  de  Ram,  Documents,  p.  56. 

(:i)  -  Honuirius  huic  difficillimo  negotio  idoneus  judicatus  est  « 
(Herbenus,  ibid.,\).  357). 

-  Nemo  tam  melior  nec  cernitur  aptior  ullus 
In  Latio  quam  sit  reverendus  Honophrius  urbe 
Nomine  Tricarius,  nunc  digaus  episcopus,  alta 
Virtute  et  morum  cultu  majora  meretur, 
Publicolse  Valeri  proies  ab  origine  longa, 
Ingenio  velox  et  relligione  timendus, 
Consilio  sapiens  ;  non  est  moderatior  alter 
Quique  est  multorum  mores  expertus  et  urbes  ; 


XXXIV 

Dans  les  derniers  jours  du  mois  de  mars,  Onu- 
frius  écrivit  à  Liège  pour  annoncer  vers  le  10  avril 
son  arrivée  à  Cologne,  et  son  intention  de  se  rendre, 
de  là,  directement  à  son  poste.  Mais  son  voyage 
subit  des  retards,  et  il  n'atteignit  Cologne  qu'après 
la  date  fixée  (î).  Il  y  trouva  des  envoyés  liégeois 
avec  leur  suite  (2)  :  l'évèque  avait  député  son 
chancelier  Herman,  le  chapitre  de  S'-Lambert  Jean 
de  Quercu,  et  les  églises  secondaires  Jean  de 
Straile,  doyen  de  S'-Martin,  qui  tous,  lui  firent 
escorte,  par  Juliers  et  Aix-la-Chapelle  (3),  jusqu'à 
Maestricht.  Après  y  avoir  vénéré  les  reliques  de 
S1  Servais,  il  s'embarqua  pour  remonter  la  Meuse 
jusqu'à  Jupille,  où  une  foule  immense,  accourue  de 
Liège,  l'accueillit  avec  de  grandes  démonstrations 
de  joie,  et  l'accompagna  en  triomphe  jusqu'au  cou- 
vent des  Chartreux.  C'était  un  jeudi,  28  avril  (4). 

Non  illum  fallit  legum  veneranda  sacrarum 
Majestas,  non  hune  fallunt  civilia  jura,  etc.  » 
(Ange  deViterbe,  col.  1400-1401). 
"...  Nullum  meliorem  unoorefatetur.  « 
(Idem,  col.  1403). 

(1)  Adrien,  col.  1326.  Ange  de  Viterbe,  col.  1404,  décrit  tout 
au  long  son  voyage  et  nomme  les  villes  par  où  il  passa. 

(2)  "  Ad  hune  cum  Agrippinam  Coloniam  maturato  itinere 
pervenisset,  Leodiensis  legatio  adventus  hujus  prsescia  accessit, 
summis  obsecrationibus  petens  ut,  quanto  posset  celerius, 
Leodium  properaret,reliquiasque  dispuisse  plebis,redditis  sacris, 
consolaretur  »  (Piccolomini,  p.  373). 

(3)  Selon  Piccolomini,  il  s'arrêta  quelques  jours  dans  cette 
dernière  ville  pour  s'assurer  que  l'évèque  et  le  peuple  étaient 
disposés  à  bien  recevoir  les  avertissements  du  Saint-Siège. 

(4)  Jean  de  Looz,  p.  56.  Selon  Adrien,  col.  1326  (les  col.  1325  et 


XXXV 

Le  lendemain,  l'évêquelui  rendit  visite  ainsi  que 
plusieurs  autres  personnes  ;  le  père  carme  Robert 
et  Alexandre  Bérard,  échevin,  lurent  des  discours 
qui  nous  ont  été  transmis  en  vers  alexandrins 
par  le  poète  de  Viterbe  (1).  Puis  Louis  de  Bourbon 
lui  adressa  quelques  paroles  pleines  de  bons  senti- 
ments pour  son  peuple.  Le  légat  répondit  à  tous  avec 
bienveillance  (2),  et  après  s'être  entretenu  avec  eux 
des  difficultés  de  la  situation,  prit  de  commun 
accord  avec  eux  des  arrangements  pour  la  levée  de 
l'interdit  (3).  Le  samedi,  Onufrius  s'avança  jusqu'au 
pont  d'Amercœur  (4),  où  le  clergé  de  toutes  les 

1326  sont  en  double),  ce  fut  le  27,  et  l'évêque  s'étant  porté  à  la 
rencontre  du  légat,  le  conduisit  chez  les  Chartreux.  Ange  de 
Viteriïe,  col.  1-106 ,  et  Piccolomini,  p.  374,  disent  la  même 
chose. 

(1)  Ampliss.  coll.,  col.  140Get  1407. 

(2)  <•  Detur  niihi  tanta  facilitas 

Ut  valeam  inter  vos  omnes  componere  lites.  « 
(Ange  de  Viterbe,  col.  1408). 

(:h)  «  Nos  interdictum,  cum  mœnia  vestra  petemus, 
Solvemus  certa  sub  conditione,  deinde. 
Si  meritum  est  vestrum,  penitus  delebimus  illud.  •• 
(Ange  de  Viterbe,  col.  1408). 
D'après  cet  auteur,  col.  1408-1409,  il  semble  que  cela  se  serait 
passé  le  jour  même  de  l'arrivée  du  légat. Il  décrit  l'entrevue  dans 
tous  ses  détails  et  dit  qu'Onufrius  demanda  ensuite  un  cheval 
pour  se  rendre  à  l'entrée  de  la  ville.  Il  affirme,  cependant,  qu'il 
passa  deux  nuits  chez  les  Chartreux  (col.  1406). 

(4)  Là  se  trouvait  une  des  portes  de  la  ville.  Le  texte  de  Jean 
de  Looz,  p.  56,  porte  Aurati  corclis  au  lieu  de  Amari  cor  dis. 
Ange  de  Viterbe  dit  :  «  conscendit  pario  orator  de  marmore 
pontem,  h  ce  que  de  Villenfagne  traduit  erronément  par  le 
pont  des  Arches  (Mélanges  cités,  p.  353). 


XXXVI 

églises  de  la  Cité  s'était  rendu  processionnelle- 
ment.  Arrivé  sous  la  porte  de  la  ville,  il  leva  provi- 
soirement l'interdit,  et,  montant  à  cheval,  il  fut,  au 
son  des  cloches  et  aux  acclamations  joyeuses  du 
peuple  tout  entier,  conduit  par  Louis  de  Bourbon 
à  la  cathédrale  de  S'-Lambert,  qu'il  réconcilia  (i). 
Après  le  Te  Deum  et  la  bénédiction,  on  le  mena  en 
grande  pompe  à  l'abbaye  de  S'-Jacques,  où  des 
appartements  lui  avaient  été  préparés. 

Le  1P1  mai,  il  assista,  dans  les  formes  de  la  cathé- 
drale (2),  à  la  première  messe  de  Louis  de  Bourbon 
qui,  à  genoux  avec  tout  son  clergé,  lui  demanda 
ensuite  la  bénédiction  (3).  Après  la  procession  (4), 
à  laquelle  les  deux  prélats  assistèrent,  un  repas 
splendide  réunit  tous  les  notables  de  la  Cité  au 
palais  épiscopal.  Le  3  mai,  jour  de  l'invention  de  la 
Sainte  Croix,  une  messe  spéciale  fut  chantée  à 
S'-Lambert  en  son  honneur,  et  l'évèque  suivit  la 
procession   en  chape ,   avec  les  chanoines.    A  la 

(1)  Adrien,  col.  1325,  prétend  que  l'évèque,  en  habits  sacerdo- 
taux, attendait  Onufrius  sur  les  degrés  de  St-Larnbert.  Cf.  Ange 

DE  VlTERBE,  COl.  1411  à  1413. 

(2)  «  Honofrio,  in  habitu  legationis  suae,  sine  superpellicio, 
sedente  in  forma  ubi  episcopi  leodienses  tempore  majoris  missa? 
stare  soient.  »  (Adrien,  loco  cit.  Ce  chroniqueur  assistait  à  la 
cérémonie). 

(3)  «  Post  missam  vertit  dominus  leodiensis  se  ipse  et  omnes 
prœlati  versus  legatum,  et  depositis,  tam  per  dominum  leodien- 
sem  quam  per  prselatos,  mitris,  prostraverunt  se  omnes  super 
genua  sua,  et...  dédit  legatus  benedictionem  super  populum  ulti- 
mam.  »  (Idem,  col.  1326). 

(4)  «  Dominicum  sacramentum  tota  urbe,  legato  et  populo 
prosequente,  manibus  suis  circumtulit.  »  (Picoolomini,  p.  374). 


XXXVII 

demande  générale,  le  légat  se  rendit,  le  8  mai,  à 
2  heures  de  l'après-midi  (1),  dans  l'église  cathé- 
drale, où,  avec  la  plus  grande  solennité,  il  leva 
définitivement  l'interdit,  à  condition  que  la  sen- 
tence papale  du  23  décembre  1465  fut  respectée  (2). 
Le  5  juin,  jour  de  la  Pentecôte,  il  chanta  dans  le 
même  temple  une  messe  du  Saint-Esprit  (3). 

Cette  réception  cordiale  et  ces  débuts  heureux 
semblaient  promettre  une  issue  favorable  à  la  mis- 
sion du  légat.  Il  ne  lui  restait  plus  qu'à  obtenir  du 
duc  Charles  de  Bourgogne  la  révocation  de  sa  ter- 
rible sentence  du  18  novembre  1467,  ou,  du  moins, 
des  modifications  aux  articles  les  plus  odieux  aux 
Liégeois  (4). 

Après  un  échange  de  lettres  avec  le  duc,  alors  à 
Bruges,  afin  d'obtenir  une  audience  (s),  Onufrius 

(1)  «  In  octavis  apostolorum  Philippi  et  Jacobi,  post  prandium 
hora  secunda.  »  (Adrien,  loc.  cit.) 

(2)  Adrien,  qui  assista  encore  à  cette  cérémonie,  la  décrit  tout 
au  long.  Theodoricus  Pauli,  donnant  carrière  à  son  imagination, 
dit  :  -  Non  solum  relaxavit  civitatem  ab  excommunicatione  et 
anathemate  quibus  irretita  fuit,sed  e  contra  equitavit  solemniter 
per  plateas  leodienses,  absolvendo  incolas  ejus  et  benedicendo 
civitatem  et  omnes  habitantes  in  ea.  »  (Dans  de  Ram,  p.  231). 

(3)  Jean  deLooz,  p.  57.  Adrien,  col.  1326. 

(4)  «  Erant  gaudiorum  plena  omnia,  respirareque  tum  primum 
ex  longa  fatigatione  miseri  videbantur,  dissensionem  omnem 
initio  hoc  sublatam  putantes.  Id  modo  supererat  ut  exulum 
quoque  et  tributorum  sua  ratio  haberetur,  amodoque  civitatis 
mœnibus  parceretur  ;  postremo  ut  leges  patrise  redderentur, 
sine  quibus  nil  quietis  habitura  reliqua  putabantur.  «  (Piccolo- 
mini,  p.  374). 

(5)  Ange  de  Viterbe,  col.  1413. 


XXXVIII 

quitta  Liège  le  mercredi,  8  juin  (i).  On  lui  avait 
dépeint  Charles  comme  un  prince  dur,  hautain 
et  inexorable;  mais  il  le  trouva  très  gracieux  à  son 
égard  et  en  reçut  le  meilleur  accueil  (2),  à  ce  point 
que,  remettant  à  plus  tard  les  affaires  sérieuses, 
il  le  pria  tout  d'abord  d'assister  le  3  juillet  à 
ses  noces,  dans  lesquelles  il  lui  fit  rendre  des 
honneurs  tout  particuliers  (3).  Les  fêtes  passées, 
le  légat  n'oublia  pas  le  but  spécial  de  son  voyage. 
Le  duc  écouta  ses  réclamations  avec  bienveillance 
et  lui  parla  sans  amertume,  si  bien  qu'il  ne  douta 
point  que  le  différend  ne  fut  aisément  apaisé  (4). 
Mais  comme  Charles  était  en  ce  moment  absorbé 
par  des  négociations  difficiles  avec  Louis  XI,  il 

(1)  Ange,  col.  1414.  Cet  auteur  décrit,  ville  par  ville,  l'itinéraire 
du  légat.  Nous  ne  pouvons  le  suivre  dans  tous  ces  détails. 

(2)  «  Cum  ingenti  honore  atque  singulari  applausu  ab  univer- 
sis  amplexus  est.  »  (Herbenus,  p.  357).  Cfr.  Ange  de  Viterbe, 
col.  1418. 

(3)  «  In  quibus  festis  tantus  honor  factus  apostolico  legato  est, 
ut  mortali  homini  major  exhiberi  non  potuisset.  «  (Herbenus, 
p.  358). 

-  Aima  ducis  mater  prima  est  discumbere  jussa, 
Mox  et  legatus  vultu  verecundus  honore, 
Et  médium  fecit  conjux  speciosa  d'Iorcha.  « 

(Ange de  Viterbe,  col.  1423). 
Notre  poëte  consacre  neuf  colonnes  à  décrire  les  fêtes  du  ma- 
riage (Ibicl.,  col.  1420-1429). 

(4)  «  Ita  benignum  repperit  principem,  ut  ei  sine  negotio 
magno  dissidium  omne  componi  posse  videretur.  »  (Herbenus, 
l.  c.)  Piccolomini,  de  son  côté,  dit  :  «  kl  tantum  de  postulatis 
legato  concessit,  ut  cum  praesule  et  populo  quse  viderentur  com- 
poneret,  conventaque  referret  ad  se  conflrmanda  decreto  suo  vel 
respuenda.  »  (Dans  de  Ram,  p.  374). 


XXXIX 

l'engagea  à  retourner  près  des  Liégeois  (î)  pour 
les  affermir  dans  leurs  bonnes  dispositions  et 
s'enquérir  des  bases  d'une  paix  nouvelle,  lui  pro- 
mettant qu'à  son  retour  de  France  il  effacerait 
toute  trace  de  désaccord  entre  euxetleurévêque(2). 
Le  légat  accompagna  le  duc  jusqu'à  Bruxelles  et 
tâcha,  mais  en  vain,  de  le  détourner  de  faire  la 
guerre  à  Louis  XL  Là,  ils  se  quittèrent,  et  tandis  que 
Charles  partait  pour  la  France,  Onufrius  rentra  à 
Liège  plein  de  confiance  dans  le  succès  de  sa  dé- 
marche (3).  Il  est  certain  que  son  espoir  était 
fondé  ;  d'abord,  son  caractère  franc  et  affable  lui 
avait  de  suite  valu  l'estime  de  Louis  de  Bourbon 
qui  ne  voyait  plus  en  lui  qu'un  ami,  et  qui,  sans  la 

(1)  Selon  Ange  de  Viterbe,  col.  1430,  il  le  pria  d'aller  l'attendre 
pendant  dix  jours  à  Bruxelles. 

(2)  Herbenus,  l.  c. 

«  Mox  se  leodinam  velle  videre 
Causam  ait,  et  si  quid  sancto  non  competat  illud 
Pontifici,  mutari,  inquit,  nos  omne  sinemus.  » 
(Ange  de  Viterbe,  /.  c). 

(3)  «  Linquitur  (Carolus)  his  dictis  Brugis,  jam  mœnia  fidus 
Bruxella?  subiit  legatus  Honofrius  urbis  ; 

Jamque  dies  aderat  decimus  durn  fœdera  servat, 

Bruxellam  petiit  legato  et  multa  locutus  ; 

Sed  tandem  visa  Leodina  penitus  urbe 

Componi  melius  Legias  res  ipse  suadet 

Legatus,  répétât  Leodinse  diruta  gentis 

Mœnia.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1430). 

«  Legatus  magno  animi  gaudio  Leodium  revertitur,  spe- 
rans  ex  molli  principis  verbis...  atque  leodiensis  populi  humili 
submissione,  omnem  rem  ex  sententia  se  esse  confecturum.  » 
(Herbenus,  p.  358). 


XL 

crainte  du  duc,  aurait  suivi  ses  conseils  dans  les 
moments  les  plus  critiques  (1)  ;  d'autre  part,  il  avait 
gagné  les  sympathies  des  Liégeois,  aussi  bien  celles 
du  clergé  que  de  la  bourgeoisie  :  tous  le  consi- 
déraient comme  leur  providence  (2)  ;  enfin,  ce  qui 
était  le  point  important,  il  avait  été  bien  reçu  par  le 
duc.  On  doit  donc  le  reconnaître  :  grâce  au  tact. 
à  la  prudence  et  à  la  sagesse  du  légat,  les  affaires 
étaient  bien  engagées  et  ces  préliminaires  sem- 
blaient devoir  aboutir  à  un  heureux  résultat. 

Mais  hélas  !  un  événement  survint  qui,  d'un  seul 
coup,  renversa  cet  échaffaudage  si  laborieusement 
élevé.  Plusieurs  milliers  de  bourgeois  (3),  bannis 
par  la  sentence  du  18  novembre  1467  (4),  sachant 
le  duc  de  Bourgogne  empêché  par  sa  guerre  avec  le 
roi  de  France  —  dans  laquelle  ils  espéraient  bien 
qu'il  succomberait,  —  et  encouragés  sous  main 
par  Louis  XI,  rentrèrent  inopinément  dans  la  Cité 
le  9  septembre,  révolutionnèrent  la  population  et 
se  livrèrent  à  toute  espèce  de  violences  envers  les 

(1)  «  Ludovicus  ita  se  semper  legato  exhibuit  quasi  alter  cuidam 
suo  parenti.  «  (Herbenus,  p.  357). 

(2)  «  Quem  (Honofrium)  non  secus  atque  terrenum  quemdam 
Deum  venerati  sunt.  »  (Ibid.). 

(3)  Ils  étaient  cinq  mille,  dit  Piccolomini,  p.  374.  Suivant  cet 
auteur,  ils  profitèrent  de  ce  que  Louis  de  Bourbon  avait  quitté 
Liège,  le  25  août,  pour  aller  s'établir  à  Maestricht. 

(4)  On  les  appelait  couleuvriniers  ou  compagnons  de  la  Verte 
Tente.  Herbenus,  p. 355,  prouve  ici  son  origine  flamande,  en  disant: 
«  qui  se  socios  Virdurse  nuncupabant,  quod  nos  vernaculo  sermo- 
ne  exponimus  van  der  groenre  tenten.  « 


XLI 

partisans  de  l'évêque  (i).  Cet  incident  affecta  pro- 
fondément le  légat  qui  vit  ses  espérances  de  paix 
s'évanouir  et  comprit  que  cette  nouvelle  échauf- 
fourée,  en  refoulant  tout  sentiment  de  clémence 
dans  le  cœur  de  Charles,  allait  attirer  sur  la  mal- 
heureuse Cité  toutes  les  horreurs  de  la  guerre  (2). 
Ce  fut  en  vain,  cependant,  que  les  hommes  les  plus 
sages,  craignant  pour  sa  vie,  l'engagèrent  à  quitter 
la  ville  ;  il  s'y  refusa,  même  malgré  les  instances 
de  ses  compagnons,  qui  voulaient  fuir  le  danger  (3). 
Pour  conjurer  autant  que  possible  les  terribles 
résultats  de  cette  insurrection,  Onufrius  assembla 
de  suite  les  principaux  bourgeois  du  parti  modéré 
et  les  pria  de  s'aboucher  avec  les  bannis  pour 
les  engager  de  sa  part  à  quitter  Liège  s'ils  ne 
voulaient  pas  entraîner  la  perte  de  cette  ville  (4)  ; 

(1)  Adrien,  col.  1328-1331  (les  col.  1329  et  1330  n'existent  pas), 
décrit  cette  entrée  des  proscrits  avec  beaucoup  de  détails.  Cfr. 
Jean  de  Looz,  p.  58,  et  voy.  le  Bull,  de  l'Jnst.  archéol.  lieg., 
XIII,  pp.  8  et9. 

(2)  «  Hic  licet  cernere  cuilibet  ordinera  rerum  contemplanti 
quam  is  reditus  legato  infaustus  fuerat,  utpote  qui  de  niaxima 
spe  pacis  deciderat  in  summas  angustias  mentis,  quod  conjiceret 
legationern  suam  optato  fine  minime  perfuncturam.  »  (Herbenus, 
p.  359). 

(3)  «  Tamen  ipse  furenti 

Cedere  ab  urbe  negat,  tanta  est  constantia  mentis 
Ipsius,  et  tanta  est  sedandi  cura  furentis.  « 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1432-1433). 
Cet  auteur  donne  aux  compagnons  d'Onufrius  les  noms  de 
Tuitius  et  Henricus  Lonvorchus,  qui  paraissent  estropiés. 

(4)  Selon  Piccolomini,  l'initiative  vint  des  hommes  modérés 
qui  se  trouvaient  encore  à  Liège.  Le  légat  les  réunit  sur  le  Mar- 
ché et  les  harangua,  leur  faisant  sentir  la  gravité  de  leurs  actes, 


XLII 

il  leur  faisait  promettre  de  s'employer  énergi- 
quement  auprès  du  duc  pour  obtenir  leur  rappel 
ainsi  que  leur  réintégration  pacifique  dans  leurs 
droits.  Les  proscrits  firent  répondre  que  la  misère 
seule  les  a  ramenés  dans  leurs  foyers  ;  que,  pleins 
de  respect  pour  leur  évèque  et  pour  le  légat, 
ils  désirent  conférer  avec  lui,  le  lendemain,  à  Sl- 
Jacques.  Dans  cette  entrevue,  qui  fut  des  plus  cor- 
diales ,  Onufrius  renouvela  ses  instances  pour 
décider  les  proscrits  à  se  retirer  ;  mais  ils  ne  purent 
s'y  résoudre  et,  par  l'organe  d'Amel  de  Velroux, 
le  supplièrent  de  se  rendre  auprès  de  Louis  de 
Bourbon  pour  implorer  leur  pardon  (1). 

Le  14  septembre,  Onufrius  partit  avec  quelques 
députés  pour  Maestricht,  où  l'évêque  résidait  de- 
puis le  25  août  (2).  Malheureusement,  les  bannis 
rejetèrent  les  conditions  que  leur  posa  Louis  de 
Bourbon  (3),  et  se  préparèrent  à  la  lutte.  Le  légat 

et  les  engageant  à  déposer  les  armes.  Que  s'ils  n'y  consen- 
taient pas,  il  quitterait  la  ville  et  irait  rendre  compte  au 
souverain-pontife  de  leur  obstination.  L'auteur  fait  de  cette 
scène  un  tableau  dramatique  (Dans  de  Ram,  pp.  375-376). 

(1)  Ange  de  Viterbe,  col.  1433-1436.  Cfr.  Herbenus,  p.  359  et 
Jean  de  Looz,  p.  58.  Selon  Adrien,  col.  1331,  le  légat  reçut  assez 
mal  les  chefs  des  proscrits  :  «  Legatus  respondere  fecit  eis 
quod  quando  concordes  essent  cum  domino  Leodiensi,  tune 
absolveret  eos.  » 

(-2)  Il  paraît  évident  qu'il  existe  une  lacune  assez  considérable 
dans  le  poëme  d'Ange  de  Viterbe,  col.  1436  ou  1438,  en  ce  qui  con- 
cerne ce  fait. 

(3)  «  Dominus  Leodiensis  requisivit  tria  :  Primo,  quod  illi  qui 
redierunt  de  Francia,  deponerent  arma,  et  irent  ad  unum  locum 
quem  dominus  nominaret.  Secundo  ,  quod  illi  qui  in  Leodio 
sumserunt  arma,  quod  deponerent.  Tertio,  quod  rumperent 
vexilla...  Responderunt  quod  non  facerent.  »  (Adrien,  col.  1333). 


XLIII 

rentra  à  Liège  le  21  septembre  ;  le  peuple  et  le 
clergé,  pour  lui  témoigner  leur  satisfaction  de  ses 
démarches,  vinrent  à  sa  rencontre  et  formèrent  la 
haie  depuis  la  porte  S1  Léonard  jusque  sur  le 
Marché.  Néanmoins,  Onufrius  n'avait  pas  encore 
renoncé  à  tout  espoir  de  conciliation,  et  après  plu- 
sieurs autres  voyages  qu'il  fit  à  Maestricht,  l'en- 
tente paraissait  enfin  conclue.  Le  29  septembre, 
le  bruit  courut  même  que  la  paix  était  faite,  et  le 
lendemain  Louis  de  Bourbon  s'étant  rapproché  de 
la  Cité  jusqu'à  Liers,  le  légat  et  le  peuple  accou- 
rurent au-devant  de  lui  dans  l'intention  de  le  rame- 
ner à  Liège  (i). 

Pendant  ce  temps-là,  Charles  avait  appris  la  ren- 
trée des  proscrits  dans  la  Cité,  et,  transporté  de 
fureur,  il  avait,  le  17  septembre,  par  une  lettre  datée 
de  son  ost,  établi  Gui  de  Brimeu  en  qualité  de  lieu- 
tenant pour  assembler  ses  vassaux  et  marcher 
contre  les  Liégeois  (2)  ;  le  G  octobre,  il  mande  de 
Péronne  à  l'évoque  de  rompre  toute  relation  avec 
eux,  et  en  attendant  que  sa  guerre  contre  la  France 
soit  terminée,  il  le  prévient  qu'il  envoie  Humber- 
court  à  Tongres  avec  des  troupes  (a).  Louis  re- 

(1)  Voici  la  version  de  Piccolomini,  p.  376  :  -  Jamque  dierum 
nonnullorum  diligentia  rem  eo  redegerat,  ut  reconciliatus  Ludo- 
vicus  ad  oppidum  Tongrimsecumaccederet,indeque  repetendam 
civitatem  statueret.  Convenerat  autem  ut  turba  omnis,  poeni- 
tentise  significanda  causa,  effusa  obviam  inermis  et  supplex  a 
transeunte  misericordiam  precaretur,  etc.  » 

(2)  Annales  de  VAcad.  d'archéol.  de  Belgique,  t.  III,  1867,  p. 
653,  note. 

(3)  Adrien,  col.  1333.  Suivant  Piccolomini,  il  annonce  son  arri- 
vée pour  le  lendemain  et  lui  envoie  quatre  mille  hommes  pour  le 
protéger. 


XLIV 

broussa  aussitôt  chemin  et  alla  s'installer  dans 
cette  ville  (t),  où  le  légat  vint  le  rejoindre.  Il  y  était 
depuis  trois  jours,  lorsqu'il  manifesta  l'intention 
de  retourner  à  Liège;  mais  l'évêque  le  pria  de  rester 
auprès  de  lui  jusqu'à  l'arrivée  de  Humbercourt,  et, 
désireux  de  connaître  les  ordres  du  duc,  il  y  con- 
sentit (2). 

Humbercourt  entra  dans  Tongres  le  samedi,  8 
octobre,  vers  5  heures  du  soir.  Il  rendit  visite  au 
légat,  lui  apprit  que  Charles  se  proposait  de  mar- 
cher contre  les  Liégeois,  et  l'engagea,  en  consé- 
quence, à  se  joindre  à  lui  pour  châtier  les  rebelles. 
Onufrius  fit  ressortir  l'injustice  et  la  cruauté  du 
projet  du  duc,  puisque  les  Liégeois  étaient  disposés 
à  se  soumettre  à  toutes  les  décisions  de  leur  évêque; 
il  déclara  qu'il  ne  voulait  pas  assister  à  cette  expé- 
dition et  partirait  le  lendemain  pour  Maestricht. 
Humbercourt  rapporta  ces  paroles  aux  capitaines 
des  troupes  bourguignonnes,  qui  tinrent  conseil  ; 
au  milieu  de  la  nuit,  l'un  d'eux,  Jean  de  Bergues, 
vint  trouver  le  légat  (3)  et  lui  annonça  qu'on  était 

(1)  Le  bruit  courut  que,  s'il  était  venu  à  Liège,  il  aurait  été 
en  grand  danger,  car  les  bannis,  rassemblés  sur  le  Marché, 
tiraient  des  couleuvrines  ;  ce  que  voyant,  le  légat  avait  expri- 
mé ses  craintes,  et  aussitôt  Amel  de  Velroux  avait  fait  cesser  le 
tir  (Adrien,  col.  1333).  Les  détails  qui  précèdent  sont  fournis  par 
le  même  chroniqueur.  Il  nous  fait  savoir  que,  le  1er  octobre,  à  4 
heures,  le  légat,  en  l'absence  de  l'évêque,  établit  Gilles  de  Lens 
et  Amel  de  Velroux  comme  bourgmestres  de  la  Cité.  Abry  ne 
mentionne  pas  ce  fait  dans  son  Recueil  héraldique  des  bourg- 
mestres de  la  Cité  de  Liège. 

(2)  Ange  de  Viterbe,  col.  1439. 

(3)  Il  lui  témoigne  l'estime  qu'il  a  conçue  pour  sa  personne  : 


XLY 

d'accord  pour  permettre  aux  Liégeois  de  venir 
librement  implorer  le  pardon  de  l'évèque.  Onufrius 
ayant  témoigné  des  doutes  pour  la  sécurité  des 
députés  liégeois  à  Tongres,  engagea  de  Bergues 
à  l'accompagner  à  Liège  même  pour  y  traiter  de  la 
paix,  ce  que  celui-ci  accepta  (i). 

11  est  donc  évident,  dit  Herbenus,  que  ce  ne  fut 
pas  la  faute  du  légat  si  la  ville  de  Liège  subit  un  sort 
effroyable,  mais  bien,  comme  on  le  verra,  celle 
d'une  poignée  de  proscrits  ;  car  Onufrius,  tout  en 
constatant  la  mauvaise  tournure  que  prenaient  les 
choses,  ne  cessa  jamais  d'exhorter  les  rebelles  à 
faire  leur  soumission  (2). 

Dès  le  môme  jour,  vers  1-  heures  du  soir,  des 
lettres  de  Tongres  étaient  déjà  parvenues  à  Liège 
pour  annoncer  l'arrivée  imminente  de  Humber- 
court  et  de  ses  troupes,  et  en  même  temps  pour 
prévenir  qu'il  serait  facile  de  les  surprendre  pen- 
dant la    nuit   (3).   Aussitôt,   ne    doutant   plus   du 

••  Aime  pater,.Brugis,  Lovaniiet  Metibusolim 
[psetuam  novi  virtutom,  et  scmper  amavi  ; 
Et  si  quid  possem,  servatoscmpLT  honore 
Burguiuli  tlomini,  i'accrem,  noctesque  diesque 
Pro  te  proquc  tuis,  l'uerit  dum  vita  superstes.  » 
(Ange  de  Vitesse,  col.  1440). 

(1)  Ange  de  Viterbe,  col.  1441. 

(2)  «  Nulla  igitur  legati  culpa  tanta  urba  tam  misère  afflicta 
est,  sed  paucorum  exulum,  qui  démentis  principis,  ac  salvare 

cupientis,  animum  ad  tantam  indignitatem    provocaverunt 

Eosdem  ad  humilitatem  adhortari  conatus  est.  »  (Herbenus, 
I».  359). 

':•.   Adrien,  cul.  1334.  Theodoricus  Pauli,  pp.  210-21 1 ,  place 
ce  l'ait  au  dimanche  19  octobre,  et  en  donne  un  récil  fantaisiste. 


XL  VI 

sort  qui  les  attendait,  et  voulant,  dans  leur  déses- 
poir, tenter  un  dernier  effort,  trois  cents  bannis  (i) 
quittent  la  Cité,  tombent  vers  onze  heures  sur  les 
Bourguignons  et  s'emparent  de  Tongres.  Bourbon, 
accompagné  de  quelques-uns  des  siens,  descend 
dans  la  rue  et  veut  se  défendre  ;  mais  il  est 
repoussé.  Onufrius  réveillé  par  le  bruit  ,  fait 
ouvrir  la  porte  de  son  hôtel  et  va  au  devant  des 
Liégeois  dont  il  a  reconnu  le  cri  (2).  Il  s'informe 
de  l'évêque  :  on  lui  répond  qu'il  s'est  enfui  à  Maes- 
tricht.  Alors,  voyant  tout  espoir  de  paix  à  jamais 
perdu,  il  se  répand  en  plaintes.  Mais  heureusement 
cette  nouvelle  était  fausse,  car  un  chevalier  de  la 
suite  de  Louis  vint  en  ce  moment  prier  le  légat  de 
l'accompagner  près  de  son  maître  ou  de  permettre  à 
celui-ci  de  venir  le  rejoindre.  Onufrius  ayant  trouvé 
plus  de  garanties  de  sécurité  dans  ce  dernier 
parti,  Louis,  Humbercourt  et  une  centaine  de 
Bourguignons  pénètrent  chez  lui  par  les  jardins 
et  se  mettent  sous  sa  protection  (a).  Il  promet  d'a- 

(1)  Herbexus,  p.  360.  jean  de  Looz,  p.  59,  dit  qu'ils  étaient 
environ  500  et  Piccolomini,  p.  377,  deux  mille.  Suivant  Theod. 
Pauli,  p.  211,  c'était  toute  une  armée  :  «  Statim  magno  exercitu 
eongregato.  * 

(2)  «  At  sacer  orator  somnoestexcussus.et  ipsos 
Agnovit  Legios  tanto  clamore  furentes... 
Mox  mandat  tecti  resereturjanua  possint 
Intrare  ut  Legii  utque  Mis  ipse  obvios  ire, 
Et  sermone  queat  tantos  sedare  tumultus.  » 
(Ange  de  Viterbe,  col.  1442). 
«  Legatus,  qui  ab  initio  tumultus  inermis  in  vicum  erat  pro- 
gressus..  ••  (Piccolomini,  p.  377). 
(3)  Ange  de  Viterbe,   col.  1443.   Suivant  Adrien,  col.   1334, 


XLVII 

paiserlesLiégeois,  surtout  si,  en  retour,  il  peut  leur 
garantir  la  paix.  Toutefois,  on  convient  d'attendre 
le  jour. 

Cependant,  de  grand  matin,  les  Liégeois  n'ayant 
pas  trouvé  l'évêque  dans  son  palais,  arrivent  de- 
vant la  demeure  du  légat  ;  il  les  harangue  d'une 
fenêtre  et  parlemente  avec  les  chefs ,  qui  lui 
exposent  leurs  griefs  (î).  Pour  toute  réponse, 
Onufrius  demande  si  leur  intention  est  d'emmener 
l'évêque  prisonnier;  ils  répondent  qu'ils  ne  veulent 
qu'une  chose,  l'avoir  à  Liège  pour  le  reconnaître 
comme  leur  seigneur.  Louis  se  montra  alors  et 
fut  acclamé  par  ses  sujets,  qui  le  ramenèrent  en 
triomphe  dans  sa  capitale.  Il  y  rentra  le  dimanche, 

l'évêque  et  le  légat  logeaient  dans  le  même  hôtel  et  Hurobercourt 
vint  les  y  retrouver.  Ce  chroniqueur,  col.  1334-1335,  donne  de  la 
suprise  de  Tongres,  un  récit  détaillé  qu'il  tient  évidemment  de 
la  bouche  de  Humbercourt.  Theod.  Pauli,  à  son  ordinaire, 
p.  212,  invente  une  scène  dramatique  et,  qui  est  plus,  avance  des 
faits  entièrement  faux.  Henri  de  Merica  aussi,  p.  173-174,  s'aban- 
donne aux  écarts  de  son  imagination  :  «  Cum  autem  legatus, 
increscente  rumore,  viros  Belial  ante  fores  hospitii  suiad  capien- 
dum  eum  stare  didicisset,  excutiens  se  cito  de  lecto,  apertis 
caméra?  fenestris,  convertit  se  ad  illos.  Videres  hominem  pavi- 
dum  et  trementem  scalpere  pedibus,  supplices  attollere  palmas, 
motu  instabili  corpus  agitare,  alta  voce  clamare  et  sine  cessa- 
tione  dicere  :  Legatus  ego  sum!  Legatus  ego  sum !  »  Cf.  le  Bull,  de 
VInst.  archéol.  liég.,  t.  XIII,  p.  12. 

(î)  Ce  fut  Jean  Arnold  qui  prit  la  parole  en  cette  circonstance. 
Ange  de  Viterbe,  col.  1444-1448,  lui  fait  tracer,  de  tous  les  faits 
antérieurs,  un  tableau  fort  curieux, qui  constitue  en  même  temps 
un  éloge  du  légat.  Suivant  Piccolomini,  il  déclara  que  si  Louis 
ne  voulait  pas  retourner  à  Liège,  ses  compagnons  étaient  décidés 
à  mettre  le  feu  à  la  ville  et  à  la  réduire  cette  même  nuit  en 
cendres  avec  tous  ceux  qui  s'y  trouvaient. 


XLYIII 

vers  une  heure  de  l'après-midi,  au  milieu  des  cris 
de  joie  de  la  foule  qui  s'était  portée  à  sa  rencontre; 
mais,  malgré  ces  démonstrations  enthousiastes, 
Louis  avait  plutôt  l'air  d'an  prisonnier  que  d'un 
souverain  revenant  au  milieu  de  son  peuple  (1). 

Le  mardi,  11  octobre,  l'évêque  et  le  légat  se 
rendent  au  palais,  où  était  convoquée  une  assem- 
blée populaire,  et  grâce  à  Onufrius  (2),  une  paix 
est  conclue  et  publiée  le  lendemain  (3). 

Les  faits  qui  suivirent  sont  longuement  racontés 
par  Ange  de  Viterbe  dans  les  chants  V  et  VI  de  son 
poème.  Mais  ils  ne  paraissent  être  qu'une  para- 
phrase de  la  relation  d'Onufrius,  et  comme  je  n'ai 
trouvé,  dans  les  autres  chroniqueurs,  aucune  par- 
ticularité remarquable  sur  notre  légat,  je  passe  sur 
tous  les  événements  qui  eurent  lieu  depuis  le 
retour  de  Louis  à  Liège  jusqu'après  le  sac  de  cette 
malheureuse  ville. 

Ayant  vu  l'inutilité  de  ses  elïorts  pour  exciter  la 
pitié  de  Charles  à  l'égard  des  Liégeois,  Onufrius, 
presque  seul,  découragé,  épuisé  de  douleur  et  de 

(1)  Ange  de  Viterbe,  col.  1448-1449  ;  Adrien,  col.  1336. 

(2)  «  Magister  Hubertus  dixit  verbum  legati  de  pace  facienda, 
primo  ad  Deum,  secundo  cum  domino,  tertio  inter  nos,  quarto 
ad  vicinos  nostros  ;  et  quodlegatus  intenderet facere  pacem  quse 
in  perpetuum  duraret.  »  (Adrien,  col.  1336).  Ce  fut  aussi  le  11  oc- 
tobre que  les  premières  nouvelles  des  événements  de  Tongres 
arrivèrent  à  Péronne,  où  Louis  XI  se  trouvait  depuis  le  9. 

(3)  «  Facto  igitur  inter  dominum  et  civitatem  tractatu,  pax 
in  Leodio  fuit  proclamata  et  insiguia  régis  deposita.  »  (Adrien, 
col.  1337). 


XLIX 

fatigue,  avait  gagné  péniblement  Maestricht  (î). 
C'est  là  qu'an  témoin  oculaire,  le  nonce  apostolique 
Albert  (2), qui  avait  suivi  l'armée  bourguignonne,  lui 
raconta  la  destruction  delà  Cité. 

Un  chroniqueur  dont  j'ai  déjà  signalé  l'inexacti- 
tude (3),  avance  ensuite  au  sujet  d'Onufrius  des  as- 
sertions que  je  ne  puis  accepter  que  sous  bénéfice 
d'inventaire.  Voici  ce  qu'il  raconte:  Amel  de  Vel- 
roux  ayant  été  fait  prisonnier  par  les  Bourguignons 
et  envoyé  à  Maestricht,  vers  le  14  novembre  (4),  le 
duc  Charles  ordonna  son  exécution.  Amel  implora 
sa  grâce  en  déclarant  que,  trompé  par  le  légat,  il 
n'avait  agi  que  d'après  ses  ordres  et  ses  suggestions: 

(1)  «  Intérim  tamen  non  destitit  cuncta  perlustrare,  si  quis 
casus  eum  in  tanto  strepitu  armorum  ad  ducera  perduceret...Sed 
cernens  legatus  leges  inter  armatos silere  atque  dignitatem  suam 
inter  sanguinarios  satellites  versari  multisque  periculis  esse  ex- 
positam,ducis  primum  deinde  proprio  consilio  fretus,  coactns  est 
abexercitu  cedere.  «  (Herbenus,  p.  360). 

(2)  «  Perveniens  itaque  magnis  periculis  Trajectum,  tantisper 
illic  remansit,  dum  misera?  urbis  excidium  ab  Alberto,  apostolico 
nnntio,  qui  liberius  inter  armatos  versât  us  est,  recitante  perdidi- 
cerit.  »  (Herisenus,  pp.  360-361). 

«  Ecce 
Nuntius  ad  dominum  Burgundum  missus,  ad  almum 
Legatum  rediit,  Legiae  post  moenia  gentis 
Evcrsa,  etcastris  ubi  non  invenit,  oberrat  : 
Denique  Trajectum,  sumtis  insignibus  armis 
Pontilicis  Pauli,  velox  allabitur,  audit 
Vivum  esse,  ac  sedes  ipsius  tutus  adivit.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1466). 
(3)  Theodoricus  Pauli,  p.  226. 

(1)  D'après  Adrien,  col.  1345,  Charles,  arrivé  à  Maestricht  le  9 
novembre,  quitta  cette  ville  le  12. 


que  c'était  d'après  ses  conseils  que  les  proscrits 
étaient  rentrés  à  Liège  où  il  allait  rétablir  la  paix  en 
vertu  de  l'autorité  qu'il  tenait  du  Saint-Siège,  et 
avec  l'assurance  que  le  duc,  absorbé  par  ses  dé- 
mêlés avec  la  France,  n'en  reviendrait  pas  ;  après 
tout,  avait-il  dit,  si  l'évèque  se  refusait  à  remplir 
ses  obligations,  il  le  déposerait  pour  mettre  à  sa 
place  un  prélat  plus  accommodant.  Il  l'accusa  ainsi 
publiquement  de  toutes  les  violations  commises  à 
Liège  contre  la  foi  jurée  et  les  traités  conclus  avec 
le  duc.  Le  chroniqueur  ajoute  encore  que  les  Lié- 
geois, errants  et  misérables,  accablaient  le  légat  de 
malédictions,  que  Charles  fit  précipiter  les  gens  de 
sa  suite  dans  la  Meuse,  et,  pour  le  punir  d'avoir 
excité  et  soutenu  les  Liégeois  contre  lui,  l'envoya 
avec  son  chapelain  en  prison,  au  château  de  Vil- 
vorde,  où  il  fut  étroitement  gardé  (1). 

Jean  de  Looz,  beaucoup  plus  véridique,  semble 
dire  que  Onufrius  resta  àMaestricht  jusqu'en  1469, 
et  qu'alors  seulement  il  songea  à  reprendre  la  route 
de  l'Italie.  S'il  en  fut  ainsi,  il  faut  croire  que  le 
légat  fut  retenu  à  Maestricht  par  l'état  de  sa  santé. 
En  effet,  ainsi  qu'il  le  déclare  lui-même,  les  préoc- 
cupations de  toute  nature,  les  fatigues  corporelles, 
les  privations,  les  souffrances  morales  avaient  pro- 
fondément altéré  sa  constitution.  Avant  son  dé- 
part, il  réclama  des  indemnités  pour  les  pertes 
qu'il  avait  éprouvées  et  pour  toutes  les  peines  que 
sa  légation  lui  avait  causées  ;  chaque  chanoine  et 

(0  Dans  de  Ram,  pp.  231-232. 


LI 

chaque  abbé  lui  remit  dix  florins  du  Pihin,  et  chaque 
chapelain  trois  ou  quatre  (1). 

On  conçoit,  dit  Herbenus  (2),  dans  quelles  tristes 
pensées  Onufrius  regagna  cette  ville  de  Rome  où  il 
avait  espéré  rentrer  après  une  mission  heureuse- 
ment accomplie.  Pour  comble  de  douleur,  Paul  II  le 
reçut  froidement  et  ne  lui  accorda  même  pas  les 
honneurs  publics  avec  lesquels  on  reçoit  d'ordi- 
naire les  légats  à  leur  retour  dans  la  ville  Eter- 
nelle (3).  La  cause  du  mécontentement  du  pape  n'est 
pas  bien  connue.  Herbenus  semble  insinuer  qu'il 
provenait  simplement  de  l'insuccès  de  sa  mission  ; 
mais  peut-être,  le  bruit  d'une  plus  grave  accusation, 
répandue  par  le  parti  bourguignon,  était-il  arrivé 
jusqu'à  Piome.  On  disait  —  Philippe  de  Gommines 
et  d'autres  historiens  ont  relevé  complaisamment 
cette  rumeur  —  qu'Onufrius  aurait  excité  les  Lié- 
geois à  larévolte  contre  Louis  de  Bourbon  et  Charles 
de  Bourgogne  par  ambition  personnelle  et  pour  de- 
venir lui-même  évèque  de  Liège.  «  Mais,  dit  M.  de 
Villenfagne(4),sil'évèquede  Tricaria,  trahissant  ses 
devoirs,  eût  fomenté  la  sédition  à  Liège,  comment 
supposer  que  le  duc  de  Bourgogne,  si  irrité,  si  fu- 
rieux, lui  qui  n'avait  pas  craint  de  retenir  son  roi 

(1)  Jean  de  Looz,  p.  63. 

(2)  Dans  de  Ram,  p.  361. 

(3)  «  Erat  summus  pontifex  vehementissime  legato  infensus,  ita 
ut  ne  publico  honore  quo  legati  assolent,  in  Urbem  recipitur.  » 
(Herbenus,  ibid.). 

(4)  Mélanges,  1810,  p.  365.  De  Gerlache,  Hist.  de  Liège,  p.  233, 
note,  réfute  également  cette  accusation. 


ni 

prisonnier,  comment  supposer,  dis-je,  qu'il  lui  eut 
fait  rendre  les  honneurs  qui  lui  étaient  dus  comme 
envoyé  du  Siège  apostolique,  et  comment  se  per- 
suader qu'il  eût  voulu,  après,  l'admettre  à  son  au- 
dience ?  Remarquons  encore,  ajoute  cet  écrivain, 
que  tous  nos  auteurs,  loin  de  dépeindre  l'évêque 
de  Tricaria  comme  un  ambitieux,  le  représentent 
comme  un  homme  sensible,  qui  fit  ce  qu'il  put  pour 
détourner  l'orage  qui  allait  fondre  sur  la  ville  de 
Liège.  En  effet,  il  est  certain  que  le  légat  plaida 
inutilement  la  cause  des  Liégeois  dans  les  termes 
les  plus  éloquents,  et  fit  les  efforts  les  plus 
énergiques  pour  émouvoir  le  duc  et  lui  arracher 
leur  pardon.  » 

Quoiqu'il  n'eût  rien  à  se  reprocher,  Onufrius 
prit  à  cœur  de  se  justifier  complètement  près  du 
pape  (t).  A  cet  effet,  il  jeta  les  yeux  sur  un  poète 
italien  alors  célèbre,  Angélus  de  Gurribus  Sabinis, 
de  Viterbe,  le  chargea  d'écrire  l'historique  de  sa 
mission,  et  lui  adjoignit  un  prêtre  attaché  à  sa  per- 
sonne, très  versé  dans  la  théologie  et  la  littérature, 
nommé  Matthias  Herbenus.  Nous  avons  parlé 
plus  haut  du  poème  d'Ange  de  Viterbe.  Il  était 
terminé  lorsque  Paul  II,  auquel  il  était  déjà 
dédié,  vint  à  mourir  subitement,  le  28  juillet  1471. 
Or  c'était  pour  recouvrer  ses  bonnes  grâces  qu'O- 

(i)  Voici,  suivant  Herbenus,  p. 361,  les  motifs  de  cette  décision: 
»  Quia  humanajudicia  plerumque  ab  eventis  ac  casibus  rerum 
fortuitarum  pendent,  idcirco  sit  ut  cum  unus  quidem  multorum 
criminibus  virtute  par  esse  nequeat,  in  eumdem  omnium  delin- 
quentium  peccata  impingantur.  » 


lui 

nufrius  avait  entrepris  cette  œuvre  laborieuse.  On 
peut  juger  du  chagrin  et  du  découragement  qu'il 
éprouva.  Cette  contrariété,  jointe  aux  fatigues  et 
aux  angoisses  de  sa  mission,  lui  occasionna  une 
maladie  mortelle  (i).  En  vain,  Sixte  IV  qui  venait 
de  succéder  à  Paul  II,  reconnaissant  ses  mérites, 
lui  promit-il  le  chapeau  de  cardinal  (2).  Sa  santé 
était  ruinée,  et,  le  20  octobre,  trois  mois  après  la 
mort  de  Paul  II,  il  descendit  lui-même  dans  la 
tombe.  Enterré  à  Rome,  dans  l'église  de  Ste-Marie 
de  Publicolis,  on  grava  sur  sa  tombe  l'inscription 
suivante  : 

Amissvm  tellvs  si  flevit  Romvla  Brvtvm, 

Si  Gvrivm  et  Scavros,  si  Gicerona  patrem  ; 
pvblicol.e  vita  defvnctvm   corpvs  honophru 

ecclesia  ob  mores  et  bene  facta  fleat  : 
Pro  qva  bis  Gallos,  bis  Rheni  flvmina  vidit, 

Pro  QVA,  NIL  fvgiens,  plvrima  damna  tvlit. 
Tricarivs  pr^esvl  referendi  et  mvnvs  habebat, 

romanvs  patrle  famaque  magna  svm. 
Deniqve  legatvs  lateris  transmissvs  ad  vrbes 

Belgas,  Bvrgvndi  premet  vt  arma  dvcis. 
gvm  bello  rverent  leodin.e  mœnia  gentis, 

avt  popvli,  avt  domini  sorte  dolenda  svi, 
Tantvm  concepit  generosa  mente  dolorem, 

Staminé  quod  vit^e  rvpta  fvere  svm. 

(1)  «  Contigit  Honofrio,  partim  languore  animi  partim  labori- 
bus  atque  anxietatibus  in  legatione  perpessis,  in  gravissimam 
ffigritudinem  incidere,  unde  etiam  consuraptus  est.  »  (Ibid.). 

(2)  »  Agnoscens  magnanimitatem  atque  in  rébus  agendis  viri 
dexteritatem.  »  (Ibid.). 


LIV 

Non  animo  qvisqvam  major  ne  aptior  alter 
consiliis  patrice  gvltor  et  ecclesle. 

eloqvio  et  lingva  pollerat,  glarvs  in  omni 
hlstoria  et  notvm  jvris  vtrvmqve  genvs  (l). 

Ange  de  Viterbe  ayant  vu  mourir  les  deux  seules 
personnes  qui,  pour  le  moment  du  moins,  pou- 
vaient attacher  quelque  prix  à  son  poème,  le  con- 
serva par  devers  lui.  A  sa  mort,  nul  ne  s'en  préoc- 
cupa, et  on  ne  sut  ce  qu'il  devint.  Plusieurs  années 
après,  Matthias  Herbenus,  qui  s'intéressait  à  ce 
travail,  d'abord  parce  qu'il  justifiait  son  maître 
d'imputations  odieuses ,  et  ensuite  parce  qu'il 
avait  trait  à  des  événements  dont  son  pays  natal 
avait  été  le  théâtre,  et  qui  sait,  regrettant  peut- 
être  en  sa  qualité  de  collaborateur,  que  le  fruit  de 
tant  de  peines  fut  perdu  pour  la  postérité,  se  mit 
à  la  recherche  du  manuscrit  égaré  et  finit  par  le 
découvrir  ;  mais  selon  toute  probabilité,  ce  fut  seu- 
lement dans  les  premières  années  du  seizième 
siècle. 

Les  renseignements  qu'on  vient  de  lire  sur  la 
personne  d'Onufrius,  donnent  de  ses  capacités 
une  opinion  très  favorable  ,  et  montrent  son 
caractère  sous  un  jour  des  plus  sympathiques.  Cet 
homme  devait  être  doué  d'une  grande  énergie  et 
d'une  fermeté  peu  commune.  Souvent  il  fait  preuve 
d'un  véritable  courage.  De  plus,  il  est  toujours 
sincère  ,    loyal ,    dévoué  ;    on   le  sent    incapable 

(])  Cette  épitaphe,  tirée  cTUghelli,  Italia  nacra,  Venise,  1720, 
t.  VII,  p.  154,  a  été  reproduite  par  M.  de  Ram,  Documents. 
p.  XVII. 


LV 

d'une  action  basse,  et  les  accusations  dont  il  fut 
l'objet  ne  résistent  pas  à  cette  impression.  Les 
peines  qu'il  s'est  données  pendant  sa  longue  et 
difficile  mission,  les  déboires,  les  fatigues,  les 
souffrances  qu'il  a  endurées  pour  épargner  à  nos 
ancêtres  et  à  notre  vieille  Cité  une  effroyable  ca- 
tastrophe, l'esprit  de  conciliation  et  de  paix,  le  pro- 
fond amour  du  bien  qui  ne  cessèrent  de  l'animer,  le 
dévouement  et  l'abnégation  dont  il  fit  constamment 
preuve,  doivent  rendre  sa  mémoire  chère  aux  Lié- 
geois. A  ce  titre  déjà,  notre  publication  sera  ac- 
cueillie avec  faveur  par  nos  concitoyens.  Elle  le 
sera  encore  pour  un  autre  motif:  c'est  qu'elle  nous 
donne  sur  un  des  faits  les  plus  mémorables  de  nos 
annales,  des  renseignements  que  l'on  chercherait 
vainement  parmi  les  nombreuses  sources  que  l'on 
possède  sur  cette  époque  et  que  j'ai  énumérées 
plus  haut.  Enfin,  si  jamais  document  fut  d'une 
authenticité  indiscutable, c'est  bien  celui-ci,  puisque 
l'auteur,  merveilleusement  placé  pour  bien  voir,  ne 
relate  que  ce  dont  il  a  été  témoin,  et  raconte,  pour 
ainsi  dire,  jour  par  jour,  sa  propre  histoire. 

Certes,  il  eut  été  préférable  de  faire  connaître  le 
texte  même  de  la  relation  d'Onufrius.  Mais,  par  une 
étrange  fatalité  qui  semble  s'attacher  aux  mémoires 
justificatifs  du  légat,  de  même  que  le  poème  d'Ange 
de  Viterbe  fut  longtemps  perdu,  la  relation  origi- 
nale d'Onufrius  est  aujourd'hui  égarée.  En  1818,  un 
célèbre  historien  danois,  le  Dr  H.  Fr.  J.  Estrup, 
conseiller  d'Etat,  la  découvrit  chez  un  libraire  de 
Rome.  En  homme  habitué  à  juger,  du  premier  coup, 


LVI 

de  l'importance  d'un  document,  M.  Estrup  en  fit  l'ac- 
quisition. De  retour  chez  lui,  il  l'étudia  de  plus  près, 
la  compara  avec  d'autres  sources  contemporaines, 
et  acquit  bientôt  la  conviction  qu'elle  contenait,  au 
point  de  vue  de  l'histoire,  des  données  précieuses, 
inconnues  jusqu'à  ce  jour.  Il  s'entoura  alors  de 
tous  les  renseignements  qu'il  put  recueillir  et  pu- 
blia, en  1828, dans  les  Annales  historiques,  littéraires 
et  artistiques  du  Nord  (1),  un  travail  étendu  basé 
sur  la  relation  du  légat. 

Cette  étude  attira  vivement  l'attention  du  public 
lettré  de  la  Belgique  (2),  et  lorsque  notre  Commis- 
sion royale  d'histoire  fut  instituée  dans  le  but  de 
mettre  au  jour  les  sources  de  nos  Annales,  la  rela- 
tion d'Onufrius  fut  de  suite  désignée  comme  devant 
y  figurer  au  premier  rang.  C'est  M.  A.  Borgnet  qui, 
le  premier,  en  1856,  fit  des  démarches  pour  obtenir 
en  communication  le  texte  original.  Il  s'adressa  à 
M.  Ch.-Chr.  Rafn,  membre  de  l'Académie  royale  de 
Belgique,  qui  lui-même  pria  M.  C.-F.  Wegener, 
vice-président  de  la  Société  royale  des  antiquaires 

(1)  Nordisk  Tidshrift  for  Historié,  Literatur  og  Konst,  udgi- 
vet  a f  Christian  Molbech,  t.  II,  pp.  169-218  ec  329-351.  Ce  travail 
a  été  réédité  dans  les  Œuvres  complètes  d'Estrup,  Estrups 
samlede  Skrifter,  Copenhague,  1851,  t.  II,  pp.  405-480.  C'est 
M.  Engelstoft,  évèque  d'Odensée  et  parent  de  M.  Estrup,  qui  a 
soigné  cette  édition. 

(2)  Et  aussi  de  la  France.  M.  Férussac  en  rendit  compte  dans  le 
Bulletin  des  sciences  historiques,  Paris,  1829,  t.  XIII,  p.  381. 
Cette  collection  ne  se  trouve  pas  en  Belgique  ;  c'est  ce  qui  ex- 
plique l'erreur  que  j'ai  commise  dans  le  Bull,  de  la  Commission 
royale  d'histoire,  3e  série,  t.  IX,  p.  462,  en  disant  qu'il  existe  un 
manuscrit  de  la  relation  d'Onufrius  à  Rome. 


LVII 

du  Nord  et  archiviste  intime  du  royaume  de  Dane- 
marck  (1),  et  M.  le  professeur  Aug.  Rothe,  de  Sorô, 
de  s'occuper  de  cette  affaire.  Malheureusement,  le 
Dr  Estrup  était  mort  depuis  1846,  et  les  recherches 
les  plus  obligeantes  pour  découvrir  le  manuscrit 
restèrent  sans  résultat. 

A  la  fin  de  l'année  1858,  M.  Fr.  Schiern,  profes- 
seur d'histoire  à  l'Université  de  Copenhague,  pré- 
senta spontanément  ses  services  pour  se  livrer  a 
de  nouvelles  investigations  (2).  Son  offre  fut  accep- 
tée avec  empressement,  mais  sans  doute  il  ne  réus- 
sit pas  dans  ses  recherches,  car  on  n'en  eut  plus  de 
nouvelle. 

Chargé,  en  1876,  de  présenter  à  la  Commission 
d'histoire  un  programme  pour  la  formation  d'un 
corps  de  chroniques  liégeoises  inédites,  je  m'oc- 
cupai à  mon  tour  du  Commentaire  d'Onufrius  et, 
grâce  à  la  bienveillante  intervention  de  M.  le  che- 
valier F.  de  Bertouch,  veneur  de  la  cour  de  S.  M.  le 
roi  de  Danemarck,  qui  habite  notre  pays,  M.Wege- 
ner  s'occupa  de  nouveau  du  môme  objet. Il  supposa 
que  le  manuscrit  pourrait  se  trouver  dans  les  châ- 
teaux de  Kongsdal  en  Sélande  ou  de  Skaffôgaard 
en  Jutlande,  appartenant  tous  deux  à  la  famille 
Estrup,  mais  ses  recherches  demeurèrent  encore 
une  fois  infructueuses. 

Puisque  donc  il  semblait  évident  qu'il  fallait  re- 
noncer à  mettre  la  main  sur  le  texte  original  du 

(1)  Auteur  d'une  Vie  de  Charles  le  Bon,  comte  de  Flandre. 

(2)  Voy.  les  Bulletins  de  la  Commission  royale  cChistoire, 
2«  série,  t.  XII,  p.  17,  et  3e  série,  t.  I,  p.  290. 


LVIII 

légat,  il  nous  restait  à  mettre  à  profit  l'analyse  que 
M.  Estrup  en  avait  faite.  Déjà  M.  Borgnet  avait  eu 
cette  pensée  et,  à  cet  effet,  il  en  avait  fait  faire,  par 
M.  le  DrLiebrecht,  la  traduction  littérale.  Après  avoir 
remanié  ce  premier  travail,  je  sollicitai  et  obtins  de 
S.  Exe.  M.  Jacques  B.-S.  Estrup,  président  actuel  du 
Conseil  des  ministres  du  Danemark,  et  fils  du  con- 
seiller d'Etat,  l'autorisation  d'en  faire  l'objet  d'une 
publication  pour  la  Société  des  Bibliophiles  liégeois. 
Puis,  grâce  aux  bons  offices  de  M.  de  Bertouch  et  de 
son  cousin  S.  Exe.  M.  lebaronde  Rosenôrn-Lehn,  mi- 
nistre des  affaires  étrangères,  je  fus  mis  en  rapport 
avec  un  employé  de  ce  ministère,  qui  voulut  bien 
vérifier  l'exactitude  de  la  traduction. 

Pour  payer  toutes  mes  dettes  de  reconnaissance, 
je  dois  ajouter  que,  n'ayant  pas  trouvé  dans  les 
bibliothèques  de  Namur  les  livres  dont  j'avais 
besoin  pour  ma  préface  et  pour  ajouter  au  texte 
de  M.  Estrup  quelques  notes  indispensables  (i), 
j'ai  eu  recours  à  l'obligeance  de  mes  bons  amis  le 
chevalier  G.  de  Borman,  à  Schalkhoven,  M.  Jules 
Petit,  de  la  Bibliothèque  royale,  le  baron  Adrien 
Wittert,  à  Bruxelles,  H.  Helbig  et  le  Dr  Alexandre, 
archiviste  provincial,  à  Liège,  qui  tous,  répondant 
à  mon  appel  avec  un  empressement  dont  je  ne  sau- 
rais assez  les  remercier ,  ont  rendu  ma  tâche 
beaucoup  plus  facile. 

(i)  Les  notes  que  j'ai  cru  devoir  joindre  à  celles  de  M.  Estrup 
sont  précédées  d'un  astérisque. 


Lutte  de  la  Cité  de  Liège  contre  les  ducs  de  Bour- 
gogne    ET    DESTRUCTION     DE     CETTE     VILLE,     EN     1468, 

d'après  les  Rapports  du   légat  Onufrius,  par   le 
Dr  H.-F.-J.  Estrup. 

Aujourd'hui  que  certains  hommes  d'état  rivalisent  de 
zèle  pour  faire  connaître  au  monde  leur  caractère  public 
par  des  Mémoires  qui  trouvent  immédiatement  des  milliers 
de  lecteurs  bénévoles,  il  ne  sera  peut-être  pas  sans  intérêt 
de  tirer  de  quelques  manuscrits  que  j'ai  découverts  chez 
un  bouquiniste  de  Rome,  les  Rapports  d'un  légat  apostolique 
du  quinzième  siècle,  intitulés  :  Ad  beatissimum  Pont. 
Max.  Paulum  II,  Honofrii,  Tricariensis  episcopi,  de 
rébus  in  sua  legatione  germanica  gestis,  et  civitatis 
Leodiensis  excidio,  commentarium  primum.  Il  existe, 
dans  les  archives  du  Saint-Siège,  beaucoup  de  Rapports 
semblables,  qui  n'ont  été  utilisés  que  par  Baronius  et  par 
quelques  autres  historiographes  privilégiés;  mais  le  nombre 
des  documents  de  ce  genre  qui,  comme  celui-ci,  ont  franchi 
l'enceinte  du  Vatican  pour  s'aventurer  au  dehors  et  af- 
fronter la  pleine  lumière,  est  fort  restreint.  Le  Mémoire 
d'Onufrius,  pour  autant  du  moins  que  j'ai  pu  m'en  assurer, 
n'est  connu  que  de  moi  et  de  mon  bouquiniste  ;  et,  bien  qu'il 
ne  vaille  guère  la  peine  d'être  imprimé  dans  son  intégrité, 
il  mérite  toutefois  d'être  rendu  public  par  un  résumé  fidèle. 


—  2  — 

C'est  ce  résumé  que  j'ai  tâché  de  faire,  en  respectant  le 
style  sans  prétention  de  l'auteur,  mais  en  le  débarrassant 
d'une  insupportable  exubérance  de  mots  et  de  phrases  inu- 
tiles ;  tout  en  conservant  scrupuleusement  l'exposé  des  faits 
dans  l'ordre  où  ils  se  présentent,  j'ai  rejeté  les  circonstances 
de  minime  importance  et  raccourci  les  longs  discours  en 
latin  barbare.  De  plus,  j'ai  fait  précéder  la  relation  de 
notre  légat  d'une  introduction,  et  je  l'ai  comparée  avec 
d'autres  récits  contemporains,  quelquefois  pour  suppléer 
à  ce  qui  lui  manque,  mais  plus  souvent  pour  la  rectifier. 

Le  Commentaire  d'Onufrius  se  rapporte  à  Louis  XI,  roi 
de  France,  à  Charles  le  Téméraire,  duc  de  Bourgogne,  et  au 
sac  de  la  ville  de  Liège  auquel  ces  deux  princes  assistèrent. 
Cet  événement  frappa  l'Europe  de  stupeur  ;  de  nos  jours 
encore,  il  est  mis  en  scène  sous  différentes  formes,  par  des 
historiens  et  des  poètes  (i)  qui,  tous,  juchés  sur  les  épaules 
de  Philippe  de  Commines,  apprécient  de  ce  point  de  vue 
partial  les  hommes  et  les  choses.  Onufrius,  qui  habitait 
Liège  à  cette  époque,  et  qui  fut  activement  mêlé  aux  événe- 
ments de  son  temps,  a  voulu,  lui  aussi,  apporter  son  contin- 
gent à  la  juste  appréciation  des  faits.  Paul  Emile,  his- 
torien presque  contemporain  (2),  Philippe  de  Commines, 
dans  ses  Mémoires  (3),  et,  sur  l'autorité  de  ceux-ci,  Villaret 

(i)  *  J'ignore  à  quelles  œuvres  poétiques  M.  Estrup  fait  ici  allusion.  Mais, 
postérieurement,  l'épisode  du  sac  de  Liège  a  encore  été  exploité  à  différentes 
reprises  par  les  littérateurs  :  A.  Rastoul  de  Mongeot,  Liège  et  Franchi- 
mont,  drame  en  3  actes,  in-42,  Liège,  1842;  Ch.  Stappers,  Louis  XI  et 
Charles  le  Téméraire  à  Péronne,  Épisode  historique  en  vers,  ir.-8°, 
Liège,  1856  ;  Al.  Pirotte,  Brusthem  ou  Liégeois  et  Bourguignons,  in- 12", 
Liège,  18ol.  —  Les  romanciers  aussi  se  sont  emparés  de  cet  événement  cé- 
lèbre ;  est-il  besoin  de  rappeler  le  Quentin  Durward  de.  sir  Walter  Scott  ? 

(i)  fie  rébus  Francorum,  ad  a.  1468. 

(3)  Collection  de  Mémoires,  par  Petitot,  Paris,  1819-20,  tome  XI,  p.  493. 


—  3  — 

et  Garnier  (i),  accusent  Onufrius  d'avoir  excité  les  Lié- 
geois à  la  révolte  contre  leur  prince  dans  le  but  de  devenir 
lui-même  évêque  de  Liège,  outrepassant  ainsi  les  pou- 
voirs qu'il  avait  reçus  du  pape.  Selon  eux,  Charles  le 
Téméraire  aurait  permis  à  ses  soldats,  qui  avaient  fait  le 
légat  prisonnier,  de  le  mettre  à  rançon  comme  un  simple 
marchand  de  la  Cité,  pourvu  qu'il  semblât  ignorer  le  fait  : 
car,  autrement,  il  n'aurait  pu,  par  égard  pour  le  pape,  se 
dispenser  de  faire  faire  réparation  à  son  représentant. 
Mais  d'autres  auteurs  contemporains  et  des  écrivains  plus 
récents,  notamment  le  cardinal  Jacques  Piccolomini  dans 
ses  Commentaires  sur  les  événements  de  son  temps  (2) 
Jean  de  Troyes,  Olivier  de  la  Marche  et  Robert  Ga- 
guin  (3),  sont  muets  à  cet  égard  et  ne  rapportent  rien  qui 
puisse  entacher  l'honneur  d'Onufrius.  Nos  lecteurs,  en  par- 
courant sa  relation,  concevront  probablement  aussi  une 
opinion  favorable  du  légat.  Si  donc  ses  Mémoires  n'avaient 
pas  d'autre  titre  à  la  publicité,  celle-ci  se  justifierait  en- 
core par  le  droit  que  tout  personnage  historique  méconnu 
peut  revendiquer  d'être  placé  dans  son  vrai  jour  et  d'exiger 
de  la  postérité,  dont  les  jugements  sont  plus  équitables 
que  ceux  des  contemporains,  la  révision  de  son  procès. 

Dans  le  récit  qui  va  suivre,  partout  où  je  ne  cite  pas 
d'autres  auteurs,  c'est  Onufrius  lui-même  qui  m'a  servi  de 
guide. 

(i)  Histoire  de  France,  tome  XVII,  p.  299.  —  '  Villaret,  né  à  Paris,  était 
directeur  de  théâtre,  à  Liège,  en  1756.  Il  s'adonna  ensuite  à  l'histoire. 

(2)  Freheri  Scriptores  rerum  Germanicarum,  tome  II,  pp.  271  et  suiv. 

(3)  Historia  Francorum,  éd.  de  Paris,  1528. 


—  4  — 


Jean  de  Heinsberg  abdiqua  l'évèché  de  Liège  en  1455  ; 
Louis  de  Bourbon,  allié  à  la  maison  royale  de  France  et  à 
celle  de  Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne,  fut  désigné 
pour  lui  succéder  (1).  La  confirmation  de  Louis  rencontra  à 
Rome  une  certaine  opposition,  car  n'ayant  encore  que  vingt 
ans  (2),  il  lui  manquait  l'âge  canonique  (3).  D'un  caractère 
trop  orgueilleux  et  de  mœurs  trop  mondaines,  il  était  peu 
apte  à  gouverner  l'Eglise  de  Liège,  qui,  de  la  part  de  Rome, 
était  l'objet  d'une  faveur  toute  spéciale.  Suivant  la  devise 
qui  ornait  les  armoiries  de  la  Cité,  elle  était  «  la  fille 
unique  de  l'Eglise  romaine  (4).  »  Liège  était  un  des  plus 
vastes  et  des  plus  riches  évêchés  de  la  Chrétienté.  Les 
églises  et  les  couvents  de  la  ville  étaient  au  nombre  de 
trois  cents  et,  chaque  jour,  au  dire  de  Philippe  de  Com- 
mines,  on  y  célébrait  autant  de  messes  qu'à  Rome  même. 
Outre  sa  capitale,  qui  comptait  une  population  de  cent 
et   vingt   mille    habitants  (s) ,  la    principauté   épiscopale 

(i)  *  Louis  de  Bourbon  était  fils  de  Charles, duc  de  Bourbon,  et  d'Agnès,  fille 
de  Jean  sans  Peur,  duc  de  Bourgogne.  Le  comte  de  Charolais  avait  épousé,  en 
premières  noces,  sa  sœur,  Isabelle  de  Bourbon. 

(2)  *  Selon  Zantfliet  et  d'autres  chroniqueurs,  il  était  âgé  d'environ  dix-huit  ans. 

(3)  Piccolomini  comm.,  Freher,  loc.  cit.,  II,  p.  271. 

(x)  Legia  Romance  ecclesiœ  unica  filia.  C'est  pour  ce  motif,  ainsi  qu'on  le 
verra  plus  loin,  que  les  Liégeois  désignaient  Onufrius  comme  représentant  du 
pape,  leur  maître.  —  *  La  devise  exacte  de  l'Eglise  de  Liège  était  :  Sancta 
Legia,  Romance  ecclesiœ  filia. 

(s)  Piccolomini,  1.  c,  p.  278.—*  Dans  ce  chiffre  étaient  sans  doute  compris 
les  habitants  de  la  franchise  et  de  la  banlieue,  car  aujourd'hui  que  la  ville  a 
pu  s'étendre  en  tous  sens  par  suite  de  la  démolition  de  ses  remparts,  elle  ne 
compte  que  130,000  habitants.  Cfr.  Henaux,  Histoire  du  pays  de  Liège, 
tome  II,  p.  89,  note  I. 


comprenait  encore  vingt-trois  villes  importantes  (1),  douze 
cents  villages  et  bourgades  et  cinquante-deux  abbayes. 
L'évèque,  prince  de  l'Empire,  pouvait,  au  besoin,  mettre 
sur  pied  trente  mille  hommes.  Il  avait,  avec  son  clergé, 
une  part  dans  les  richesses  que  produisait  un  sol  fertile, 
notamment  dans  les  mines  de  Dinant  (2)  et  de  Franchi- 
mont  ;  il  bénéficiait  de  l'esprit  industrieux  de  son  peuple 
et  de  la  situation  de  ses  États,  si  favorable  au  commerce, 
sur  les  bords  d'une  eau  navigable.  Liège,  par  elle-même, 
était  une  ville  très  forte  :  d'un  côté,  ses  murailles  s'ap- 
puyaient sur  un  des  prolongements  les  plus  avancés  des 
Ardennes  (3),  et  de  l'autre,  leur  pied  baignait  dans  le  fleuve. 
Celui  qui  avait  en  mains  les  clefs  de  Liège,  de  Huy  et  de 
Dinant,  pouvait  se  considérer  comme  maître  de  toutes  les 
contrées  arrosées  par  la  Meuse. 
Tous  ces  avantages  faisaient  que  l'évêché  de  Liège  était 

(1)  A  l'occasion  de  la  sentence  de  Paul  II,  de  l'an  i4Go,  Onufrius  ne  cile 
que  les  villes  suivantes  comme  se  trouvant  sous  la  juridiction  de.  l'évèque  : 
Liège,  Saint-Trond,  Hasselt,  Loscaslrum,  Beringen,  Maeseyck,  Stockeni, 
Bilsen,  Brée,  Tongres,  Herck,  et  le  comté  de  Looz.  Mais  on  verra  plus  loin  que 
cette  liste  n'est  pas  complète  ;  car,  d'après  l'article  7  de  la  paix  de  i  467  conclue 
avec  Charles  le  Téméraire,  les  villes  de  Franchimont,  Huy,  Dinant,  Maestricht 
en  partie,  Hasbain,  Thuin  et  Couvin  appartenaient  aussi  à  l'évêché  de  Liège. 
—  *  Les  bonnes  villes  du  pays  de  Liège  étaient  :  Saint-Trond,  Tongres,  Bee- 
ringen,  Bilsen,  Hamont,  Hasselt,  Herck,  Looz,  Peer,  Brée,  Maeseyck  et  Stock- 
heim,pour  la  partie  flamande  ;  Waremme,  Huy,  Ciney,  Dinant,  Chàtelet,  Couvin, 
Fosses,  Thuin,  Verviers  et  Visé,  pour  la  partie  wallonne.  Los  castrum  était 
Looz  ;  Franchimont  était  un  château  fort  ;  Maestricht  était  possédé  par 
indivis  entre  l'évèque  de  Liège  et  le  duc  de  Brabant  ;  Hasbain  ou  Hesbaic 
était  le  nom  d'un  quartier  ou  division  territoriale  de  la  principauté. 

(2)  *  La  ville  de  Dinant  était  célèbre  par  ses  batteurs  de  cuivre  ;  mais  elle 
tirait  la  matière  première  de  l'étranger. 

(3)  '  Les  collines  de  la  vallée  de  la  Meuse,  à  Liège,  sont  isolées  et  ne  se 
rattachent  à  aucun  système  orographique. 


—  6  — 

considéré  comme  un  des  plus  beaux  fleurons  de  la  tiare 
du  pape,  et  que  le  duc  de  Bourgogne  —  dont  les  terres 
entouraient  déjà  de  toutes  parts  la  principauté  —  aurait 
bien  voulu  en  orner  sa  propre  couronne.  Si  donc  il  parve- 
nait à  placer  sur  le  siège  épiscopal.  un  membre  de  sa  famille 
et  réussissait  à  séculariser  l'évêché,  le  chemin  se  trouvait 
tout  frayé  pour  arriver  à  la  suzeraineté  de  ce  pays.  Déjà 
antérieurement,  plusieurs  évoques,  en  s'appuyant  sur  l'in- 
fluence de  la  maison  de  Bourgogne,  avaient  cherché  à  se 
transformer  en  princes  temporels  (i)  ;  mais  toujours  ils 
avaient  rencontré  une  opposition  invincible  dans  le  clergé, 
et  surtout  dans  la  bourgeoisie  qui  croyait,  à  bon  droit,  ses 
libertés  mieux  en  sécurité  sous  la  crosse  épiscopale  que 
sous  un  sceptre  temporel;  de  plus,  elle  craignait  et  haïssait 
les  Bourguignons. 

Jean  de  Heinsberg,  le  prédécesseur  immédiat  de  Louis, 
avait  été  soupçonné  d'entretenir  avec  les  ducs  de  Bour- 
gogne des  relations  dans  le  sens  que  nous  venons  d'in- 
diquer, relations  indignes  du  caractère  dont  il  était  revêtu. 
Ce  n'était  donc  pas  seulement  à  cause  de  son  extrême  jeu- 
nesse que  les  papes  Calixte  III  et  Pie  II  (2)  hésitaient  à 
donner  l'investiture  à  Louis  de  Bourbon,  mais  encore  parce 
qu'il  était  le  propre  neveu  de  Philippe  le  Bon  —  fils  de  sa 
sœur  —  et  recommandé  par  lui.  Mais,  la  chute  de  Constan- 
tinople  et  les  succès  du  Croissant  dans  l'Europe  Orientale 
présentaient  des  dangers  bien  autrement  menaçants  que  le 

(1)  Robert  Gaguin,  Hist.  Francor.,  édit.1528,  p.  198.  — *  Le  seul  évêque 
de  Liège  auquel  on  ait  prêté  des  intentions  serablables,avant  Louis  de  Bourbon, 
est  Henri  de  Gueldre.  Mais  de  son  temps  il  n'était  pas  encore  question  de  la 
maison  de  Bourgogne. 

(2)  *  Calixte  III  mourut  le  (i  août  1458.  Pie  II,  dont  le  nom  de  famille  était 
Eneas  Sylvius  Piccolomini,  fut  élu  le  19  août. 


—  7  — 

projet  formé  par  le  duc  de  Bourgogne  de  planter  sur  une 
église  cathédrale  sa  croix  de  Saint-André.  Philippe  le  Bon 
mit  fin  aux  hésitations  de  Pie  II  en  promettant  une  croisade 
contre  les  Turcs  (1)  ;  cette  promesse  ne  fut  remplie  que 
plus  tard  et  très  mollement  ;  mais,  en  attendant,  Louis  de 
Bourbon  fut  proclamé  évèque  de  Liège  (2). 

Bien  que  Louis  fut  assez  instruit  pour  un  prince,  il  ne 
possédait  aucune  des  qualités  indispensables  à  un  prêtre  ;  il 
était  mondain,  d'un  caractère  faible  et  emporté  (3).  De  suite 
il  entra  dans  les  vues  de  son  protecteur,  le  duc  de  Bour- 
gogne, et  commença  par  chercher  querelle  aux  bourg, 
mestres  et  au  Conseil  de  la  Cité  ainsi  que  des  autres 
bonnes  villes  de  l'évèché,  au  sujet  de  la  juridiction  tempo- 
relle (le  merwn  et  mixtum  imperhim),  qu'il  prétendait 
concentrer  toute  entière  dans  sa  personne,  tandis  que, 
d'après  la  coutume,  elle  ne  lui  appartenait  qu'en  partie  (4). 
Quelques  années  plus  tard,  ayant  atteint  l'âge  canonique, 
il  refusa  de  se  faire  consacrer  et  ajourna  cette  obligation 
pendant  plus  de  dix  ans.  Durant  cette  longue  période  de 
temps,  il  ne  célébra  pas  la  messe  en  public  (5).  Les  Lié- 
geois, non  sans  raison,  voyaient  dans  cette  attitude  la 

(1)  *  Dès  qu'il  fut  élu  pape,  Pie  II  chercha  à  provoquer  une  ligue  générale 
des  princes  chrétiens  contre  les  Turcs  qui  menaçaient  d'envahir  l'Europe. 

(2)  *  La  bulle  de  confirmation  arriva  à  Liège  le  10  mai  1456.  Louis  fit  sa 
joyeuse  entrée  dans  sa  capitale  le  13  juillet. 

(3)  Il  est  autrement  apprécié,  d'après  Amelgard,  par  de  Iîarante,  Histoire 
des  ducs  de  Bourgogne.  Paris,  1826,  t.  IX,  p.  55  :  >•  Il  n'y  avait  pas  de 
prince  plus  doux,  plus  patient,  un  évêque  plus  indulgent  et  plus  charitable 
que  Louis  de  Bourbon.  Si  les  gens  sages  lui  faisaient  quelque  reproche,  c'était 
d'encourager  son  peuple  à  la  sédition  par  sa  trop  grande  bonté.  » 

(•i)  '  Sur  cette  question,  voyez  Henaux,  Histoire  du  pays  de  Liège,  t.  II, 
pp.  76  et  suiv. 
(s)  *  Il  ne  la  célébra  môme  pas  en  particulier,  puisqu'il  n'était  pas  prêtre. 


preuve  qu'il  nourrissait  le  projet  de  les  façonner  au 
joug  temporel,  sous  la  protection  et  la  suzeraineté  de  la 
maison  de  Bourgogne  (1).  Il  semble  même  que  quelques 
chanoines  et  particulièrement  l'archidiacre  Robert  (2), 
favorisaient  les  prétentions  de  l'évêque,  soit  qu'ils  eussent 
été  gagnés  en  secret,  soit  qu'ils  préférassent  devenir  les 
ministres  d'un  prince  temporel  que  d'être  ceux  d'un  servi- 
teur de  l'Eglise.  Mais  ils  s'attiraient  par  là  la  haine  des 
bourgeois. 

A  une  époque  plus  reculée  du  moyen-âge,  alors  que  la 
liberté  communale,  protégée  par  les  princes  eux-mêmes, 
luttait  contre  l'aristocratie  féodale,  les  Liégeois  avaient 
obtenu  ou  s'étaient  arrogé  de  nombreux  privilèges  ;  ils 
s'étaient,  pour  ainsi  dire,  retranchés  derrière  les  constitu- 
tions de  leurs  métiers  et  de  leurs  corporations  qui,  presque 
nulle  part,  n'étaient  aussi  puissamment  organisés  que 
chez  eux.  Ils  possédaient  un  régime  communal  qui  ne  lais- 
sait au  souverain  que  peu  d'influence  sur  les  affaires  de  la 
Cité.  Aussi,  les  évêques  étaient-ils  devenus  jaloux  d'une 
liberté  qu'eux-mêmes  avaient  autrefois  favorisée  ;  de  leur 
côté,  les  bourgeois  étaient  fiers  des  corporations  et  des 
privilèges  qui  assuraient  le  maintien  de  leurs  droits  civils. 
Ils  comptaient  sur  l'appui  des  princes  voisins,  particu- 
lièrement sur  celui  des  rois  de  France  qui  ne  pouvaient 
rester  spectateurs  indifférents  de  la  puissance  croissante 
de  la  maison  de  Bourgogne.  Ils  se  fiaient  aussi  à  la  solidité 
de  leurs  remparts  et  à  l'excellente  position  stratégique 
de  la  Cité,  protégée,  comme  nous  l'avons  dit,  d'un  côté 
par  de  hautes  collines,  de  l'autre  par  la  Meuse.  Mais  aussi. 

(0  Piccolomini,  loco  citatu. 

(2)  *  Robert  de  Morialmé.  Voyez  de  Theux,  Le  chapitre  de  S'-Lombert 
à  Liège,  t.  Il,  p.  270.  Cfr.  Ange  de  Viterbe,  dans  VAmpliss.  coll.,  IV,  1442. 


—  9  — 

la  conscience  de  leur  liberté,  le  sentiment  de  leur  force 
et  de  leurs  richesses,  les  rendaient  turbulents  et  orgueil- 
leux. De  plus,  les  factions  et  les  partis  ne  manquaient  pas 
dans  une  ville  où  la  hiérarchie  était  opposée  à  la  démo- 
cratie, la  noblesse  à  la  bourgeoisie,  et  où  les  métiers  se 
trouvaient  souvent  en  hostilité  les  uns  avec  les  autres. 

Ce  qui  doit  le  plus  nous  étonner  dans  les  troubles  qui 
suivirent,  c'est  que  l'empereur,  qui  avait  l'évèché  de  Liège 
sous  sa  mouvance,  ne  se  soit  pas  efforcé  de  rétablir  la  paix 
et  de  détourner,  par  son  intervention,  la  ruine  de  la  ville. 
Frédéric  III  occupait  alors  le  trône  impérial  ;  prince 
faible  et  sans  caractère,  il  était  tantôt  l'ami  tantôt  l'en- 
nemi de  Charles  le  Téméraire  ;  aussi  ne  songea-t-on  même 
pas  à  implorer  sa  protection. 

Les  premiers  résultats  de  la  querelle  entre  l'évèque  et 
ses  villes  furent  des  scènes  de  violence,  des  bannissements, 
des  confiscations,  des  pillages  et  des  meurtres.  Quoiqu'il 
n'eut  pas  encore  reçu  la  consécration  épiscopale,  Louis  ex- 
communia la  Cité  (i).  En  1463,  il  eut  recours  à  l'arbitrage  de 
Louis  XI,  pour  terminer  ces  dissentiments  ;  mais,  bientôt 
après,  il  récusa  lui-même  ce  juge  qu'il  avait  spontanément 
choisi,  pour  se  tourner  vers  Philippe  le  Bon  ;  celui-ci  lui 
accorda  aussitôt  son  appui.  A  Liège,  un  parti  qui  comptait 
dans  son  sein  quelques  membres  du  Chapitre,  élut  évêque 
Marc,  margrave  de  Bade,  en  opposition  avec  Louis  (2). Mais  la 
peur  desBourguignons  chassa  ce  nouveau  prélat  de  la  ville(3). 
Telle  était  la  situation  lorsque  Onufrius  fut  envoyé  pour 

(<)  '  L'interdit  fut  lance  le  29  octobre  1461.  Voy.  de  Ram,  op.  cit.,  p.  484. 

(i)  '  La  déchéance  de  Louis  de  Bourbon  fut  proclamée  par  les  Etats  le  22 
mars  1465.  Marc  de  Bade  fut  élu  évoque  deux  jours  après. 

(s)  *  Marc   abandonna  les  Liégeois  le  4  septembre  1465,  au   siège  de  Fau- 
quemont. 

2 


—   10  — 

la  première  fois  à  Liège  ;  Philippe  le  Bon  et  Louis  de  Bourbon 
n'ayant  osé,  dans  une  affaire  aussi  délicate,  faire  abstraction 
de  l'autorité  du  pape,  s'étaient  adressés  au  Saint-Siège. 
Pie  II  se  croyait  alors  sur  le  point  d'atteindre  le  but  qu'il  ne 
cessa  de  poursuivre  pendant  les  dernières  années  de  sa 
vie,  à  savoir  de  mettre  le  duc  Philippe  à  la  tète  d'une 
croisade  nombreuse  contre  le  sultan  Mohamed  II  ;  aussi 
évitait-il  de  froisser  les  Bourguignons.  Il  avait,  en  consé- 
quence, envoyé  Pierre,  son  auditor  causarum  Sedis  apos- 
tolicœ  (i),  pour  s'informer  du  différend  et  tâcher,  pendant 
l'instruction  de  l'affaire,  sinon  de  rétablir  la  paix,  au  moins 
d'apporter  quelque  adoucissement  à  l'interdit.  Le  débat 
devait,  du  reste,  être  soumis  à  la  cour  de  Rome  pour  rece- 
voir une  décision  en  dernier  ressort.  Pierre  procéda  d'abord 
seul  à  l'enquête  ;  plus  tard,  il  s'adjoignit  un  assistant  dans 
la  personne  d'Onufrius,  romain  de  la  famille  de  Santa- 
Croce,  évêque  de  Tricaria  dans  le  royaume  de  Naples  (pro- 
vince actuelle  de  Basilicate),  et  qui,  précisément  à  cette 
époque,  avait  été  envoyé  comme  légat  à  Mayence,  pour 
aplanir  quelques  difficultés  en  Allemagne. 

Après  avoir  longtemps,  mais  inutilement,  travaillé  à 
amener  un  accord  à  l'amiable,  Pierre  se  vit  enfin  obligé  de 
traiter  l'affaire  suivant  des  règles  plus  strictes.  Les  Liégeois 
s'étaient  engagés,  sous  peine  d'une  amende  de  trente  mille 
florins  du  Rhin,  à  ne  commettre  aucune  hostilité  pendant 
toute  la  durée  du  procès  ;  cependant,  sous  prétexte  de 
venger  la  captivité  de  quelques  bourgeois,  ils  démolirent  le 
château  de  Reydened  (2).  Pierre  n'hésita  pas,  non-seulement 

(i)  "  Pierre  Ferrici  arriva  à  Aix-la-Chapelle  vers  la  fin  de  mars  1463.  Sa  léga- 
tion est  donc  antéreure  aux  faits  qu'on  vient  de  lire. 

(2)  *  Bouille,  Histoire  de  la  villa  et  pays  de  Liège,  t.  If,  p.  76,  donne  à  ce 
château  le  nom  de  Reya  ou  Reyta,  et  dit  qu'il  fut  assiégé  le  26  juin  1464.  C'est 


—  11  — 

à  leur  faire  payer  l'amende,  mais  à  les  irapper  d'interdit. 
Pendant  ces  négociations,  Pie  II  vint  à  mourir,  en  l'an 
1464  (i),  et  Paul  II,  son  successeur,  qui  tenait  aussi  à  la 
croisade  contre  les  Turcs  et  par  conséquent  à  l'amitié  de 
Philippe,  invita  Pierre  à  lui  faire  son  rapport.  Il  fixa  en- 
suite aux  deux  parties  un  terme  de  quatre  mois  pour  con- 
clure un  accommodement.  Mais  on  ne  put  s'entendre,  et 
malgré  les  menaces  des  autorités,  tant  ecclésiastique  que 
séculière,  les  hostilités  continuèrent  de  part  et  d'autre. 
Alors  Paul  II,  à  la  date  du  23  décembre  1465,  rendit  une  sen- 
tence entièrement  favorable  à  levèque  et  par  laquelle  il 
décernait,  à  lui  et  à  son  Eglise,  une  souveraineté  invio- 
lable, ainsi  que  les  juridictions  temporelle  et  spirituelle, 
le  droit  de  nommer  les  membres  des  tribunaux  dans  la  Cité 
de  Liège,  le  comté  de  Looz  et  toutes  les  villes  de  révèché 
en  lutte  avec  le  prince  ;  elle  statuait  encore  que  les  bourg- 
mestres, le  Conseil  et  les  maîtres  jurés  des  métiers  des- 
dites villes  n'avaient  aucun  droit  de  participer  à  cette 
souveraineté,  ensemble  ni  séparémeut,  et  que  les  empié- 
tements faits  jusqu'alors  sur  l'autorité  de  l'évèque  étaient 
contraires  aux  lois.  Le  pape  se  réservait  de  fixer  le  taux  des 
indemnités  pour  les  violences  commises  et  les  dommages 
causés  ;  mais,  en  attendant,  il  imposait  aux  Liégeois  l'obli- 
gation de  payer  cinquante  mille  florins  du  Rhin  pour  la 

Rheidl,  sur  la  Neers,  aux  environs  de  Gladbach,  appartenant  à  Jean  d'Aren- 
dael.  Les  Liégeois  partent  par  la  Meuse  le  !26  juin  et  arrivent  à  Rheidl  le 
4  juillet.  La  garnison,  forte  de  130  hommes, en  l'absence  du  seigneur,  demande 
une  trêve  de  huit  jours  et  se  rend  le  M  juillet  ;  le  château  est  pillé  pendant 
deux  jours,  puis  incendié.  Pour  les  détails,  voir  Chapeaville,  III,  139  ; 
Jean  de  Looz.  p.  21  ;  Adrianus  de  Veteri  Busco,  dans  VAmpliss.  coll.,  IV, 
1263.  Le  baron  de  Chestret,  dans  la  Revue  de  numismatique  belge,  1873, 
o»8  série,  tome  V,  pp.  87-92,  résume  le  récit  de  ces  chroniqueurs. 
(0  *  Dans  la  nuit  du  15  au  16  août,  à  Ancône,  s'étant  mis  lui-même  en  route 


-    12  — 

guerre  contre  les  Turcs,  se  refusant  à  lever  l'interdit  qui 
pesait  sur  eux  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  acquitté  leur 
dette  (i).  Cette  sentence  sévère  ne  reçut  point  son  exé- 
cution. 

Durant  la  guerre  impie  que  Louis  XI  avait  soutenue 
contre  son  père,  il  avait  trouvé  asyle  à  la  cour  de  Bour- 
gogne. Mais  la  raison  d'état  bannissait  alors  de  la  mémoire 
de  Louis,  devenu  roi,  le  souvenir  des  bienfaits  qu'il  avait 
reçus  lorsqu'il  n'était  que  dauphin.  Il  attira  auprès  de  lui 
le  comte  de  Charolais,  connu  dans  la  suite  sous  le  nom  de 
Charles  le  Téméraire,  et  entretint  entre  lui  et  son  père,  Phi- 
lippe le  Bon,  une  hostilité  de  nature  à  amener  l'humilia- 
tion de  l'un  et  de  l'autre.  Dans  ce  but,  il  prit  ouvertement 
le  parti  des  seigneurs  de  Croy,  qui  jouissaient  auprès  de 
Philippe  d'une  grande  faveur  et  qui,  par  là-même,  étaient  de 
la  part  de  son  fils  l'objet  d'une  antipathie  et  d'une  jalousie 
profondes.  Aussi  Charles  conçut-il  pour  son  prétendu  pro- 
tecteur une  haine  implacable,  qu'il  cachait  sous  les  dehors 
de  l'amitié.  Philippe  le  Bon,  qui  pénétrait  les  desseins  de 
Louis,  consentit  volontiers  à  ce  que  Charles  satisfit  sa  soif 
de  vengeance  en  entrant  dans  la  Ligue  du  bien  public  que  le 
duc  de  Bretagne,  le  propre  frère  du  roi  et  d'autres  puissants 
vassaux  de  la  couronne  de  France  avaient  formée  contre  le 
despotisme  du  roi.  Celui-ci,  pour  parer  à  ce  danger  immi- 
nent, chercha  d'abord  à  diviser  les  forces  de  l'ennemi,  et, 
afin  d'empêcher  les  Bourguignons  d'opérer  leur  jonction 

pour  la  croisade.  Paul  II,  élu  le  31  août,  fut  consacré  le  16  septembre.  Il  con- 
tinua la  guerre  contre  les  Turcs. 

(i)  *  J'ai  publié  la  Pauline  dans  le  Recueil  des  ordonnances  de  la  prin- 
cipauté de  Liège,  1re  série,  t.  I,  p.  602.  Celte  sentence  arriva  trop  tard  pour 
apaiser  les  esprits,  puisque  Louis  de  Bourbon  avait  été  déclaré  déchu  et  que 
les  Liégeois  s'étaient  alliés  à  la  France. 


—  13  — 

avec  le  duc  de  Bretagne,  s'efforça  de  leur  jeter  sur  les  bras 
une  guerre  avec  Liège  (1).  Il  n'était  pas  besoin,  pour  y 
réussir,  de  beaucoup  de  diplomatie  ni  d'efforts.  Louis  pro- 
mettait toujours  aux  Liégeois  des  secours  considérables, 
mais  ne  les  fournissait  que  dans  une  très  faible  mesure,  afin  de 
prolonger  d'autant  plus  une  guerre  qui  lui  était  si  utile  (a). 
En  conséquence,  lorsque  l'armée  bourguignonne,  sous  les 
ordres  de  Charles,  se  trouva  au  cœur  même  de  la  France, 
les  Liégeois  saisirent  l'occasion  pour  commencer  les  hosti- 
lités. Au  plus  fort  de  l'hiver,  ils  pillèrent  et  ravagèrent  les 
États  du  duc  voisins  de  leurs  frontières.  Philippe  le  Bon 
a3*ant  réuni  quelques  troupes  sous  les  ordres  de  son  général 
Philippe  de  Horne,  celui-ci  battit  les  Liégeois  près  de  Monte- 
nack  (3).  Vincent,  comte  de  Meurs,  et  Jacques,  comte  de 
Heuxne(i),  accoururent  aussitôt  à  Bruxelles  pour  demander 
à  Philippe  le  Bon  de  mettre  fin  à  cette  guerre  désastreuse. 
Ils  réussirent  à  négocier  un  traité  de  paix  qui  fut  signé 
à  Saint-Trond  le  22  décembre  1465,  c'est-à-dire  la  veille 
même  du  jour  où  Paul  H  avait  prononcé  sa  sentence,  et 

(i)  *  Les  ambassadeurs  de  Louis  XI  arrivèrent  à  Liège  le  23  mai  146o 
L'alliance  entre  la  France  et  les  Liégeois  fut  signée  le  17  juin,  et,  le  30  août, 
Marc  de  Bade  déclara  la  guerre  aux  Bourguignons. 

(2)  Voyez  l'introduction  des  Mémoires  de  Philippe  de  Commines  et  ces 
Mémoires  eux-mêmes,  dans  Petitot,  Collection  de  Mémoires,  t.  IX,  pp.  233 
et  433. 

(3)  Olivier  de  la  Marche,  Collection  de  Mémoires,  t.  X,  247.  —  '  La 
rencontre  de  Montenaeken  eut  lieu  le  20  octobre  1465.  Montenaeken  est  une 
dépendance  de  la  commune  de  Vroenhoven,  dans  la  province  de  Limbourg,  à 
26  kilomètres  de  Hasselt. 

(i)  Je  ne  puis  lire  autrement  ce  nom  dans  mon  manuscrit.  —  'Vincent  comte 
de  Meurs  et  de  Saerwerden,  et  Jacques  comte  de  Horne  et  du  S'-Empire, 
seigneur  d'Altena,  de  Weert,  etc.,  remplirent  souvent  l'office  de  négociateurs 
entre  les  Liégeois  et  les  ducs  de  Bourgogne.  Voyez  mon  Cartulairc  de 
Dînant,  t.  II,  p.  162. 


—   14  — 

ainsi,  longtemps  avant  que  les  belligérants  eussent  pu  en 
avoir  connaissance.  Les  conditions  de  cette  paix  montrent 
combien  le  pape  était  en  droit  de  se  plaindre  de  ce  que 
Ton  n'eût  pas  attendu  sa  décision,  après  l'avoir  demandée, 
car  la  paix  de  Saint-Trond  plaçait  entièrement  la  ville 
de  Liège  sous  la  dépendance  du  duc  de  Bourgogne.  En  effet, 
les  Liégeois  devaient,  par  des  délégués  et  conformément  à 
un  cérémonial  déterminé,  demander  pardon  à  Philippe  et 
au  comte  de  Charolais,  son  fils,  qu'ils  avaient  particulière- 
ment offensé  ;  pour  expier  la  mort  des  Bourguignons  qui 
avaient  péri  dans  la  lutte,  il  étaient  tenus  d'ériger  une  cha- 
pelle dans  un  endroit  désigné  par  le  duc  et  d'y  faire  dire 
des  messes  ;  les  habitants  de  Maestricht  et  d'une  partie  des 
environs  de  cette  ville,  qui  se  trouvaient  à  la  fois  sous  la 
juridiction  du  duc    et  sous  celle  de  l'évêque  de  Liège, 
étaient  exempts  de  toutes  ces  obligations  ;  il  était  interdit 
aux  Liégeois  de  conclure  aucune  alliance  sans  le  con- 
sentement du  duc  et  ils  étaient  obligés  de  briser  celles 
qu'ils  avaient  formées  antérieurement  dans  un  but  poli- 
tique ;  ils  devaient  reconnaître  le  duc  et  ses  successeurs 
comme  avoués  (guardianos  .  et  advocatos)  de  l'évèché  de 
Liège  ;  ceux-ci,  en  vertu  de  cette  charge,  devaient  défendre 
les  Liégeois  dans  leurs  propriétés,  leurs  privilèges  et  leurs 
libertés,  et  prendre  en  mains  l'administration  du  pays 
lorsque  les  habitants,  pour  prévenir  des  troubles,  le  requé- 
reraient,  ou  lorsque  les  circonstances  l'exigeraient  ;  dans 
ce  dernier  cas,  les  Liégeois  seraient  tenus  de  prêter  aide  et 
assistance  à  l'avoué  ;  le  tout  sans  préjudice  à  la  souve- 
raineté de  l'évêque  et  de  ses  successeurs  sur  la  Cité  de 
Liège,  sur  les  villes  de  l'évèché  et  sur  le  comté  de  Looz.  En 
retour  de  la  protection  que  le  duc  leur  accordait,  les  Lié- 
geois devaient  lui  verser  chaque  année,  en  la   ville  de 


—   15  — 

Louvain,  une  somme  de  deux  mille  florins,  sans  compter, 
à  titre  d'indemnité,  trois  cent  quarante  mille  florins  une 
fois  à  payer,  pour  les  dommages  causés  pendant  la  guerre  ; 
de  plus,  le  duc  était  autorisé  à  pénétrer  librement  dans  le 
territoire  de  la  principauté  pour  franchir  la  Meuse  ;  les 
monnaies  bourguignonnes  devaient  avoir  cours  légal  dans 
le  pays;  il  était  interdit  de  construire  de  nouvelles  forte- 
resses, et  enfin,  les  Liégeois  promettaient  de  rentrer  dans  le 
devoir  et  d'obéir  à  l'évêque,  leur  seigneur  légitime,  auquel 
ils  payeraient  une  amende  à  fixer  de  commun  accord  entre 
eux  et  lui  (1). 

La  paix  fut  signée  des  deux  parts.  Cependant  on  en  avait 
exclu  Dinant,  ville  importante  à  cette  époque  et  qui  devait 
son  opulence  à  ses  nombreuses  fabriques  d'ustensiles  de 
chaudronnerie  (2).  Les  Dinantais  avaient  fait  mourir  un  de 
leurs  principaux  bourgeois,  Jean  le  Charpentier,  pour  avoir 
récemment  négocié  une  paix  entre  eux  et  les  Bourgui- 
gnons (3).  Mais  leur  plus-grand  crime  aux  yeux  de  Philippe, 
était  peut-être  d'avoir  composé  contre  lui  des  chansons 
satyriques,  de  l'avoir  pendu  en  effigie,  ainsi  que  son  fils  le 
comte  de Charolais,  d'être  entrés  dans  le  territoire  Namurois 
pour  y  porter  leurs  ravages,  et  d'avoir  juré  la  destruction 
de  la  ville  de  Bouvignes. 

Aussi,  dès  que  Charles  eut  forcé  Louis  XI  à  conclure  la 

(1)  '  Voir  le  texte  de  celle  paix  dans  le  Recueil  des  ordonnances  de  la 
principauté  de  Liéye,  ire série,  p.  590.  Elle  ne  fut  signée  définitivement  que  le 
23  janvier  1466,  et  fut  seulement  proclamée  à  Liège  le  1er  mars  suivant. 

(2)  COMMINES,  Collection  de  Mémoires,  t.  XI,  p.  43 i. 

(3)  *  Jean  Carpenlier,  maître  ou  bourgmestre  de  Dinant,  avait  engagé  ses  con- 
citoyens à  se  soumettre  au  duc  de  Bourgogne.  11  fut  pris  et  mené  à  Liège  le 
26  mars  1467.  Louis  de  Bourbon  et  Charles  le  Téméraire  le  réclamèrent  en 
vain.  Il  fut  décapité  sur  la  place  du  Marché  le  II  aoûl. 


—  16  — 

paix  de  Conflans  (1),  il  amena,  au  mois  de  janvier  1466, 
ses  troupes  contre  Dinant  (2).  Le  duc  Philippe  lui-même, 
malgré  son  grand  âge,  se  fit  porter  jusque  là,  voulant  être 
témoin  du  sanglant  spectacle  qui  se  préparait.  Charles  com- 
mandait l'armée  en  personne,  avec  le  maréchal  de  Bour- 
gogne et  le  bâtard  de  Bourgogne,  fils  naturel  de  Philippe. 
L'artillerie  de  siège  était  sous  les  ordres  du  chevalier  Pierre 
de  Hagenbach,  qui  joue  un  grand  rôle  dans  l'histoire  de 
Charles  le  Téméraire  (3)  ;  il  la  dirigea  avec  un  tel  succès  que 
bientôt  des  brèches  furent  ouvertes  dans  les  murailles.  Les 
Liégeois  avaient  cru  d'abord  que  Philippe  se  bornerait  à 
faire  payer  des  amendes  ;  mais  voyant  qu'il  ne  visait  à 
rien  moins  qu'à  détruire  la  ville,  ils  mirent  des  troupes 
sur  pied  pour  voler  à  son  secours.  De  leur  côté,  les  Dinan- 
tais  avaient  compté  sur  l'appui  de  Louis  XI,  et  c'est  dans 
cette  confiance,  sans  doute,  qu'ils  n'avaient  pas  craint  de 
braver  les  Bourguignons.  Mais  la  paix  de  Conflans  liait  les 
mains  au  roi  de  France  ;  il  n'hésita  pas,  toutefois,  à  nouer 
des  relations  secrètes  avec  les  Liégeois,  et  les  engagea  à 
secourir  Dinant  en  son  lieu  et  place  (4).  L'armée  liégeoise  ne 
put  empêcher  les  Bourguignons  de  s'emparer  de  cette  ville 
que  Philippe,  après  l'avoir  livrée  au  pillage,  fit  démolir 
de  fond  en  comble,  sans  même  épargner  les  églises  ;  tous 
les  habitants  qui  tombèrent  entre  les  mains  des  soldats 
bourguignons,  furent  égorgés,  sans  distinction  d'âge  ni  de 

(i)  *  Cette  paix  fut  conclue  le  5  octobre  1465. 

(2)  *  Charles  ne  convoqua  ses  vassaux,  pour  aller  faire  le  siège  de  Dinani, 
que  pour  la  fin  du  mois  de  juillet  1466.  Son  année  arriva  en  vue  de  Dinant 
le  18  août. 

(3)  *  Sur  ce  personnage,  voyez  de  Barante,  Hist.  des  Ducs  de  Bour- 
gogne, édit.  de  M.  Gachard,  t.  II,  pp.  417  à  433. 

(4)  Jean  de  Troyes,  Collection  de  Mémoires,  t.  XIII,  p.  348. 


—   17  — 

sexe  (i).  Un  chevalier  liégeois,  Renaud  de  Rouvrai,  sut, 
par  d'habiles  obstacles,  empêcher  le  comte  de  Charolais 
d'attaquer  les  milices  de  la  Cité,  qu'il  réussit  à  ramener 
saines  et  sauves  (2). 

Après  cet  échec,  les  Liégeois  ne  pouvaient  faire  autrement 
que  de  demander  la  paix  ;  ils  l'obtinrent  à  peu  près  aux 
conditions  antérieures  :  ils  devaient  fournir  des  otages  au 
duc  et  s'en  rapporter  à  lui  pour  terminer  leur  différend 
avec  l'évêque  ;  ces  conditions  remplies,  celui-ci  était  tenu 
de  lever  l'interdit. 

Mais  les  Liégeois  demandèrent  qu'une  vingtaine  de  bour- 
geois (3),  aux  conseils  pernicieux  desquels  ils  attribuaient 
leurs  malheurs,  et  qui,  après  la  dernière  guerre,  s'étaient 
réfugiés  auprès  de  l'évêque,  fussent  à  perpétuité  bannis  de 
la  ville.  Louis  de  Bourbon  refusa  énergiquement  de  sous- 
crire à  ces  exigences:  il  ne  consentit  pas  à  lever  l'interdit, 
et  prétendit  rentrer  dans  la  Cité  avec  les  bourgeois  mis  en 

(i)  '  Le  comte  de  Charolais  entra  dans  Dinant,  avec  son  armée,  le  26  août 
1466.  La  ville  s'était  rendue  la  veille. 

(«)  Jean  de  Troyes,  page  3io;  Philippe  de  Commines,  1.  XI,  p.  437;  Olivier 
de  la  marche,  t.  X,  pp.  237  et  suivantes.  —  *  Renard  de  Rouveroi  était 
maître  ou  bourgmestre  de  la  ville  de  Liège,  en  1 166.  Il  remplit  aussi  à  diffé- 
rentes reprises  la  charge  de  capitaine  des  milices  liégeoises,  et  était  gouver- 
neur de  Saint-Troncl  lorsque  cette  place  fut  assiégée  par  le  duc  de  Rourgogne. 
Voyez  Abry,  Recueil  des  Bourgmestres  de  Liège,  pp.  165  et  173. 

Il  est  avéré  que  les  Liégeois  ne  vinrent  pas  au  secours  des  Dinantais.  Voyez 
Jean  de  Haynin. 

(3)  *  Parmi  lesquels  Gilles  Démet,  ancien  bourgmestre,  qui  fut  arrêté  le  20 
janvier  1466  et  exécuté  à  Liège  le  1er  mars.  On  voit  que  les  événements  dont 
il  est  ici  question  se  passèrent  avant  la  prise  de  Dinant.  Cff  Henaux,  II,  103  ; 
BOUILLE,  llisi.  du  pays  de  Liège,  II,  98. 


—   18  — 

accusation.  De  leur  côté,  les  Liégeois  ne  voulurent  céder 
sur  aucun  de  ces  points,  et  l'on  se  trouva  dès  lors,  pour 
l'exécution  de  là  paix, en  présence  des  plus  graves  difficultés. 
Philippe  et  son  fils  intervinrent  auprès  de  l'évèque  pour 
l'engager  à  placer  le  bien  public  au  dessus  de  ses  intérêts 
privés  et  du  sort  d'une  poignée  d'hommes,  et  cela  avec 
d'autant  plus  d'empressement  que  les  Liégeois  avaient,  a 
cette  condition,  promis  de  se  soumettre  à  son  arbitrage. 
Mais  ce  fut  en  vain.  Louis  persista  dans  son  refus,  et  lors- 
qu'enfin  les  alliés  des  Liégeois,  désignés  sous  le  nom  cle 
compagnons  des  vertes  tentes  (1),  vinrent  à  leur  secours 
au  nombre  de  quatre  mille  et  ravagèrent  les  environs  de 
la  Cité,  Philippe  envoya  à  Rome  Guillaume,  évêque  de 
Tournay,  et  Jacques  d'Ostende,  provincial  des  Ermites  au- 
gustins  de  Flandre,  pour  demander  à  Paul  II  de  ratifier  la 
paix  et  d'envoyer  à  Liège  un  légat  agréable  aux  deux  par- 
ties, afin  qu'il  put  aplanir  les  difficultés,  modérer  les  pré- 
tentions exagérées  de  l'évèque  et  venir  en  aide  au  duc  pour 
obtenir  la  levée  de  l'interdit  ainsi  que  le  bannissement  des 
bourgeois  qui  avaient  encouru  la  haine  de  leurs  concitoyens. 
Pour  arriver  à  ces  résultats,  Philippe  promettait  d'appuyer 
le  légat  de  tout  son  pouvoir. 

Jacques  se  mit  en  route  avant  l'évèque  de  Tournay.  Il 
n'était  pas  encore  arrivé  à  Rome,  que  mourut,  le  14  ou  le  17 

(i)  Je  suppose  que  les  montagnards  de  Franchimont  ou  des  Ardennes,  ou 
ces  compagnons  mêmes,  e'taient  des  bourgeois  de  Liège  dont  la  faction  fut 
chassée  de  la  Cité  pendant  les  troubles  précédents  et  qu'ils  s'appelèivnt  ainsi 
à  cause  des  ramées  des  Ardennes  ;  au  moins  ressort-il  avec  évidence  de  la 
relation  d'Onufrius,  que  les  compagnons  des  vertes  tenles  n'habitaient  pas  la 
ville  de  Liège.  Ce  parti  forma,  plus  lard,  l'élite  des  forces  liégeoises.  —  *  Voy. 
Chapeaville,  Gesta  pontifie,  leodiens.,  t.  II!,  p.  137,  et  cfi-  Gachard,  Col- 
lectai de  documents  inédits  concernant  V histoire  de  la  Belgique,  t.  II,  p. 
433,  note. 


—   19  — 

juin  de  l'année  1407  (1),  Philippe  le  Bon,  prince  sage  et  libé- 
ral, riche  et  puissant,  qui  éleva  la  maison  de  Bourgogne  à 
un  haut  degré  de  splendeur.  Son  fils  et  successeur,  Charles 
le  Téméraire,  était  trop  irréfléchi  pour  profiter  de  la  bril- 
lante situation  que  lui  avait  laissée  son  père  et  trop  dominé 
par  ses  passions  pour  ne  pas  en  abuser.  La  destruction  de 
Pinant  était  le  seul  fait  qu'on  put  reprocher  à  Philippe; 
pour  tout  le  reste,  sa  mémoire  était  bénie  par  ses  sujets. 

Paul  II  soumit  au  collège  des  cardinaux  la  demande  que 
lui  faisait  le  duc  de  ratifier  la  paix  de  Saint-Trond.  Mais  les 
cardinaux  déclarèrent  d'un  commun  accord  qu'il  fallait  la 
repousser,  surtout  en  ce  qui  concernait  les  articles  relatifs 
à  la  souveraineté  et  à  la  juridiction  de  l'Église  de  Liège  ; 
d'ailleurs  l'évêque,  pas  plus  que  son  Chapitre  et  le  clergé 
ni  le  peuple,  n'avaient  sollicité  la  confirmation  de  ce  traité. 
Toutefois,  pour  ne  pas  exaspérer  la  maison  de  Bourgogne 
par  un  refus  pur  et  simple,le  pape  résolut  d'envoyer  à  Liège 
un  légat  ex  latere  chargé  de  ramener  la  concorde  entre  les 
partis,  de  lever  l'interdit,  do  réintégrer  les  particuliers 
dans  leurs  biens  et  leurs  dignités,  de  vaincre  l'opposition 
par  l'excommunication  et  même  à  l'aide  du  bras  séculier, 
enfin,  d'exhorter  leduc  à  s'abstenir  de  toute  hostilité  contre 
l'Église,  en  se  contentant  de  ses  possessions  actuelles  déjà 
suffisamment  vastes.  Paul  II  chargea  de  cette  mission  l'é- 
vêque de  Tricaria,  Onufrius,  dont  il  a  été  question  plus 
haut,  homme  d'une  prudence  et  d'une  énergie  éprouvées,  et 
dont  les  intentions  ont  été,  à  tort,  mises  en  suspicion  par  les 
historiens  français  et  bourguignons.  Son  départ,  fixé  d'abord 
a  la  fin  du  mois  d'août,  dut  être  ajourné  par  suite  de  nou- 
veaux désordres  qui  survinrent  à  Liège. 

(i)  Jacques  du  Clercq,  Collection  de  Mémoires,  t.  XI,  p.  117.—  "  Le 
duc  Philippe  mourut  à  Bruges  le  lo  juin  1467. 


—  20  - 

Les  Liégeois,  qu'en  cette  circonstance  Olivier  de  la  Marche 
appelle  à  bon  droit  «  les  ennemis  de  leur  propre  bonheur,  » 
étaient  indignés  de  ce  que  leur  évêque  ne  voulait  pas  reve- 
nir dans  la  Cité  (1)  :  ils  attribuaient  cette  résolution  à  une 
influence  hostile  et  ne  se  crurent  pas  liés  plus  longtemps 
par  une  paix  dont  la  première  condition  était  le  retour  de 
Louis  ù  Liège.  Ils  voulaient,  après  la  mort  de  Philippe, 
éprouver  la  fortune  contre  son  fils.  Aussitôt,  ils  formèrent 
le  projet  de  s'emparer  par  surprise  du  château  de  Huy,  où 
résidait  l'évêque,  et  de  le  ramener  à  Liège.  L'entre- 
prise ne  réussit  qu'à  moitié  :  Huy  tomba  entre  leurs  mains, 
mais  Louis  parvint  à  s'échapper  (-2);  il  chercha  un  asyle  au- 
près du  duc  et  ne  se  fit  pas  faute  de  l'exciter  contre  les 
Liégeois. 

Déjà,  Charles  avait  pris  Saint-Trond  (3),  que  Philippe  s'é- 
tait fait  céder  pour  servir  de  boulevard  à  toute  entreprise 
contre  le  Brabant.  Il  rassembla  son  armée;  ses  hérauts 
tenaient  d'une  main  une  épée  nue,  de  l'autre  une  torche 
allumée,  sinistre  présage  signifiant  que  le  duc  se  proposait 
de  mettre  Liège  à  feu  et  à  sang  (4). 

A  cette  nouvelle,  Louis  XI  s'empressa  de  protester  :  les 
Liégeois,  disait-ii,  contre  lesquels  ces  hostilités  étaient  diri- 
gées, étaient  ses  alliés  ;  mais,  en  secret,  il  s'engagea  à  les 
sacrifier  si  le  duc  lui  laissait  pleine  liberté  d'agir  contre  le 
duc  de  Bretagne.  En  réponse  à  cette  proposition,  Charles  fit 
savoir  au  roi  que  les  Liégeois  avaient  été  les  aggresseurs  ; 
qu'une  bataille  était  imminente  et  aurait  lieu  avant  trois 

(1)  *  Depuis  l'année  1458,  Louis  de  Bourbon  avait  établi  sa  résidence  à  Huy, 
seule  ville  qui  lui  fût  restée  fidèle. 

(2)  *  La  ville  fut  prise  dans  la  nuit  du  16  au  17  septembre  1467. 

(3)  '  Le  21  décembre   1465,  suivant  la  relation   inédite  de  Jean  de  Haynin. 

(4)  Jean  de  Tboyes,  /.  c,  p.  360. 


—  21   — 

jours  :  s'il  la  perdait,  il  savait  bien  que  les  Français  agi- 
raient à  leur  guise  ;  mais  s'il  la  gagnait,  il  était  certain  que 
Louis  laisserait  les  Bretons  en  paix.  Quelque  courroucé 
qu'il  fût  contre  les  Liégeois,  le  duc  se  laissa  persuader,  par 
des  conseillers  généreux,  de  mettre  en  liberté  les  otages 
qu'ils  lui  avaient  livrés  en  garantie  de  l'observation  de  la 
paix  de  Saint-Trond. 

Au  mois  d'octobre  de  l'année  1467,  Charles,  à  la  tète  d'une 
armée  nombreuse,  parut  devant  la  ville  de  Saint-Trond, 
dont  la  garnison  était  commandée  par  un  homme  de  grande 
expérience,  le  chevalier  Renaud  de  Rouvrai  (1).  Le  cheva- 
lier Baré  (2),  de  Liège,  accourut  à  son  secours  avec  trente 
mille  hommes,  mais  parmi  lesquels  on  ne  comptait  que 
cinq  cents  cavaliers.  Il  existait  dans  le  pays  de  Liège  une 
tradition  selon  laquelle  aucun  ennemi  ne  franchissait  la 
rivière  de  Hasbain  (3)  sans  éprouver  une  défaite  ;  les  Lié- 
geois firent  eux-mêmes  l'expérience  de  l'exactitude  de  ce 
dicton. 

(0  '  Voyez  plus  haut,  page  17,  noie  -1.  Ce  fut  le  27  que  Charles  investit  la 
ville.  Il  l'assiégea  le  29,  lendemain  de  la  bataille  du  Brusthem. 

(2)  *  Fastré  Baré  de  Surlet,  chevalier,  maître  ou  bourgmestre  de  Liège  en 
H(j7.  Il  joua  un  rôle  important  dans  les  événements  qui  sont  racontés  ici.  Ce 
fut  lui,  notamment,  qui  fil  mettre  en  accusation  Gilles  Démet  et  ses  compa- 
gnons. (Voyez  ci-dessus  page  17,  note  3.)  Il  périt  à  la  bataille  de  Brusthem. 

(5)  *  «  Que  nul  ne  passe  le  Habsbain,  qu'il  ne  soit  combattu  le  lendemain.  » 
Ol.  delà  Marche,  édit.  de  Michaud  et  Poujoulat,  p.  513-oU.  La  Hesbaie,  on 
l'a  vu  plus  haut,  était  une  division  territoriale  de  l'ancienne  principauté.  La 
rivière  à  laquelle  il  est  fait  allusion  ici,  était  le  Geer  ou  Jaar,  qui  prend  sa 
source  à  Lens-St-Remi  dans  la  province  de  Liège,  passe  à  Warommc,  à  Lens- 
sur-Geer,  à  Oreye,  enlre  dans  la  prov.de  Limbourg,  passe  à  Otrange,  Lowaige, 
Tongres,  Mail,  et  revient  dans  la  prov.  de  Liège.  Jean  de  Haynin,  plus  exact 
qu'Olivier  de  la  Marche,  dit:  *  De  mémore  d'homme,  on  disoit  qu'on  n'a  voit 
onques  veu  nuls  gens  d'armes  estant  passés  outre  la  rivière  de  Gerre  pour 
nuire  ou  pays,  qui  y  séjournassent  vingt-quatre  heures  sans  estre  combattus.  » 


—  22  — 

Charles  détacha  douze  cents  hommes  de  son  armée  pour 
arrêter  les  troupes  françaises  qui,  suivant  la  rumeur  pu- 
blique, accouraient  au  secours  des  Liégeois.  On  croit,  en 
effet,  que  Louis  XI  avait  donné  l'ordre  au  brave  Dammartin 
d'entrer  en  campagne  avec  deux  cents  lances  et  six  mille 
archers  (1).  Mais  ce  renfort  ne  vint  pas  ou  arriva  trop  tard  ; 
il  paraît  toutefois  qu'un  agent  français  se  trouvait  à  Liège 
pendant  toute  la  durée  des  négociations. 

Le  choc  entre  les  Bourguignons  et  l'armée  du  chevalier 
Bare  eut  lieu,  le  24  octobre,  près  du  village  de  Bruischen, 
dans  le  voisinage  de  Saint-Trond  (2).  D'abord  les  Liégeois, 
quoique  mal  armés,  remportèrent  quelques  avantages  sur 
les  archers  ennemis,  grâce  à  leurs  longues  hallebardes  ; 
mais  ils  durent  enfin  céder  devant  les  glaives  bourguignons, 
laissant  trois  mille  hommes  —  six  mille,  suivant  Com- 
mines  —  sur  le  champ  de  bataille  ;  parmi  les  morts  se  trou- 
vait le  chevalier  Baré.  Trois  jours  après  cette  défaite, 
Renaud  rendit  la  ville  de  Saint-Trond  au  vainqueur  (3)  ; 
pour  échapper  au  pillage,  tout  le  comté  de  Looz,  Tongres 
et  dix  autres  villes  suivirent  cet  exemple. 

Privée  de  ses  alliés  et  de  ses  postes  avancés,  Liège  se 
trouva  réduite  à  ses  propres  forces.  Charles  vint  asseoir 

(1)  Jean  de  Troyes,  /.  c.  ;  Robert  Gaguin,  l.  c,  p.  263.  Il  faut  remarquer, 
toutefois,  que  Dammartin  parait  avoir  lui-même  nié  le  fait  dans  sa  correspon- 
dance. Voyez  une  note  au  texte  de  Philippe  de  Commines  dans  la  Collection  de 
Mémoires,  t.  XI,  page  445. 

(2)  C'est  ainsi  qu'Onufrius  nomme  celte  localité;  Olivier  de  la  Marche  l'ap- 
pelle Bruslan  et  Philippe  de  Commines  Brustein.  —  *  C'est  Bruslhem,  à  une 
demi  -lieue  S.-E.  de  Saint-Trond.  La  défaite  des  Liégeois  à  Brusthem  eut  lieu 
le  28  octobre.  Voy.  Gachard,  Coll.  de  documents  inédits,  t.  II,  p  168.  Jean 
de  Haynin,  dans  sa  relation  inédite,  donne  une  description  très  détaillée  de  la 
bataille. 

(s)  *  Charles  entra  clans  Saint-Trond  le  7  novembre, 


OQ     

*0     ^^ 

son  camp  près  de  l'abbaye  de  Saint-Laurent,  sous  les 
murs  mêmes  de  la  ville. 

L'hiver  approchait  ;  des  pluies  continues  avaient  changé 
en  marais  tous  les  environs.  L'armée  bourguignonne  man- 
quait de  tout,  tandis  que  la  Cité  était  abondamment  pour- 
vue de  défenseurs  et  de  vivres.  Si  elle  avait  suivi  le  conseil 
de  Raes  de  Lintre  (1)  et  d'autres  courageux  citoyens,  et 
résisté  pendant  quelques  jours,  Charles  eût  été  obligé 
de  lever  le  siège.  Mais  les  Liégeois  étaient  divisés  en  plu- 
sieurs factions  hostiles  les  unes  aux  autres:  les  partisans  de 
l'évêque,  rappelant  la  générosité  avec  laquelle  le  duc  avait 
rendu  les  otages,  firent  décider  qu'on  lui  remettrait  les  clefs 
de  la  ville,  à  la  condition  de  ne  pas  la  livrer  au  feu  et  au 
pillage.  Au  moment  même  où  Charles  entrait  par  une 
des  portes,  Raes  de  Lintre  et  ses  partisans  en  sortaient 
par  une  autre  (2). 

Cette  fois,  c'était  au  vainqueur  à  fixer  les  conditions  de  la 
paix  ;  celles  qu'il  imposa  furent  plus  dures  encore  qu'an- 
térieurement. »  Toute  juridiction,  de  quelque  nature  qu'elle 
soit  (3),  dont  la  commune  et  les  métiers  se  sont  emparés,  leur 

(1)  'Ou  Raes  de  Heers.  Raes  de  la  Rivière,  seigneur  de  Heers  et  de  Lintre, 
chevalier,  était  le  chef  du  parti  populaire.  Voyez  Abry,  Recueil  des  Bourg- 
mestres de  Liège,  p.  170,  et  Le  Beffroi,  1. 1,  p.  88,  article  de  M.Cam.  deRorman. 

d)  Jean  de  ïroyes,  l.  c.  ;  Olivier  de  la  Marche,  t.  X,  pp.  272  et  suiv.  ; 
Philippe  de  Comm  ines,  t.  XI,  p.  440. — 'Voyez  Rénaux,  op.cil.,  t.  H,  pp.  132, 153. 

(s)  Savoir:  14  scabini,  12  eleclores,  12  generaliones,  22  magistri  civilatis, 
12  jurali  d?*  vinâves,  se.  quarteriorum  civilatis  et  suburbiorum,  64  guberna- 
tores  ministeriorutn  mechanicorum,  16  commissarii,  etc.  —  *  Cette  liste  est 
incomplète  et  inexacte  :  les  14  échevins,  présidés  parle  mayeur,  constituaient 
le  premier  tribunal  séculier  du  pays  ;  les  2  maîtres  ou  bourgmestres  et  12  ju- 
rés formaient  le  magistrat  de  la  cité  ;  les  jurés  des  vinâves  étaient  préposés  à 
la  police  des  six  quartiers  de  la  ville  ;  les  gouverneurs  des  32  métiers  exer- 
çaient une  juridiction  sur  leur  corporation,  etc.  Le  nombre  et  la  dénomination 
de  ces  officiers  municipaux  ont,  du  reste,  plusieurs  fois  varié. 


—  24  — 

est  retirée  ;  elle  ne  peut  être  exercée  que  par  1  evêque,  au 
moyen  d'échevins  (scabini)  nommés  par  lui  ;  ces  échevins, 
qui  prêteront  serment  entre  les  mains  du  duc  en  sa  qua- 
lité de  gardien  et  avoué  de  la  ville,  sont  tenus  de  rendre 
la  justice,  non  d'après  l'ancien  droit  coutumier  qui  est 
déclaré  aboli,  mais  suivant  les  lois  écrites  ;  Liège  s'étant 
rendue  indigne  d'avoir  dans  ses  murs  le  siège  du  tribunal 
spirituel  de  l'évèque  (sedes  episcopalis  in  curia  spiri- 
tuali),  il  sera  transféré,  du  consentement  de  l'évèque  et  du 
Chapitre,  dans  trois  villes  ducales,  savoir:  Maestricht, 
Louvain  et  Namur  ;  à  Liège,  les  privilèges  des  trente-deux 
métiers  (1)  et  les  confréries  elles-mêmes  sont  supprimés  ; 
la  colonne  appelée  le  péron  (2),  sera  enlevée  du  Marché  et 
devra  disparaître  des  armoiries  de  la  ville  ;  l'évèque  et  ses 
successeurs  ne  pourront  percevoir  les  droits  de  transit  sur 
la  Meuse  sans  l'autorisation  des  ducs  de  Bourgogne  ;  ceux 
qui,  sans  attendre  les  effets  de  la  clémence  de  Charles,  ont 
quitté  la  ville,  resteront  bannis  pour  toujours  et  leurs 
biens  seront  confisqués  au  profit  de  l'évèque  et  du  duc  ; 
tous  les  fiefs  appartenant  aux  ennemis  du  duc  sont  dévolus 
à  l'évèque  ;  les  objets  enlevés  dans  les  églises  de  Huy  seront 
restitués;  l'évèque  sera  indemnisé  de  tous  frais  pour  les  pro- 
cès qu'il  a  soutenus,  tant  à  Rome  qu'ailleurs  ;  la  sentence 
du  pape  au  sujet  des  droits  juridictionnels  de  l'évèque,  sera 
confirmée.  Les  stipulations  du  traité  de  Saint-Trond  rela- 

(«)  A  Liège,  tous  les  habitants,  môme  étrangers,  (levaient  acquérir  la  bour- 
geoisie s'ils  voulaient  jouir  de  quelque  considération,  et  celle  acquisition  ne 
pouvait  avoir  lieu  qu'en  se  laissant  inscrire  sur  les  rôles  d'un  mélierou  corpo- 
ration. Philippe  de  Commines,  t.  XI,  p.  453,  note  \.  —  *  Voy.  S.  Bormans,  Le 
bon  métier  des  tanneurs  de  la  cité  de  Liège,  pp.  136  et  suiv. 

(2)  C'était  une  colonne  en  cuivre,  surmontée  de  quatre  statues.  Elle  fut 
transporlée  à  Bruges.  —  *  Voyez  une  gravure  représentant  le  Péron  dans  Abry, 
Recueil  des  bourgmestres  de  Liège,  p.  187. 


—  25  — 

tives  à  une  chapelle  expiatoire,  au  titre  d'avoué,  au  passage 
de  la  Meuse,  etc.,  furent  maintenues  ;  on  y  ajouta  même 
plusieurs  autres  conditions  humiliantes,  notamment  :  que 
les  Liégeois  ne  pouvaient  déclarer  la  guerre,  élever  de  for- 
tification ni  fabriquer  des  armes  ou  autres  engins  de  guerre 
sans  l'autorisation  préalable  du  duc  ;  qu'ils  démoliraient  jus- 
qu'à ras  du  sol  leurs  murailles,  leurs  portes  et  leurs  tours  ; 
qu'ils  payeraient  cent  quatre-vingt  mille  florins  d'amende  et 
livreraient  au  bon  plaisir  du  duc,  pour  expier  les  crimes  de 
la  ville,  douze  bourgeois  à  son  choix.  Quelques  clauses  ajou- 
tées en  faveur  de  Maestricht,  affranchissaient  en  partie 
cette  ville  de  sa  dépendance  à  l'égard  de  l'évêché.  "  C'est  à 
ces  conditions  onéreuses  et  cruelles  que  la  Cité  obtint 
la  paix,  le  18  novembre  de  l'année  1467  (î). 

Louis  de  Bourbon  et  son  Chapitre  ayant  jugé  que  l'Eglise 
de  Liège  se  trouvait  lésée  par  les  dispositions  relatives  à  la 
juridiction  et  à  la  suzeraineté  du  pays,  demandèrent,  sur  ce 
point,  l'observation  complète  de  la  sentence  du  pape.  Mais 
Charles  ne  voulut  pas  entendre  parler  d'exception  et  exigea 
la  ratification  pure  et  simple  de  la  paix  telle  qu'il  l'avait 
dictée.  La  plupart  des  chanoines  convinrent  de  s'en  rap- 
porter à  la  décision  du  Saint-Siège  et  rédigèrent  secrète- 
ment un  acte  authentique,  par  lequel  ils  déclaraient  n'avoir 
donné  leur  consentement  que  contraints  et  forcés.  Cette 
protestation  fut,  secrètement  aussi,  remise  plus  tard  au 
légat  Onufrius,  aussitôt  après  son  arrivée  à  Liège. 

Charles  ne  se  contenta  pas  des  sommes  extorquées  aux 
Liégeois.  Il  imposa  aux  villes  alliées  de  la  Cité  toute  espèce 

(i)  '  Ces  conditions  furent  acceptées  par  les  Liégeois  le  20  novembre. 
Le  texte  de  la  sentence  se  trouve  dans  le  Recueil  des  ordonnances  de  la 
principauté  de  Liège,  lre  sérip,  page  615. 

4 


-  26  - 

de  contributions,  sous  forme  d'amendes,  de  dons,  de  ving- 
tième denier  (i),  etc  :  toutes  ensemble,  elles  devaient  payer, 
dans  les  trois  mois,  une  somme  de  trois  cents  mille  florins  ; 
de  plus,  sous  prétexte  d'une  ancienne  dette  de  cinq  cent 
trente  mille  florins  due  à  son  père,  il  greva  le  pays  d'une 
taille  extraordinaire  sur  toutes  les  denrées  commerciales 
et  de  consommation.  Ce  nouvel  impôt,  qui  s'élevait  à  cent 
mille  florins  du  Rhin  par  an,  frappait  même  le  clergé  et 
les  laïcs  partisans  de  l'évèque  ;  c'étaient  des  percepteurs 
nommés  par  le  duc  qui,  jusqu'au  paiement  intégral  de  cette 
somme,  étaient  chargés  d'en  faire  la  recette  ;  tous  les  biens 
des  églises,  des  Chapitres,  des  couvents  ou  des  collèges 
(probablement  les  écoles  ecclésiastiques  et  les  séminaires) 
devaient  servir  d'hypothèque,  de  façon  qu'en  cas  de  non 
payement,  ces  biens  pouvaient  être  vendus  à  l'encan.  Aussi, 
avant  l'arrivée  du  légat,  des  propriétés  ecclésiastiques  pour 
une  somme  de  quarante  mille  florins  avaient  déjà  été 
aliénées.  Mais  l'Eglise  s'était  réservé  le  droit  de  rachat. 

Immédiatement  après  la  conclusion  de  la  paix,  la  démoli- 
tion des  murailles  fut  commencée  à  Liège  et  dans  les  six 
principales  bonnes  villes  du  pays  ;  les  privilèges  furent 
anéantis  ;  le  siège  de  la  cour  ecclésiastique  fut  déplacé,  et 
parmi  les  douze  bourgeois  dont  la  remise  avait  été  exigée 
par  le  duc,  neuf  eurent  la  tète  tranchée. 

Après  cette  exécution,  Charles  retourna  triomphalement 
a  Bruges,  à  la  tête  de  son  armée,  emportant  avec  lui  le 
péron  des  Liégeois  et  traînant  à  sa  suite  un  grand  nombre 
d'otages.  Il  avait  laissé  à  Liège,  en  qualité  de  lieutenant, 
pour  veiller  à  ses  intérêts  et  à  l'exécution  de  la  paix,  un  de  ses 
ministres  les  plus  dévoués,  Gui  de  Humbercourt.  chevalier 

(i)  Dans  le  manuscrit  :  vicena  pour  vigesima. 


—  27  — 

picard (i).  Un  autre  de  ses  fidèles,  bourguignon  de  naissance, 
fut  investi  de  la  présidence  du  Conseil  de  l'évêque  (2),  de 
sorte  que  rien  ne  pouvait  se  faire  sans  l'assentiment  du  duc. 
Ses  serviteurs  ne  ménageaient  ni  ecclésiastique  ni  laïc  et 
exigaient,  pour  leurs  peines,  un  salaire  de  cent  florins  d'or 
par  jour  (?)  (3).  Les  cloches  mêmes  des  temples,  sous  prétexte 
qu'elles  avaient  appelé  le  peuple  aux  armes  contre  les  Bour- 
guignons, furent  confisquées  dans  les  villes  et  jusque  dans 
les  villages,  puis  revendues  aux  églises  a  des  prix  exhorbi- 
tants.  Les  remparts  de  la  Cité  et  des  bonnes  villes  devaient 
être  démolis  et  les  fossés  comblés  aux  frais  des  habitants; 
c'étaient  de  vieilles  et  solides  murailles  qui  ne  tombaient 
pas  au  premier  coup  de  pioche  ;  si,  pour  ce  motif,  on 
demandait  un  délai  dans  l'accomplissement  de  ce  travail, 
on  ne  l'obtenait  qu'à  prix  d'argent.  Malgré  les  plus  vives 
protestations,  la  juridiction  temporelle  de  la  principauté, 
qui  appartenait  à  l'évêque  et  à  l'Eglise,  resta  entre  les  mains 
du  duc. 

On  le  voit,  les  Liégeois  étaient  traités,  non  en  nation 
indépendante,  mais  en  sujets  révoltés  ;  beaucoup  d'entre 
eux,  préférant  l'exil  à  l'esclavage,  émigrèrent. 

Lorsque  la  connaissance  de  ce  fait  arriva  à  Rome,  Paul  II 
manda  à  l'évêque  de  Tricaria  de  se  rendre  immédiatement 
à  son  poste.  Par  une  bulle  datée  du  3  février  1468,  il  lui 

(1)  *  Guide  Brimeu,  seigneur  de  Humbercourt,  lieutenant-général  du  duc  de 
Bourgogne  dans  le  pays  de  Liège.  Nous  retrouverons  plus  loin  ce  person- 
nage. 

(2)  *  En  temps  ordinaire,  c'était  le  chancelier  qui  remplissait  les  fonctions 
de  président  du  Conseil  privé.  Le  chancelier  de  Louis  de  Bourbon  était  Bay- 
mond  de  Marliano,  cité  plus  loin. 

(3)  *  Ce  point  d'interrogation  existe,  et  avec  raison,  dans  le  texte  de 
M.  Estrup. 


—  28  — 

conféra  des  pleins  pouvoirs  pour  négocier  la  paix  entre  l'é- 
vêque  et  ses  villes,  pour  lancer  ou  lever  l'interdit  ;  il  reçut 
surtout  pour  mission  d'exhorter  le  duc  à  ne  pas  souiller 
l'éclat  de  la  maison  de  Bourgogne  par  des  attentats  contre 
l'Eglise.  Le  légat  était  enfin  autorisé  à  ratifier,  au  nom  du 
pape,  et  avec  le  consentement  des  partis,  tous  les  traités  an- 
térieurs, à  l'exclusion,  toutefois,  des  clauses  contraires  à  la 
souveraineté,  au  domaine,  à  la  juridiction  et  à  la  liberté  de 
l'Eglise  (i).  Muni  de  ce  mandat,  Onufrius  quitta  Rome  le 
27  février  1468,  avec  cinq  serviteurs  à  cheval  ;  dans  sa  suite 
se  trouvaient  encore  d'autres  personnes,  notamment  Guil- 
laume, abbé  de  Deutz  près  de  Cologne,  et  le  docteur  Henri 
de  Lovemborgh,  chanoine  de  Liège  (-2).  En  route  vint  le 
rejoindre  le  docteur  Raymond  de  Morigliano  (3),  ancien 
membre  du  Conseil  du  duc  Philippe  et,  depuis,  de  celui  de 
l'évêque  de  Liège. 

Après  avoir  traversé  le  Tyrol  et  la  Souabe,  le  légat  ar- 
riva à  Mayence,  où  une  indisposition  l'obligea  à  faire  un 
court  séjour.  Puis  il  descendit  le  Rhin  jusqu'à  Cologne  ;  là, 
il  trouva  les  chefs  du  clergé  liégeois  et  de  la  noblesse  du 
pays  qui,  avec  une  escorte  de  soixante  cavaliers,  atten- 
daient impatiemment  son  arrivée.  Une  nouvelle  indisposi- 
tion l'arrêta  encore  huit  ou  dix  jours  à  Cologne  ;  mais  il  sut 
mettre  ce  retard  à  profit  pour  rétablir  la  bonne  intelligence 

(1)  L'étendue  de  ces  pouvoirs  réfute  péremptoirement  les  écrivains  bourgui- 
gnons qui  prétendent  qu'Onufrius  aurait  dépassé,  plus  tard,  les  limites  de  sa 
mission. 

(2)  *  Guillaume  Laner  de  Breitbach,  «•  vir  nalalibus  clarus,  sed  longe  clarior 
virtutibus  »  (Gallia  chrisliana,  t.  III,  col.  756),  et  Henri  de  Lovenberg  ou 
Lovenborcli,  du  diocèse  de  Cologne.  Voyez  de  Theux,  nji.  cit.,  t.  II,  p.  282. 

(5)  *  Maître  Raymond  de  Marliano,  professeur  à  Dôle  et  à  Louvain,  chanoine 
de  Besançon  et  de  Liège,  chancelier  de  Louis  de  Bourbon.  Voyez  de  Theux, 
/.  c,  H,  306.  Cfr  ci-dessus  p.  27,  note  2. 


—  29  - 

entre  l'archevêque  Robert  (1)  et  ses  sujets.  Il  put  enfin  ache- 
ver son  voyage,  partie  en  voiture,  partie  en  bateau  sur  la 
Meuse,  et  s'installa  chez  les  Chartreux  ;  le  couvent  de  ces 
religieux,  situé  non  loin  des  murailles  de  Liège,  n'était 
séparé  de  la  ville  que  par  le  fleuve,  dont  un  pont  reliait 
les  deux  rives.  Aussitôt  qu'ils  eurent  appris  l'arrivée 
du  légat,  les  habitants  de  la  Cité,  hommes  et  femmes,  accou- 
rurent en  foule  pour  le  supplier  de  lever  l'interdit  ;  depuis 
longtemps  les  cloches  des  églises  n'avaient  plus  appelé  le 
peuple  à  la  prière.  L'époque  de  la  réforme  religieuse  appro- 
chait, il  est  vrai,  et  la  liberté  civile,  dans  son  développement 
progressif,  se  trouvait  prête  pour  combattre  la  hiérarchie 
comme  elle  avait  autrefois  lutté  contre  l'aristocratie  ;  mais 
la  foi  était  encore  assez  vivace  pour  devenir  une  arme 
redoutable. 

Louis  de  Bourbon,  le  clergé  et  une  députation  de  bour- 
geois se  rendirent  auprès  d'Onufrius  trois  jours  après  son 
arrivée.  Le  docteur  Robert  (2),  moine  de  l'ordre  des  Carmes, 
lui  adressa  une  allocution  en  latin,  au  nom  de  l'évêque  et 
de  la  Cité.  Alexandre  Baral  et  Jobst  de  Marche  (3)  lui  ex- 
primèrent dans  des  discours  français,  le  regret  qu'éprouvait 
la  population  liégeoise  d'avoir  désobéi  au  Saint-Siège,  déso- 
béissance qui  avait  causé  tous  ses  malheurs.  Louis,  après 
s'être  agenouillé   devant  le  légat,  prit  la    parole    pour 

(i)  *  Ruperl,  comte  palatin  du  Rhin.  Voyez  Mering  und  Reischert,  Die 
Bischôfe  und  Erzbischôf'e  von  Coin.  Coin,  1838-43.  Voy.  l'Introduction. 

(■2)  *  «  Ante  alios  Robertus  adest,  sacro  ordine  montis 
Nomine  Corneli,  etc.  » 
(Ange  de  Viterbe  dans  VAmpl.  Coll.,  IV,  1406). 

(3)  *  Josse  ou  Judoc  comte  de  la  Marche,  chanoine  de  St-Lambert.  Voyez 
de  Theux,  op.  cit.,  t.  II,  p.  247.  Alexandre  Rérard  était  échevin  de  Liège. 
Voy.  Abry,  op.  cit.,  pp.  181,  -182. 


—  30  — 

intercéder  en  faveur  de  ses  sujets,  déclarant  qu'il  avait  reçu 
pleine  satisfaction  pour  les  torts  dont  ils  s'étaient  rendus 
coupables  envers  lui,  et  demandant  la  levée  de  l'interdit.  Il 
promit,  au  nom  de  la  Cité  et  de  toutes  les  villes  du  pays, 
un  subside  de  quatre-vingt  mille  florins  pour  faire  la  guerre 
contre  les  Turcs.  Tout  cela  fut  mis  par  écrit  et  les  pièces 
authentiques  délivrées  au  légat. 

Le  dernier  jour  du  mois  d'avril,  Onufrius,  entouré  de  tout 
le  clergé  et  suivi  d'une  foule  nombreuse,  fit  son  entrée  so- 
lennelle à  Liège.  Arrivé  sous  la  porte  de  la  ville,  il  leva  l'in- 
terdit et  rendit  aux  prêtres  excommuniés  le  pouvoir  de  célé- 
brer,comme  autrefois, les  saints  offices.  Aussitôt  les  cloches, 
que  l'on  n'avait  plus  entendues  depuis  trois  ans,  sonnèrent 
à  toute  volée  ;  les  églises  —  dont  quelques-unes  seulement 
étaient  restées  ouvertes  pendant  l'interdit  parce  que  leurs 
desservants  étaient  des  partisans  de  l'évèque  —  furent  ren- 
dues au  culte.  Les  renseignements  que  nous  donne  ici  Onu- 
frius prouvent  surabondamment  que  la  cause  de  Louis  de 
Bourbon  n'avait  pas  été,  en  général,  embrassée  par  le 
clergé,  et  que  le  différend  qui  révolutionnait  la  ville,  était 
occasionné  non  seulement  par  les  usurpations  des  bourgeois 
et  de  la  Commune,  mais  encore  par  celles  de  l'évèque  et  du 
Chapitre. 

Louis  de  Bourbon  qui,  à  la  demande  du  légat,  s'était 
enfin  fait  sacrer  (1),  chanta  solennellement  sa  première 
messe  le  1er  mai  et,  portant  entre  ses  mains  l'hostie  sainte, 

(i)  Piccolomini,  dans  Freher,  Scriptores  rerum  germanicarutn,  t.  II,  p. 
273.  —  *  Louis  de  Bourbon  avait  été  ordonné  prêtre  dès  le  6  juillet  1-466, 
et  sacré  évèque  le  13  du  même  mois.  Voyez  Ernst,  Tableau  des  suffragants 
de  Liège,  p.  139.  Il  ne  chanta  toutefois  sa  première  messe  que  le  1er  mai  de 
l'année  suivante. 


—  31  — 

visita    les  églises  et   fit  le  tour  du   Marché ,   suivi   du 
clergé  et  de  toute  la  population  (1). 

Cependant  Onufrius  avait  de  fréquentes  conférences  avec 
les  plus  anciens  membres  du  clergé  et  de  la  Commune,  à 
l'effet  de  s'entendre  sur  les  réformes  à  introduire  dans  l'ad- 
ministration des  affaires  ecclésiastiques,  sur  la  restitution 
des  objets  enlevés  aux  églises,  etc.  Dans  ces  réunions,  l'é- 
vêque  et  les  délégués  des  villes  formulaient  leurs  griefs 
contre  le  duc  de  Bourgogne,  qu'ils  identifiaient  avec  Ario- 
viste,  tandis  qu'ils  se  comparaient  aux  Gaulois  opprimés  et 
nommaient  Onufrius  leur  César  (2).  L'un  prétendait  être 
relevé  d'un  serment  qu'il  n'avait  prêté  que  sous  l'empire 
de  la  crainte;  un  autre  voulait  que  l'on  mit  des  bornes  aux 
exactions  du  duc;  tous  étaient  d'accord  pour  demander  qu'on 
arrêtât  la  démolition  des  murailles.  Mais,  en  même  temps, 
chacun,  redoutant  la  colère  de  Charles,  suppliait  le  légat  de 
ne  pas  le  dénoncer.  Onufrius  rassurait  tout  le  monde  avec 
bonté,  disant  que  le  Saint-Père  se  chargerait  de  résoudre 
les  difficultés  et  que  le  duc  respecterait  sa  sentence. 

A  la  demande  réitérée  d'un  grand  nombre  de  Liégeois,  le 
légat  se  rendit  à  Bruges,  le  8  juin,  avec  toute  sa  suite.  On 
ne  manqua  pas  de  le  prévenir  qu'il  courait  au-devant  d'un 
affront  :  qu'il  avait  été  décidé  dans  le  Conseil  du  duc  qu'il 
ne  serait  pas  reçu  comme  légat  et  n'obtiendrait  pas 
même  audience  s'il  venait  plaider  en  faveur  des  Liégeois. 
Onufrius  ne  se  laissa  pas  déconcerter  par  ces  dires  ;  il  dé- 
clara qu'il  "  défendrait  les  justes  réclamations  de  l'Eglise 

(1)  *  Cfr.  Adrien  de  Veteri  Busco,  dans  V Amplitsima  collectif)  de  Mar- 
tène  et  Durand,  t.  IV,  col.  43252. 

(î)  *  Arioviste,  roi  des  Suèves,  vaincu  par  Jules  César  vers  l'an  59  avant 
Jésus-Christ. 


—  32  — 

de  Liège,  et  que  si  on  ne  le  recevait  pas,  il  retournerait  au- 
près de  celui  qui  l'avait  envoyé.  »  On  croit  que  les  avertis- 
sements anticipés  donnés  au  légat  avaient  pour  but  d'éviter 
à  Charles  une  entrevue  pénible  ;  mais  il  n'osa  pas  considérer 
la  bulle  du  pape  comme  non  avenue  et,  voyant  la  fermeté 
du  prélat,  il  lui  fit,  à  Bruges,  une  réception  convenable. 
Après  trois  jours  d'attente,  Onufrius  obtint  une  première 
audience  ;  il  eut  ensuite  avec  le  duc  plusieurs  entrevues 
particulières  oU  il  fut  question  de  différentes  choses.  Enfin, 
les  affaires  de  Liège  furent  abordées  :  Charles  demanda  au 
légat,  d'abord  en  l'absence  de  témoins,  puis  devant  son  chan- 
celier, de  ratifier  par  écrit  et  sous  l'autorité  du  pape,  tout 
ce  qui  avait  été  stipulé  à  Saint-Trond  du  temps  de  son  père 
Philippe,  et  plus  tard  par  lui-même,  à  Bruischen  (1),  après 
la  reddition  de  Liège.  Onufrius,  avait  prévu  cette  demande  : 
«  C'est  avec  plaisir,  répond-il,  qu'il  ratifiera  ce  qui  a  été 
convenu  précédemment  entre  les  deux  partis  pour  protéger 
le  duc  contre  les  attaques  des  Liégeois  et  lui  faire  payer  l'in- 
demnité de  guerre  fixée  dans  les  traités  ;  mais  il  doit  exiger 
la  modification  de  tous  les  articles  relatifs  à  la  juridiction 
et  à  la  souveraineté  du  pays,lesquelles  ont  été  expressément 
réservées  par  la  paix  de  Saint-Trond  et  garanties  à  l'évêque 
par  la  sentence  de  Paul  II  ;  le  pape  ne  peut  confirmer  des  ré- 
solutions prises  au  préjudice  de  l'Église:  il  doit,  au  contraire, 
les  repousser  ;  c'est  à  cause  de  son  respect  pour  la  maison 
de  Bourgogne  qu'avant  de  faire  cette  déclaration  publique- 
ment, il  a  voulu  en  informer  le  duc  ;  celui-ci  ne  peut  s'é- 
tonner de  ce  que  l'Église  défende  et  revendique  ce  qui  lui 
appartient  ;  elle  lui  offre,  du  reste,  en  retour,  des  garan- 
ties et  une  compensation  convenables  ;  le  duc,  se  trouvant 

(i)  *  Lisez  Brusthem. 


—  ^3 

dans  son  camp  devant  Liège,  avait  fait  publier  dans  toutes 
les  églises  du  Brabant  qu'il  avait  pris  les  armes  contre  les 
Liégeois  sur  les  ordres  du  pape,  pour  venir  au  secours  de 
l'Eglise  ;  mais  il  est  évident  que  beaucoup  de  choses  se  sont 
faites  contre  la  volonté  du  pape  et  au  grand  détriment  de 
l'Eglise,  et  que  la  situation  s'aggrave  tous  les  jours  ;  des 
plaintes  nombreuses,  qui  ne  sont  pas  à  l'avantage  du  duc. 
lui  ont  été  faites  ;  sans  doute,  bien  des  faits  se  sont  passés 
à  l'insu  de  ce  prince,  mais  il  est  tout-à-fait  impossible  que  les 
affaires  de  Liège  restent  dans  l'état  où  elles  se  trouvent.  » 
Charles  réfléchit  quelques  instants  et,  après  s'être  entre- 
tenu avec  son  chancelier,  il  déclare  ••  avoir  bien  compris  le 
légat  ;  mais  cette  question  présente  tant  de  difficultés  qu'il 
veut  la  soumettre  à  son  Conseil  ;  il  espère,  dans  quelques 
jours,  pouvoir  donner  une  solution  favorable  à  l'Eglise  et 
agréable  au  pape.  » 

Différentes  circonstances  empêchèrent  le  duc  d'examiner 
les  réclamations  du  légat.  Ce  furent  d'abord  les  fêtes  — 
décrites  tout  au  long  par  Olivier  de  la  Marche  (1),  —  qui 
eurent  lieu  en  Flandre  lorsqu'une  flotte  de  dix-huit  navires 
amena  la  sœur  du  roi  Edouard  IV  d'Angleterre,  et  que  cette 
princesse  fit  son  entrée  à  Bruges  comme  fiancée  du  duc 
Charles,  avec  une  suite  nombreuse  de  gentilhommes  (2). 
Cette  alliance  de  la  maison  de  Bourgogne  avec  un  des  mo- 
narques les  plus  puissants  de  l'Europe,  ennemi  déclaré  de 

(1)  Collection  de  Mémoires,  t.  X,  pp.  -299  et  suiv.  Celte  description  donne 
une  idée,  non  seulement  de  la  magnificence  et  de  la  richesse  de  la  cmir  de 
Charles,  niais  aussi  du  goût  artistique  qui  régnait  à  celte  époque. 

(2)  Commises,  Collection  de  Mémoires,  t.  X,  [>.  i6-2.  —  *  Marguerite  d'Yorck 
débarqua  à  Damme  le  samedi  2  juillet.  Charles  arriva  le  lendemain  à  Bruges, 
où  rut  lieu  aussitôt  la  cérémonie  du  mariage. 

5 


—  34  — 

Louis  XI,  rendait  moins  probable  encore  toute  concession 
de  la  part  de  Charles.  Il  activa,  en  effet,  ses  armements 
contre  la  France,  car  la  guerre  était  recommencée  entre 
Louis  XI  et  le  duc  de  Bretagne,  et  celui-ci  réclamait  le 
secours  du  duc  de  Bourgogne. 

Deux  mois  se  passèrent  ainsi  sans  que  le  légat  reçut  de 
réponse  à  ses  observations.  Dans  l'intervalle ,  on  avait 
discuté  les  clauses  de  la  paix  considérées  comme  préjudi- 
ciables à  l'Eglise  ;  mais  de  nouvelles  difficultés  rendaient 
la  marche  de  cette  étude  plus  lente  et  plus  pénible  : 
en  effet,  Louis  de  Bourbon,  par  l'intermédiaire  de  son  se- 
crétaire Richard  (i),  informait  le  légat  que  les  Bourgui- 
gnons, en  dépit  des  protestations,  continuaient  à  démolir 
les  remparts  de  Liège  et  à  empiéter  de  toute  manière  sur  la 
juridiction  épiscopale. 

Vers  la  fin  du  mois  de  juillet,  Charles  voulut  aller  visiter 
la  Hollande,  qu'il  n'avait  pas  revue  depuis  la  mort 
de  son  père  ;  il  demanda  à  Onufrius  de  prolonger  de 
quelques  semaines  son  séjour  à  Bruges,  promettant  de 
lui  donner  à  son  retour  une  réponse  décisive  ;  il  le  priait  en 
même  temps  de  solliciter  du  pape  la  solution  de  quel- 
ques difficultés  qui  devaient  être  préalablement  écartées. 
Quoique  fatigué  de  cette  longue  et  vaine  attente,  le  légat 
se  soumit  au  caprice  du  duc.  Mais  bientôt,  sur  l'observation 
de  ce  prince  qu'il  l'attendrait  plus  à  l'aise  à  Bruxelles, 
il  quitta  Bruges  pour  aller  dans  cette  ville,  qui  le  rappro- 
chait de  Liège. 

Le  duc  revint  de  son  voyage  à  l'époque  fixée  ;  il  était 

(i)  *  Richard  de  Troncillon,  conseiller  et  secrétaire  de  Louis  de  Bourbon, 
chanoine  de  St-Lambcrt, vicaire-général  de  l'évoque.  Il  fut  assassiné  àSt-Trond, 
le  10  août  1474.  Voy.  de  Theux,  op.  cit.,  t.  H,  p.  289. 


—  35  — 

accompagné  de  Charles,  archevêque  de  Lyon  (1),  frère  de 
Févèque  de  Liège,  envoyé  par  Louis  XI  à  la  cour  de  Bour- 
gogne pour  l'assurer  que  l'armée  française,  rassemblée  sur 
les  frontières  de  la  Picardie,  n'était  pas  destinée  a  faire  la 
guerre  au  duc,  mais  qu'au  contraire,  le  roi  de  France  était 
prêt  à  se  soumettre  à  son  arbitrage  pour  terminer  sa 
querelle  avec  le  duc  de  Bretagne  et  le  prince  Charles  de 
France.  Mais  les  efforts  réunis  de  l'archevêque  et  du  légat 
furent  impuissants  pour  rien  changer  aux  sentiments  du 
duc  et  de  sa  mère:  Charles  n'avait  aucune  confiance  en 
Louis  XI  et  son  intérêt  évident  était  de  venir  en  aide  au 
duc  de  Bretagne. 

Ce  fut  donc  sur  les  affaires  de  Liège  que  se  porta  tout  l'in- 
térêt de  l'entrevue.Le  duc  et  ses  ministres  s'obstinaient  à  de- 
mander la  ratification  des  traités  en  disant  «  qu'ils  étaient 
avantageux  aux  deux  parties  ;  que  s'il  y  avait  lieu  de  les 
modifier  en  quelque  point,le  duc  ne  pouvait  convenablement 
le  faire  en  l'absence  des  autres  intéressés,  c'est-à-dire  de 
l'évêque  de  Liège  et  des  Etats.  «  A  quoi  le  légat  ré- 
pondait avec  beaucoup  d'à-propos,  «  que  lui,  de  son  côté, 
ne  pouvait  pas  y  donner  son  approbation,  puisque,  seule,  la 
partie  demandant  la  confirmation  était  présente  ;  que  si 
l'évêque,  les  hauts  dignitaires  du  Chapitreet  les  Etats  attes- 
taient par  serment  l'utilité  de  cette  ratification  par 
l'Eglise,  il  ne  se  refuserait  pas  à  la  donner.  »  On  convint  en 
conséquence  de  faire  venir  l'évêque  de  Liège  à  Bruxelles. 

Louis  de  Bourbon  eut  d'abord  de  nombreuses  conférences 
avec  le  légat  et  l'archevêque  de  Lyon,  qui  s'intéressait  aux 
affaires  de  Liège,  non-seulement  à  cause  de  son  frère  mais 
encore  en  qualité  d'ambassadeur  de  Louis  XI  ;  après  quoi, 

(i)  *  Charles  de  Bourbon,  intronisé  en  1466,  mort  le  17  septembre  1488. 


—  36  — 

les  trois  prélats  obtinrent  une  audience  de  Charles,  dans  la 
petite  chapelle  de  ce  prince.  Le  légat  ayant  déclaré  qu'il  per- 
sistait dans  son  avis  au  sujet  de  la  ratification  des  traités, 
le  duc  s'adressant  à  l'évêque  lui  demanda  ce  qu'il  désirait  : 
ou  bien  la  confirmation  pure  et  simple  des  paix  antérieures, 
ou  bien  leur  modification.  Louis  répondit  d'un  air  embar- 
rassé qu'il  suivrait  les  conseils  des  plus  anciens  membres 
du  clergé  et  des  Etats.  Cette  réponse  évasive  mit  Charles  en 
fureur  :  "  Je  m'étonne,  dit-il,  que  toi  et  tes  prélats  vous 
vous  montriez  aujourd'hui  beaucoup  plus  difficiles  que  lors- 
qu'on traitait  ces  questions  aux  portes  de  Liège.  Votre 
détresse  même  devait  vous  rendre  alors  plus  clairvoyants. 
Souviens-toi  que  tout  ce  qui  est  fait,  l'a  été  sur  ta  demande, 
car  tu  considérais  comme  avantageuse  à  tes  intérêts  et 
à  ceux  de  ton  Église  mon  intervention  pour  dompter  l'au- 
dace effrénée  de  ton  peuple.  »  Louis  fit  observer  «  que  le 
légat  ne  demandait  autre  chose  sinon  de  savoir  si  lui- 
même,  évèque,  et  son  Chapitre  avaient  accepté  les  traités 
sans  faire  de  réserve,  et  qu'il  n'avait  pas  dessein  de  cacher  la 
vérité.  »  Le  duc,  dont  la  colère  augmentait  à  chaque  objec- 
tion, s'écria  :  «  Je  vois  bien  que  vous  avez  adopté  la  politique 
du  roi  Louis  de  France,  qui  a  l'habitude  de  retirer  ses  pro- 
messes faites  sous  la  foi  du  serment.  Tu  veux  marcher  sur 
ses  traces,  Louis  de  Bourbon  !  Je  me  soucie  peu  que  ces 
dispositions  soient  ratifiées  ou  non  :  je  saurai  bien  faire  res- 
pecter ma  volonté  par  les  armes.  »  A  ces  mots,  il  mit 
la  main  à  son  épée  et  fit  avancer  ses  chevaux  pour  mar- 
cher immédiatement  contre  les  Français.  Les  deux  évêques 
restèrent  interdits.  Le  légat  n'avait  pas  compris  le  duc 
qui  s'était  exprimé  en  français  (i)  ;  mais  s'étant  fait  tra- 

(i)  *  Cependant,  nous  avons  vu  plus  haut,  p.  29,  qu'Onufrius  entendit  deux 
discours  français  de  Jossc  de  la  Marche  et  de  Bérard. 


—  37    - 

duire  ses  paroles,  il  émit  l'avis  «  que  l'évêque  de  Liège  avait 
raison  en  disant  qu'il  fallait  connaître  l'opinion  des  Etats  ; 
que  sur  les  cinquante  articles  de  la  paix,  dix  ou  douze  seule- 
ment devaient  être  modifiés  comme  étant  préjudiciables 
aux  intérêts  de  l'Eglise  ;  il  pria,  en  conséquence,  le  duc 
d'envoyer  à  Liège  deux  de  ses  ministres,  pour  délibérer 
sur  cet  incident  avec  l'évêque  et  lui-même.  »  Charles 
réfléchit  un  moment  à  cette  proposition,  puis  déclara 
••  qu'il  ne  lui  convenait  pas  d'envoyer  des  ministres  à 
Liège,  parce  qu'il  aurait  l'air  de  chercher,  lui  aussi,  à  ap- 
porter des  changements  aux  traités  ;  il  serait  préférable, 
selon  lui,  qu'Onufrius,  en  qualité  de  médiateur  désintéressé 
dans  la  question,  sondât  les  dispositions  du  clergé  liégeois 
pour  l'informer  ensuite  de  son  sentiment.  »  Le  légat  déféra 
au  désir  du  duc,  et  promit  de  lui  rendre  compte  de  ses  dé- 
marches, soit  par  lui-même,  soit  par  l'entremise  de  deux 
chanoines.  Là-dessus,  le  duc  prit  congé  et  donna  le  signal 
du  départ  à  son  armée. 

Onufrius  quitta  Bruxelles  le  22  août  et  rentra  à  Liège. 
Le  23  ,  il  reunit  en  synode  le  clergé  de  la  Cité  dans 
l'église  de  St-Lambert  ;  après  avoir  exposé  le  résultat  de 
ses  négociations  avec  le  duc,  il  demanda  qu'un  débat  fût 
ouvert  sur  les  points  à  modifier  dans  les  traités.  On  put 
constater  alors  que  l'archidiacre  Robert  (i)  et  certains 
membres  du  clergé ,  aux  conseils  desquels  les  Liégeois 
attribuaient  toutes  les  fautes  de  leur  évèque,  avaient  été 
gagnes  par  Charles  ou.  du  moins,  n'osaient  pas  le 
contrarier  dans  ses  desseins  ;  que  d'autres,  sincèrement 
attachés  à  l'Eglise,  étaient  dominés  par  la  crainte  de  voir 
leurs  déclarations  divulguées;  que  tous,  enfin,  auraient 

0)  '  Voyez  ci-dessus  page  8,  note  2. 


—  38  — 

voulu  mettre  le  légat  en  avant  et  le  charger  de  porter, 
de  sa  propre  autorité,  remède  aux  souffrances  de  l'Eglise, 
qui  —  on  l'avouait  sans  scruter  davantage  la  question 
—  s'était  mise  dans  son  tort.  Onufrius,  devinant  ces  fai- 
blesses, fit  prêter  serment  à  l'évêque  et  aux  chanoines 
d'exposer  franchement  leur  opinion  et  défendit  à  chacun, 
sous  peine  d'excommunication ,  de  révéler  au  dehors  les 
déclarations  de  ses  confrères.  Cette  menace  produisit  son 
effet.  Au  bout  de  huit  jours  ,  une  commission  de  huit 
chanoines  remit  au  légat  un  mémoire  sur  les  articles 
qui  paraissaient  devoir  être  modifiés;  ils  avaient  trait  à  la 
juridictiou,  au  domaine  et  aux  biens  de  l'Eglise,  et  aussi  à 
la  démolition  des  murailles  de  la  Cité,  «  sans  lesquelles, 
disaient-ils.  ils  ne  pourraient  servir  leur  maître  en  sécurité 
ni  résister  aux  attaques  de  l'ennemi.  »  Deux  chanoines 
furent  désignés  pour  se  rendre  à  Péronne,  où  Charles  avait 
établi  son  camp,  et  lui  faire  connaître  le  résultat  des  déli- 
bérations. Mais  des  événements  imprévus  vinrent  retarder 
leur  départ. 

Un  courrier  arriva  dans  la  Cité  apportant  la  nouvelle  que 
les  bourgeois  de  Liège  bannis  par  la  sentence  du  duc  (1),  après 
s'être  réfugiés  dans  les  Ardennes,  pillaient  et  ravageaient  la 
principauté  et,  de  concert  avec  les  habitants  des  villes  dont 
les  murailles  étaient  démolies  (2) ,  avaient  dessein  de  se 
rendre  maîtres  de  ces  places.  Aussitôt  des  émissaires  furent 
envoyés  dans  diverses  directions  pour  avoir  des  renseigne- 
ments exacts.  Le  9  septembre,  pendant  que  Louis  de  Bour- 
bon était  à  Maestricht  et,  conformément  aux  lois,  présidait 
une  journée  d'Etat,  les  exilés,  sous  les  ordres  du  comte  Vin- 

())  *  La  sentence  du  18  novembre  U67.  Voy.  ci-dessus  pages  23  à  25. 
(2)  *  Notamment  Tongres,Sainl-T  rond,  Visé.  Voyez  Adrien  de  Veteri  busco, 
l.  c,  col.  1323. 


—  39  — 

cent  de  Buren(i),de  Jean  le  Sauvage  (2),  gueldrois,  des  frères 
deStrasen(3),  lossains,  et  de  quelques  autres,  firent  irruption 
dans  la  ville  de  Liège  aux  cris  de  :  Vivent  le  Roi  et  les  Lié- 
geois libres!  (4)  Ils  avaient  arboré  des  drapeaux  aux  cou- 
leurs françaises  et  portaient  à  droite,  sur  la  poitrine,  une 
croix  blanche  (5)  avec  les  armes  de  Louis  XL  Ce  monarque 
avait  été  assez  adroit  pour  conclure  avec  le  duc  de  Bre- 
tagne une  paix  particulière,  et  Charles  le  Téméraire  était 
exaspéré  au  plus  haut  point  de  l'infidélité  de  son  allié.  Le 
roi  caressait  aussi  alors  l'espoir  d'une  réconciliation  avec 
la  cour  de  Bourgogne  et,  dans  ce  but,  il  chercha  à  avoir  une 
entrevue  avec  le  duc.  Mais  Charles  hésitait  à  l'accorder 
parce  que,  dit  Commines  (6),  il  avait  appris  que  les  Liégeois, 
à  l'instigation  du  roi,  s'étaient  mis  en  révolte  ouverte  contre 
leur  évêque.  On  soutenait  même  que  ses  émissaires  avaient 
été  vus  à  Liège.  Le  récit  qu'Onufrius  fait  de  la  rentrée  des 
bannis  dans  la  Cité,  justifie  les  soupçons  de  Charles.  En 
effet,  s'ils  n'avaient  été  encouragés  sous  main  par  Louis  XI, 

(i)  *  Vincent  de  Bucrcn  était  fils  de  Guillaume,  sire  de  Bueren,  et  d'Ermen- 
garde  de  Lippe. 

(2)  *  SUFFRIDUS  PETRI  dans  Ciiapea.  ville,  Gesta  pontif.  leodicnsium,  t.  Il, 
p.  2G0,  l'appelle  Villanus.  Jean  le  Sauvage  (en  flamand  de  Wilde),  descen- 
dait d'une  branche  cadette  de  la  maison  de  Horne  et  était  seigneur  de  Kesse- 
nich.  M.  le  Baron  df,  Chestret  a  écrit  un  excellent  article  sur  ce  personnage 
dans  le  Bulletin  de  l'Institut  archéolog,  liégeois,  t.  XIII,  p.  5.  Il  remarque, 
avec  raison,  que  tous  ces  capitaines  de  partis  sortaient  des  rangs  de  la  noblesse. 

(3)  *  Les  frères  de  Straile,  Eustache  et  Goswin,  étaient  fils  d'un  ancien  bourg- 
mestre de  Liège.  Voy.  Abrï,  op.  cit.,  p.  448. 

(1)  *  «  Intraverunt  civitatem  circa  horam  XI,  et  clamantes  :  »  Vivat  Bex  !  « 
Adrianus  de  Veteri  Biisco,  op.  cit.,  col.  1332. 

(5)  *  Lisez  droite  (crux  recta),  par  opposition  à  la  croix  de  Bourgogne,  qui 
était  en  sautoir. 

(f.)  Collection  de  Mémoires,  t.  XI,  pp.  462-89 


—  40 

tous  les  Liégeois,  hommes  et  femmes  —  à  l'exception  de 
deux  cents  qui  étaient  d'un  avis  contraire  et  qui,  pour  ce 
motif,  furent  massacrés  ou  jetés  en  prisons,  — ne  se  seraient 
pas  empressés  d'attacher  sur  leur  poitrine  une  croix 
blanche,  montrant  par  là  qu'ils  embrassaient  le  parti  des 
exilés.  Ceux  ci  étaient  d'abord  à  peine  au  nombre  de  deux 
cents  :  la  nuit  suivante  ils  étaient  mille  et,  peu  de 
jours  après,  dix  mille.  Les  fonctionnaires  bourguignons  . 
les  partisans  et  les  serviteurs  du  duc  s'enfuirent  lâche- 
ment. Tout  le  monde  s'accorde  à  dire  que  s'ils  avaient 
opposé  la  moindre  résistance,  ils  auraient  repoussé  la  pre- 
mière invasion,  puis  toutes  les  autres. 

Fendant  que  s'accomplissaient  ces  événements,  beaucoup 
de  personnes  étaient  venues  chercher  un  refuge  auprès  d'O- 
nufrius  installé  dans  l'abbaye  de  St-Jacques  (1)  ;  les  uns  l'en- 
gagaient  à  rester,  parce  que  le  peuple  l'aimait  ;  d'autres  lui 
conseillaient  de  fuir  sous  un  déguisement,  «  car,  disaient-ils, 
les  bannis  pourraient  se  venger  sur  lui  et  sur  les  siens  de 
l'excommunication  papale.  ••  Il  voyait  par  lui-même  que  le 
Marché  et  les  ponts  étaient  occupés  par  des  hommes  d'armes, 
qu'on  massacrait  ceux  qui  cherchaient  à  se  sauver,  et  que 
sa  fuite  ne  pourrait  avoir  lieu  sans  s'exposer  à  de  grands 
dangers.  Aussi  se  décida-t-ilà  rester.  Néanmoins,  quelques 
personnes  de  sa  suite  ayant  sollicité  la  permission  de  quitter 
la  ville,  il  la  leur  accorda,  non  sans  leur  adresser  ce  juste 
reproche  :  «  Vous  êtes  restés  près  de  moi  dans  la  joie  et  les 
fêtes,  et  vous  m'abandonnez  dans  la  détresse.  Malheur  à 
celui  qui  place  sa  confiance  dans  les  hommes  !  » 

Dans  la  soirée,  Onufrius  envoya  ses  deux  chapelains  et 
deux  moines  vers  le  groupe  des  bannis  qui  occupaient  le 

(i)  *  Les  bàtimenls  fie  l'ancien  monastère  ont  disparu,  niais  l'église  existe 
encore  à  Liège. 


—  41   — 

Marché  pour  leur  représenter  "  qu'il  n'avait  cessé  de  tra- 
vailler à  ramener  la  paix  et  la  concorde  dans  la  Cité,  et 
qu'étant  sur  le  point  d'atteindre  son  but,  il  avait  lieu  de 
s'étonner  des  troubles  qui  venaient  de  surgir.  Il  leur  faisait 
demander  qui  ils  étaient,  d'où  ils  venaient  et  ce  qu'ils  vou- 
laient, ajoutant  que  si  sa  présence  à  Liège  et  ses  questions 
leur  déplaisaient,  il  était  prêta  s'en  aller  pour  s'occuper  des 
autres  affaires  dont  il  était  chargé.  »  Les  proscrits  reçurent 
avec  respect  ces  envoyés  et  répondirent  «  qu'ils  étaient  des 
bourgeois  et  des  nobles  de  Liège,  bannis  depuis  longtemps 
de  la  Cité  ;  mourant  de  faim,  de  soif  et  de  froid  dans  les 
Ardennes,  ils  ne  pouvaient  davantage  supporter  les  dou- 
leurs de  l'exil  et  étaient,  en  conséquence,  revenus  s'asseoir 
à  leurs  foyers  près  de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants  ;  ils 
voulaient  obéir  au  Saint-Siège  et  à  son  représentant,  le 
légat,  ainsi  qu'à  l'évèque,  pour  qui  ils  étaient  prêts  à  sa- 
crifier leurs  biens  et  leur  vie  s'il  consentait  à  les  affranchir 
et  à  s'affranchir  lui-même  d'un  joug  intolérable.  La  pré- 
sence du  légat  ne  leur  était  pas  seulement  agréable,  mais 
même  nécessaire,  à  tel  point  que  s'il  était  éloigné  d'eux  ils 
iraient  le  chercher  et  le  ramèneraient  sur  leurs  épaules, 
et  qu'ils  châtieront  quiconque  oserait  lui  causer  le  moindre 
dommage,  à  lui  ou  aux  siens.  »  Après  cette  déclaration,  ils 
députèrent  vers  le  légat  deux  des  bourgeois  les  plus  consi- 
dérés de  la  Cité, pour  le  prier  de  fixer  l'heure  à  laquelle  leurs 
chefs  pourraient,  le  jour  suivant,  aller  conférer  avec  lui. 
Onufrius  fixa  l'entrevue  à  l'issue  de  la  messe  ;  il  promit  de 
faire  tout  son  possible  pour  réconcilier  les  Liégeois  avec 
leur  évêque  et  avec  les  autres  princes  dont  ils  pourraient 
rechercher  l'amitié. 

Le  lendemain,  les  chefs  et  les  députés  de  la  bourgeoisie,  au 
nombre  de  quarante,  vinrent,  à  l'heure  fixée,  à  l'abbaye  de 

G 


—  42  — 

St-Jacques,  où  le  légat  avait,  de  son  côté,  convoqué  quelques 
chanoines  (1)  de  Saint-Laurent  et  d'autres  églises. Les  moines 
de  Saint-Jacques  et  le  général  des  Carmes,  arrivé  à  Liège 
depuis  quelques  jours,  assistaient  également  à  la  conférence. 
Amel  de  Velrois  (2)  prenant  la  parole  au  nom  des  bourgeois, 
répondit  aux  questions  du  légat  ;  il  le  pria  «  de  lui  procurer 
un  sauf- conduit  pour  une  députation  des  Liégeois  proscrits 
qui  voulaient  se  rendre  à  Maestricht  auprès  de  Louis 
de  Bourbon,  le  suppliant  de  les  accompagner  lui-même, 
afin  qu'il  fut  présent  à  leurs  explications  ;  ils  voulaient 
implorer  du  prince  la  faveur  de  rester  à  Liège  et  s'enga- 
gaient,  à  ce  prix,  à  remplir  à  l'avenir  leurs  devoirs  en 
bons  et  fidèles  sujets.  «  Onufrius  n'ayant  pas  confirmé 
la  paix  qui  les  avait  proscrits,  ne  trouva  pas  d'objection 
à  faire  à  cette  proposition  ;  il  obtint  le  sauf-conduit 
demandé  et  prit  ses  dispositions  pour  accompagner,  le 
lendemain,  les  députés  à  Maestricht  (3).  Avant  de  partir, 
il  dut  certifier  aux  habitants  de  la  Cité  qu'il  ne  les  quit- 
tait pas  pour  toujours  et  promettre  solennellement  de 
revenir  à  Liège  ;  car  «  ils  ne  pouvaient,  disaient-ils,  abso- 
lument pas  se  passer  de  lui  dans  la  situation  désespérée  où 
ils  se  trouvaient.  » 

Onufrius  et  sa  suite  s'embarquèrent  sur  trois  bateaux, 
qui  descendirent  la  Meuse  aux  acclamations  de  la  foule 
faisant  des  vœux  pour  la  paix.  En  route,  le  légat  s'arrêta 
dans  tous  les  villages  assis  sur  les  rives  du  fleuve,  ordon- 

(1)  *  Saint-Laurent,  près  de  Liège,  sur  la  hauteur,  était  aussi  une  abbaye 
occupée  par  des  moines,  et  non  par  des  chanoines. 

(•2)  *  Amel  de  Velroux,  un  des  chefs  des  Liégeois  révoltés.  Voy.  Abry,  op. 
cit.,  p.  179,  et  le  Bull,  de  Vlnslit.  archéol.  liég.,  t.  XIII,  p.  9. 

(s)  Les  évoques  de  Liège  avaient,  dans  les  anciens  temps,  résidé  à  Maes- 
tricht et  y  possédaient  un  palais. 


—  43  — 

nant  aux  curés  d'ensevelir  les  cadavres  des  bourgeois  qui 
avaient  péri  le  9  septembre  dans  les  flots.  Ami-chemin  entre 
Liège  et  Maestricht,  au  haut  d'un  rocher  dominant  la 
Meuse,  se  trouvait  le  château  d'Argenteau  dont  les  proprié- 
taires, trois  frères,  étaient  vassaux  du  duc  de  Bourgogne 
aussi  bien  que  del'évêque  de  Liège  ;  hostiles  aux  proscrits, 
ils  lancèrent  des  projectiles  sur  leurs  bateaux  qu'ils  auraient 
coulés  bas  s'ils  n'avaient  appris  que  le  légat  accompagnait 
la  députation,  se  rendant  auprès  de  l'évèque  pour  négocier 
la  paix.  Lorsque  les  délégués  approchèrent  de  Maestricht, 
Louis  de  Bourbon  n'osa  pas  les  recevoir  dans  l'intérieur  de 
la  ville,  parce  que  celle-ci  appartenait  en  commun  au  duc 
et  à  l'évèque  et  comptait,  parmi  ses  habitants,  beaucoup  de 
personnes  dévouées  aux  intérêts  bourguignons.  Onufrius 
alla  donc,  avec  ses  compagnons  et  ses  serviteurs,  se  loger 
dans  un  couvent  de  Franciscains  situé  sur  le  territoire  lié- 
geois, à  une  demi-lieue  de  Maestricht  (1). 

Là,  les  proscrits  renouvelèrent,  en  présence  de  l'évèque, 
les  déclarations  qu'ils  avaient  faites  au  légat  ;  ils  suppliè- 
rent Louis  "de  rétablir  sa  résidence  à  Liège  et  promirent  de 
se  conformer  à  la  sentence  qu'il  lui  plairait  de  prononcer, 
de  concert  avec  le  légat  et  le  pape,  à  la  seule  condition 
qu'ils  fussent  rappelés  de  l'exil;  ils  ajoutaient  que  de  grands 
torts  avaient  été  commis  envers  eux  et  envers  l'Eglise,  et 
qu'il  était  de  toute  nécessité  qu'on  les  réparât.  » 

L'évèque  mit  à  son  retour  et  à  leur  pardon  les  conditions 
suivantes:  «  tous  les  proscrits,  munis  d'un  sauf-conduit  qu'il 

(i)  '  Il  s'agit  du  couvent  de  Liehtenberg,  bâti  en  1452  et  appelé  plus  tard 
Slavanten,  nom  qui  paraît  une  corruption  du  mot  flamand  Observanten  sous 
lequel  on  désignait  alors  une  certaine  classe  de  religieux  franciscains  obser- 
vant plus  sévèrement  la  règle  primitive.  Cfr.  les  Publications  de  la  Société 
hist.  et  archéol.  dans  le  duché  de  Limbourg,  t.  VU,  pp.  68,  134, 140,  202. 


—  44  — 

leur  donnera,  se  rendront  soit  à  Aix-la-Chapelle,  soit  à 
Recru  (1),  et  y  séjourneront  jusqu'à  ce  qu'il  ait  pris  une 
résolution  au  sujet  de  leur  rentrée  dans  leurs  loyers  ;  ceux 
d'entre  les  bourgeois  qui  avaient  fait  cause  commune  avec 
les  bannis,  pourront  rester  en  toute  sécurité  dans  la  Cité  ; 
les  habitants  de  Liège  livreront  à  l'évêque  leurs  dra- 
peaux et  leurs  armes.  Alors  seulement  il  reviendra  dans 
sa  capitale  pour  y  jouir,  comme  par  le  passé,  de  tous  ses 
droits  de  souveraineté.  »  La  crainte  de  la  vengeance  de 
Charles  et  le  souci  de  sa  propre  sécurité  avaient  seuls  dicté 
ces  clauses  à  l'évêque  ;  au  fond,  elles  ne  visaient  qu'à  ame- 
ner le  désarmement  des  Liégeois,  et  ne  présentaient  aucune 
garantie  pour  la  paix  intérieure  du  pays. 

Après  cette  déclaration, l'évêque  et  sa  suite  retournèrent 
à  Maestricht  ;  le  légat  resta  auprès  des  députés  pour  veiller 
à  leur  sûreté  et  à  leur  subsistance,  car  personne  n'osait 
fournir  des  vivres  aux  proscrits.  Il  désirait  cependant, 
disait-il,  se  rendre  lui-même  à  Maestricht  pour  détourner 
Louis  de  Bourbon  de  faire  une  guerre  ouverte  à  ses  sujets, 
comme  beaucoup  de  personnes  l'y  engageaient,  du  moins 
suivant  la  rumeur  publique.  Persuadé  qu'il  serait,  à 
Maestricht,  plus  en  état  d'être  utile  aux  Liégeois,  il 
proposa  aux  députés  de  retourner  seuls  dans  la  Cité  pour  y 
faire  connaître  la  réponse  de  l'évêque.  Il  dut,  cette  fois 
encore,  céder  à  leurs  prières,  car  ils  lui  représentaient 
que,  s'ils  revenaient  sans  lui,  le  peuple  les  mettrait  en 
pièces.  Onufrius  ayant  promis  de  les  suivre  sans  tarder,  ils 
se  rembarquèrent  vers  midi. 

(0  *  Rolduc?  petite  ville  à  une  lieue  et  demie  au  nord  d'Aix-la-Chapelle  et  à 
o  lieues  de  Maestricht.  Elle  possédait  autrefois  une  florissante  abbaye  de 
chanoines  réguliers  de  l'ordre  de  St-Augustin,  aujourd'hui  convertie  en  petit 
Séminaire. 


—  45  — 

Le  soir,  un  courrier  vint  lui  annoncer  que  les  députes 
liégeois  avaient  été  faits  prisonniers  par  les  seigneurs 
d'Argenteau;  d'après  ce  qu'on  disait,  les  uns  avaient  déjà 
été  décapités,  les  autres  jetés  dans  le  fleuve.  Onufrius 
lut  d'autant  plus  déconcerté  par  cette  nouvelle,  que,  le 
lendemain,  des  lettres  des  Chapitres  de  Liège  vinrent 
l'informer  de  certains  faits  qui  se  passaient  dans  la  Cité  : 
quelques  bourgeois  accusaient  le  légat  de  trahison  parce 
que,  n'étant  pas  revenu,  suivant  sa  promesse,  il  avait 
été  la  cause  du  massacre  des  députés  ;  d'autres  envahis- 
saient les  églises,  en  menaçant  de  mort  les  prêtres  et 
les  gens  du  légat  restés  en  arrière,  si  réellement  leurs 
concitoyens  avaient  péri  ou  n'étaient  pas  remis  en  liberté  ; 
ils  parlaient  même  de  piller  et  de  brûleries  temples. 

Onufrius  écrivit  aussitôt  plusieurs  lettres  et  envoya  des 
messagers  de  différents  côtés  :  il  offrait  aux  Liégeois  de  re- 
venir immédiatement  parmi  eux  et  d'employer  tous  ses 
efforts  pour  la  mise  en  liberté  de  leurs  concitoyens  :  il  or- 
donnait aux  seigneurs  d'Argenteau  de  relâcher  les  prison- 
niers ,  leur  reprochant  d'avoir  violé  le  sauf-conduit  de 
1  evèque  de  Liège  et  d'un  légat  du  pape,  et  les  menaçant  de 
châtiments  temporels  et  spirituels  ;  il  conjurait  en  même 
temps  l'évèque  de  protéger  leur  honneur  à  tous  deux  et 
d'agir  de  telle  sorte  que  ni  les  ecclésiastiques  ni  les  gens 
du  légat  ne  fussent  sacrifiés  à  la  fureur  populaire  :  c'était 
le  seul  moyen  qui  lui  restait  pour  se  laver  de  tout  soupçon. 

Le  texte  de  cette  dernière  lettre  laisse  entrevoir,  pour  la 
première  fois,  qu'Onufrius  se  défiait  des  intentions  secrètes 
de  Louis  de  Bourbon;  dans  la  suite  de  sa  relation,  il  exprime 
plus  ouvertement  ses  doutes  sur  la  sincérité  de  l'évèque. Ils 
n'étaient,  hélas  !  que  trop  fondés  ;  Onufrius  fut  plus  d'une 
fois  obligé  d'intercéder  près  de  lui  en  faveur  des  Liégeois. 


—  46  — 

C'est  ce  qui  explique  comment  des  historiens  contempo- 
rains (1)  ont  pu  soutenir  sérieusement  qu'il  attisait  le  feu  au 
lieu  de  l'éteindre,  qu'il  outrepassait  les  pouvoirs  qu'il  avait 
reçus  du  pape  et  excitait  les  Liégeois  contre  leur  prince 
pour  se  mettre  à  sa  place. 

Les  lettres  du  légat  calmèrent  les  bourgeois  et  les  Cha- 
pitres, d'autant  plus  qu'ils  apprirent  que  les  prisonniers 
des  seigneurs  d'Argenteau  étaient  en  vie.  Quant  à  Louis  de 
Bourbon,  il  s'excusa  en  disant  que  les  députés  avaient  été 
arrêtés  à  son  insu,  et  que  le  château  d'Argenteau,  quoique 
environné  de  villages  relevant  de  l'évèché,  était  un  fief 
ducal.  Onufrius  lui  répondit  que  le  bras  de  l'évêque  pouvait 
atteindre  les  criminels  dans  leurs  terres  lorsqu'elles  étaient 
soumises  à  sa  juridiction,  et  qu'il  avait  le  droit  de  jeter  en 
prison  ou  de  livrer  au  légat  les  deux  frères  du  seigneur 
d'Argenteau  qui  se  trouvaient  dans  son  camp.  Cette  décla- 
ration énergique  eut  pour  effet  immédiat  de  faire  relâcher 
les  députés  ;  mais  les  deux  partis,  l'évêque  d'un  côté,  les 
Liégeois  de  l'autre,  étaient  tellement  exaspérés,  qu'Onufrius 
ne  parvint  qu'à  grand  peine  à  empêcher  la  guerre  civile  et 
à  ouvrir  de  nouvelles  conférences  pour  la  paix. 

Louis  proposa,  comme  lieu  de  réunion,  l'abbaye  de  Veteri- 
Vincto  (2),  à  mi-chemin  entre  Liège  et  Maestricht.  Mais 
comme  c'était  un  monastère  de  femmes  et  qu'il  n'était  pas 
convenablement  fortifié,  Onufrius  ne  consentit  pas  à  y  sé- 
journer.  Après  un  délai  d'un  jour,  sur  les  instances  du 

(i)  Paulus  jEmilius,  De  rébus  Francorum ,  ad  an.  1468  ;  Phil.  de 
Commines,  t.  XI,  p.  493,  suivi  par  Villaret  et  Garnier,  Histoire  de  France, 
I.  XVII,  p.  299. 

(2)  *  Lisez  Vcteri-Vinelo.  Vivegnis,  commune  à  8  kilomètres  de  Liège.  Sur 
l'abbaye  des  Bénédictines,  voyez  les  Délices  du  pays  de  Liège,  et  Stéphani, 
Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique  du  patjs  de  Liège,  t.  I,  p.  59. 


—  47  — 

clergé  et  de  la  fraction  paisible  des  habitants,  il  vint  à  Liège 
pour  engager  le  peuple  à  accepter  les  trois  conditions  posées 
par  l'évêque.  Il  rentra  dans  la  Cité  le  21  septembre,  salué 
par  les  cris  de  joie  de  la  foule  ;  puis,  ayant  réuni  les  princi- 
paux bourgeois,  il  leur  conseilla  «  de  faire  les  concessions 
demandées;  si,  après  avoir  livré  leurs  armes,  ils  doutaient 
du  retour  de  Louis  de  Bourbon,  il  promettait  de  décider  ce 
prince  à  leur  fournir  toutes  les  garanties  désirables.  «  Les 
bourgeois  déclarèrent  qu'ils  n'oseraient  rien  décider  sans 
l'assentiment  du  peuple  ;  ils  conseillèrent  au  légat  de  ne  pas 
parler  des  Bourguignons  dans  l'assemblée  qui  aurait  lieu, 
et  de  faire  seulement  mention  de  ce  que  désirait  l'évêque. 

En  conséquence,  les  Liégeois  furent  convoqués  sur  la 
place  Saint-Lambert  (i).Le  légat,  accompagné  des  chanoines 
en  habits  sacerdotaux,  d'un  grand  nombre  d'autres  prêtres 
et  de  moines,  monta  à  l'étage  d'une  maison  située  au  milieu 
du  Marché  et,  du  haut  d'une  fenêtre,  harangua  la  foule  par 
l'intermédiaire  de  maître  Robert  (s)  qui  traduisait  ses 
paroles  :  car  Onufrius  ne  connaissait  pas  la  langue  fran- 
çaise. Il  exhorta  les  bourgeois  à  rechercher  la  paix,  leur 
rappelant  les  maux  qui  avaient  suivi  les  derniers  troubles. 
«  Si  l'évêque,  ajouta-t-il,  manque  à  sa  parole,  je  lèverai 
contre  lui  le  bras  ecclésiastique,  et,  au  besoin,  le  bras 
séculier.  »  Le  chanoine  Josse  de  la  Marck,  au  nom  du 
clergé ,  et  après  lui  Amel  de  Velrois ,  au  nom  de  la 
bourgeoisie,  prirent  la  parole  et  parlèrent  dans  le  même 

(i)  Quand  une  affaire  devait  être  traitée  publiquement  à  Liège,  on  convo- 
quait le  peuple  devant  le  palais  de  l'évêque,  au  son  de  la  grosse  cloche  de  cet 
édifice.  Philippe  de  Commines,  t.  XI,  p.  -ioS.  —  *  La  place  Saint-Lambert, 
occupée  par  l'église  de  ce  nom,  n'existait  pas  à  cette  époque.  C'était  sur  le 
Marché  que  s'assemblait  le  peuple. 

(*)  *  C'est  le  Carme  que  nous  avons  vu  plus  haut,  p.  29. 


—  48  — 

sens.  Mais  celui-ci  ayant  négligé  dans  son  discours  de 
faire  mention  des  privilèges  et  des  libertés  des  Liégeois,  fit 
éclater  une  tempête  de  cris  et  d'injures.  Des  hommes 
du  peuple  éclatèrent  en  murmures  :  «  Ce  légat,  disaient-ils, 
a  beau  parler  ;  cela  ne  lui  coûte  que  des  mots  ;  mais  pour 
nous,  il  y  va  de  la  vie.  «  En  même  temps,  un  homme 
appelé  Clerfasot  (1),  poussé  par  le  démon,  et  un  noble  du 
nom  de  van  Stralen,  qui  se  trouvaient  dans  la  même 
maison  que  le  légat,  crièrent  au  peuple  :  «  Montrez-vous 
fermes  à  défendre  les  libertés  que  vous  avez  conquises  à  la 
pointe  de  vos  épées  et  sans  le  concours  de  qui  que  ce  soit. 
N'est-ce  pas  là  ce  que  vous  voulez  ?  »  —  «  Oui,  nous  le  vou- 
lons, »  répondit  la  foule  d'une  seule  voix.  Onufrius,  devinant 
ce  qui  se  passait,  se  tourna  vers  les  personnages  influents 
qui  se  tenaient  à  ses  côtés,  et  leur  dit  :  «■  Si  l'on  veut  encore 
parler  de  libertés  et  se  mettre  en  opposition  directe  avec  le 
jugement  du  Saint-Siège,  auquel  vous  vous  êtes  soumis  d'un 
commun  accord,  il  ne  peut  plus  être  question  de  paix.  Ce 
jugement  ne  peut  être  réformé  en  rien.  «  On  lui  répondit 
"  qu'on  ne  songeait  nullement  à  infirmer  la  sentence  du 
pape  ;  mais  qu'en  dehors  de  celle-ci,  on  avait  à  faire  valoir 
des  griefs  considérables  qui,  si  l'on  voulait  arriver  à  un 
accommodement,  devaient  être  tout  d'abord  écartés.  »  Pour 
en  finir,  Onufrius  demanda  une  réponse  nette  et  catégorique 
aux  propositions  de  l'évêque.  Elle  lui  fut  apportée  le  soir 
même  et  contenait  en  substance  ce  qui  suit  :  «  Les  bourgeois 
exilés  n'ont  été  bannis  ni  par  sentence  du  pape  ni  par  celle 
de  leur  prince;  leur  condamnation  est  donc  nulle;  toutefois, 
ils  sont  prêts  à  obéir  a  leur  seigneur.  L'affaire  d'Argenteau 
témoigne  qu'ils  ne  peuvent  se  transporter  où  ils  veulent  sur 

(i)  *  Nom  inconnu  dans  les  Annales  liégeoises.  —  Van  Stmlen,  de  Straile. 


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la  seule  parole  de  l'évêque  ;  mais  ils  consentent  à  séjour- 
ner dans  le  faubourg  d'Outre-Meuse  (1)  jusqu'à  ce  que  le 
légat  et  Louis  de  Bourbon  aient  statué  sur  leur  sort.  Ce 
n'est  pas  pour  combattre  leur  seigneur  ni  leur  patrie  qu'ils 
ont  pris  les  armes,  mais  pour  lutter  contre  l'oppresseur 
de  leur  pays  et  de  l'Eglise,  qu'ils  sont  décidés  à  défendre 
jusqu'à  la  mort.  Aussi  sont-ils  disposés  à  fournir  des  otages 
suivant  le  bon  plaisir  du  légat.  Il  ne  serait  ni  juste  ni  utile 
de  livrer  leurs  armes  à  l'évêque,  puisqu'il  ne  peut  leur 
donner  d'autre  garantie  que  ses  lettres  ;  ils  le  prient  donc 
humblement  de  revenir  à  Liège  et  d'écouter  leurs  plaintes 
en  présence  du  légat.  Enfin,  ils  expriment  le  désir  qu'il  ne 
ramène  pas  avec  lui  les  seize  nobles  et  bourgeois  qui, 
pendant  les  troubles  antérieurs,  avaient  assassiné  ou  fait 
exécuter  plusieurs  parents  des  bourgeois  actuellement 
rentrés  à  Liège  ;  plus  tard  ils  pourront  revenir  dans  la 
Cité,  lorsque  la  tranquillité  sera  rétablie.  » 

La  défiance  qui  régnait  entre  Louis  et  la  bourgeoisie 
ne  permettait  guère  de  faire  espérer  des  rapports  sincères 
et  durables.  En  conséquence,  ce  fut  Onufrius  qui  porta  à 
l'évêque  la  réponse  des  Liégeois.  Louis,  accompagné  d'une 
suite  de  mille  personnes,  se  porta  à  sa  rencontre  et 
l'entrevue  eut  lieu  non  loin  d'une  petite  ferme  nommée 
Milmort,  à  trois  mille  pas  de  Liège  (2).  Pendant  qu'ils 
délibéraient  sur  les  moyens  de  conclure  la  paix,  le  cri  aux 
armes  !  partit  tout  à  coup  de  l'escorte  de  l'évêque  et,  peu 
après,  un  bourgeois  de  Liège,  tombé  entre  les  mains  de 
ses  cavaliers,  fut  pendu  au  premier  arbre  que  l'on  trouva. 
Onufrius  reprocha  vivement  à  Louis  cet  acte  déloyal  et 

(1)  *  Quartier  de  la  ville  sur  la  rive  droite  de  la  Meuse. 

(2)  *  Milmorte  est  un  village  à  7  kilom.  de  Liège. 


—  50   - 

lui  représenta  que,  si  on  en  venait  aux  mains,  il  ne  serait 
pas  en  état  de  tenir  tête  aux  Liégeois  ;  car  son  armée  ne 
comptait  que  trois  mille  hommes,  cavaliers  ou  fantassins, 
tandis  que  les  proscrits  rentrés  à  Liège  étaient  au  moins 
au  nombre  de  dix  mille.  Sur  cette  observation,  la  suite 
de  Louis  prit  une  attitude  plus  pacifique.  Il  fut  convenu 
que  l'on  proposerait  aux  exilés  de  passer  la  Meuse  et  de 
livrer  leurs  armes,  non  à  l'évêque  mais  au  légat  ;  qu'on 
ne  ferait  pas  allusion  aux  libertés  des  bourgeois  ni  aux 
seize  personnes  dont  ils  réclamaient  l'exclusion,  parce 
qu'il  n'appartenait  pas  à  des  sujets  de  poser  des  condi- 
tions à  leur  souverain. 

Chargé  de  ces  propositions,  Onufrius  retourna  dans  la 
Cité.  Les  exilés  promirent  de  lui  remettre  leurs  armes  dans 
l'abbaye  de  Saint-Jacques,  et,  pour  plus  de  sûreté,  de  lui 
fournir  des  otages  qu'il  pourrait  envoyer  où  il  lui  plairait. 
Mais  comme  l'abbaye  n'était  pas  fortifiée,  le  légat  crut 
deviner  le  motif  de  leur  choix,  et  exprima  la  crainte  qu'ils 
ne  vinssent  y  reprendre  leurs  armes.  L'offre  de  se  retirer 
sur  l'autre  rive  de  la  Meuse  fut  acceptée  sans  difficulté. 
Mais  les  exilés  «  ne  pouvaient,  disaient-ils,  faire  abstrac- 
tion d'autres  griefs  légitimes.  En  ce  qui  concernait  les  seize 
bourgeois,  leur  intention  n'était  nullement  d'imposer  leur 
volonté  à  l'évêque,  mais  bien  de  lui  donner  un  conseil,  car 
ils  étaient  certains  que  ces  hommes  seraient  sacrifiés  à 
la  vengeance  de  leurs  parents,  quand  même  ils  seraient 
certains  d'encourir  la  peine  capitale.  » 

Onufrius  porta  cette  proposition  à  l'évêque,  qui  se 
trouvait  alors  à  Leers  (1),  petite  forteresse  dans  les 
environs  de  Tongres,  lui  conseillant  de  l'accepter  et  de 


(i)  *  Liers,  commune  à  6  kilom.  de  Liège. 


-  51   - 

retourner  comme  un  bon  pasteur  au  milieu  de  ses  ouailles. 
Mais,  pour  des  raisons  que  l'on  ignore,  l'évêque  se  montra 
inflexible.  La  conférence  durait  encore  que  ses  gens 
donnaient  déjà  l'assaut  à  la  ville  de  Liège  ;  mais  ils  furent 
repoussés  avec  perte.  Indigné  de  cette  attaque  au  moment 
même  où  il  négociait  la  paix,  le  légat  quitta  Leers  sans 
vouloir  écouter  les  excuses  de  Louis,  qui  prétendait  que 
la  chose  avait  été  faite  à  son  insu,  et  déclara  «  qu'il  ne 
voulait  plus  travailler  à  un  rapprochement  et  abandonnait 
l'évêque  comme  une  brebis  au  milieu  des  loups.  Si  l'on 
voulait  absolument  la  guerre,  il  était  inutile  de  le  tromper 
par  de  vains  pourparlers.  * 

Louis,  ébranlé,  lui  envoya  son  chancelier  et  le  président 
du  Conseil  du  duc  de  Bourgogne,  en  lui  faisant  promettre 
d'accéder  à  ce  qu'il  demanderait  ;  "  il  ne  voulait  pas 
exiger  d'otages  des  Liégeois,  afin  de  leur  inspirer  plus  de 
confiance  ;  il  consentait  à  ce  qu'ils  déposassent  leurs 
armes  dans  leurs  propres  maisons  ;  il  voulait  bien  les 
recevoir,  désarmés,  et  à  condition  que,  pour  le  moment,  il 
ne  serait  plus  question  de  libertés  ni  des  seize  bourgeois. 
A  ces  conditions,  il  était  prêt  à  rentrer  dans  sa  capitale 
avec  son  armée.  »  Onufrius  ne  fut  pas  dupe  de  ces  conces- 
sions ;  mais  quoiqu'il  se  rendît  très  bien  compte  de  ce 
qu'elles  avaient  d'insidieux  et  d'équivoque,  il  crut  devoir 
les  faire  connaître  aux  Liégeois.  Arrivé  aux  portes  de  la 
Cité,  il  trouva  les  gens  de  l'évêque  aux  prises  avec  les 
habitants  ;  mais  grâce  à  son  intervention,  le  combat  cessa. 

Les  députés  du  clergé  et  de  la  bourgeoisie,  et  même  la 
population  toute  entière,  acceptèrent  ces  propositions  ; 
pour  tous  les  points  non  réglés,  on  s'en  rapportait  à  sa 
décision.  Acte  fut  aussitôt  dressé  de  cette  déclaration  pour 
être  envoyé  à  l'évêque.  Dans  le  cas  où  celui-ci  refuserait 


—  52  — 

encore  de  ratifier  cet  accord,  et  où  les  Bourguignons 
continueraient  à  inquiéter  la  Cité,  le  légat  devait  faire 
usage  des  censures  ecclésiastiques  et  prendre  en  main 
l'administration  de  la  ville  jusqu'à  ce  que  le  pape  en  eût 
décidé  autrement  ;  les  Liégeois  le  conjuraient  enfin  de 
solliciter  l'alliance  des  princes  voisins ,  français  et  alle- 
mands ;  les  premiers  déjà,  par  l'intermédiaire  de  quelques 
moines,  avaient  offert  du  secours  au  légat  et  aux  bourgeois. 
Dans  ces  circonstances,  personne  ne  doutait  plus  de  la 
paix  ni  du  retour  de  l'évêque.  Onufrius  convoqua,  pour  le 
25  septembre,  à  l'abbaye  de  Veteri-Vincto,  une  réunion  à 
laquelle  devaient  assister  Louis  de  Bourbon,  son  chance- 
lier et  le  président  du  Conseil  du  duc.  Mais,  au  lieu  de 
l'évêque,  on  vit  arriver  un  messager  porteur  d'une  lettre 
disant  que  «  Louis  avait  reçu  de  son  parent,  le  duc 
Charles,  la  nouvelle  qu'il  se  chargeait  du  soin  de  prendre  la 
ville  de  Liège,  et  que  par  conséquent,  lui,  évèque,  ne 
pouvait  et  n'osait  plus  s'occuper  de  la  paix.  «  Onufrius, 
stupéfait  de  cette  missive,  défendit  d'en  divulguer  la 
teneur,  dans  la  crainte  que  les  bourgeois,  furieux,  ne 
se  précipitassent  à  l'instant  sur  les  troupes  de  l'évêque. 
Quant  à  lui,  il  forma  le  projet  de  se  retirer  à  Aix-la-Chapelle 
ou  dans  quelqu'autre  ville  impériale,  pour  y  attendre  les 
événements.  Mais,  avant  son  départ,  il  chercha  à  avoir 
une  dernière  entrevue  avec  Louis  de  Bourbon.  L'ayant 
rencontré,  le  28  septembre,  à  la  tête  d'une  armée  à  Millen- 
op-den-Dresch  (î),  il  lui  rappela  son  devoir  :  «  il  ne  pouvait 
s'empêcher  de  s'étonner  que  lui,  un  évêque,  cherchât  à 
recouvrer  par  les  armes  ce  qu'il  pouvait  obtenir  sans 

(i)  *  Millen,  commune  à  6  kilom.  de  Tongres.  Op  den  driesch,  littérale- 
ment :  sur  la  pâture.  Driesch  désignait  une  pâture  dans  un  terrain  sec,  par 
opposition  à  broeck,  indiquant  une  prairie  humide. 


—  53  — 

verser  le  sang  ;  il  savait  bien  quelles  seraient  les  intentions 
du  duc  à  l'égard  de  la  Cité  s'il  venait  encore  une  fois  à 
en  faire  le  siège  ;  si  le  spectacle  de  la  destruction  de  sa 
ville  pouvait  lui  être  agréable,  il  aurait  bientôt  l'occasion 
de  satisfaire  sa  fantaisie  ;  quant  à  lui,  il  ne  voulait  pas  y 
assister  et  se  retirait  dans  d'autres  états,  sur  la  rive 
droite  de  la  Meuse.  L'évêque  connaissait  bien  le  but  de 
sa  mission  ;  il  savait  qu'il  aurait  pu  l'accomplir  beaucoup 
plus  aisément  de  concert  avec  lui  que  seul  ;  il  ne  lui  restait 
donc  plus  rien  à  faire  en  ce  moment  et  allait  se  rendre 
en  Allemagne  où  l'appelaient  d'autres  occupations.  Il  au- 
rait pu,  ajoutait-il,  dès  son  arrivée,  infliger  à  bon  droit 
les  censures  canoniques  à  un  évêque  qui  avait  abandonné 
entre  des  mains  séculières— à  savoir,  au  duc  de  Bourgogne- 
la  souveraineté,  les  possessions  et  les  privilèges  de  l'Eglise  ; 
il  lui  aurait,  en  conséquence,  enlevé  pour  trois  ans  l'ad- 
ministration temporelle  du  pays,  aussi  bien  que  celle  de 
l'évêché,  si,  après  avoir  reçu  ses  lettres  et  ses  plaintes, 
il  n'avait  cru  devoir  user  d'indulgence  et  admettre  que, 
loin  d'agir  librement,  il  avait  dû  céder  à  la  contrainte  ; 
s'il  retombait  dans  les  mêmes  fautes,  il  ne  pouvait,  en 
sa  qualité  de  légat,  s'empêcher  d'en  informer  le  Souve- 
rain-Pontife ;  il  l'en  avertissait  en  présence  de  témoins, 
et  l'engageait ,  du  reste  ,  à  prendre  note  par  écrit  de 
ses  observations.  •• 

Les  ecclésiastiques  présents  à  l'entrevue,  consternés  de 
ce  discours  (1),  se  jetèrent  aux  pieds  de  Louis,  l'engageant 
à  méditer  les  paroles  du  légat  et  à  rentrera  Liège.  L'évêque, 
s'étant  retiré  dans  une  chambre  voisine  pour   délibérer 

(i)  Au  dire  d'Onufrius,  ce  n'était  pas  lui  qui  avait  parlé,  mais  une  voix  sur- 
naturelle s'était  fait  entendre  sur  ses  lèvres  ;  c'était  comme  un  flambeau  divin 
et  non  une  langue  humaine  qui  s'agitait,  etc. 


—  54  — 

avec  ses  conseillers,  déclara  enfin  qu'il  devait  plutôt  obéir 
au  légat  qu'au  duc,  et  que  le  vendredi  suivant  il  ferait  son 
entrée  à  Liège  ;  il  pria  le  légat  de  lui  préparer  de  la  part 
de  ses  sujets  une  réception  conforme  à  son  rang.  «  Quant 
au  reste,  disait-il,  on  pourrait  en  ajourner  la  discussion.  » 
Onufrius  accepta  cette  nouvelle  offre,  mais  exigea  qu'elle 
fût  faite  par  écrit. 

Les  Liégeois  accueillirent  avec  joie  le  message  du  légat. 
Ils  ornèrent  leurs  maisons,  élevèrent  des  arcs  de  triomphes, 
préparèrent  des  torches.  Huit  membres  du  Conseil  (1)  déci- 
dèrent de  se  porter  à  la  rencontre  de  l'évêque  avec  les 
principaux  membres  du  clergé  et  de  la  bourgeoisie.  Pour 
mettre  un  frein  aux  rumeurs  malveillantes  de  la  populace, 
Amel  de  Velrois,  le  bourgeois  le  plus  influent  de  la  ville,  fit 
publier  un  décret  menaçant  de  la  prison  et  d'autres  peines 
sévères  la  moindre  offense  faite  à  la  personne  de  l'évêque  ; 
des  officiers  de  police  spéciaux  étaient  chargés  de  l'exécution 
de  cette  ordonnance. 

Onufrius,  accompagné  d'Amel  de  Velrois  et  des  chefs  des 
bourgeois  proscrits,  se  mettait  en  route  pour  se  rendre  à  la 
porte  de  Ste-Walburge.  lorsqu'il  reçut,  sur  les  degrés  mêmes 
de  la  cathédrale,  une  lettre  de  Louis  de  Bourbon  annonçant 
qu'il  était  obligé  de  différer  son  entrée  jusqu'au  dimanche 
suivant.  Cette  nouvelle  répandit  l'émoi  dans  la  ville,  et 
en  un  clin  d'œil  les  rues  se  remplirent  de  monde.  Le  légat 
s'empressa  d'envoyer  un  courrier  à  l'évêque  pour  l'en- 
gager à  ne  pas  différer  d'un  instant  son  arrivée  s'il  ne 
voulait  pas  voir  la  tranquillité  troublée.  Louis  lui  fit 
répondre  qu'il  devait  absolument  lui  parler  avant  de  faire 
son  entrée,  et  le  pria  d'indiquer  un  lieu  sûr  pour  cette  en- 

(0  *  Du  Conseil  de  la  Cité  ? 


—  55  — 

trevue.  Le  légat,  qui  connaissait  l'humeur  capricieuse  et  la 
faiblesse  de  caractère  de  l'évèque,  avait  deviné  qu'il  cédait 
aux  exhortations  de  ses  conseillers,  avides  de  sang  et  de 
pillage.  Toutefois  il  ne  perdit  pas  sa  présence  d'esprit,  et 
s'adressant  aux  bourgeois  qui  l'entouraient,  il  leur  dit  «  qu'un 
empêchement  très  légitime  forçait  leur  évoque  à  différer  son 
retour  ;  il  avait  manifesté  le  désir  d'avoir  avec  lui  une  con- 
férence et  il  allait  se  rendre  auprès  de  lui  pour  savoir  ce 
qu'il  avait  à  lui  dire  ;  il  était,  du  reste,  persuadé  qu'il  le 
ramènerait  avec  lui  à  Liège.  »  Il  écrivit  immédiatement 
à  Louis  qu'il  ne  connaissait  pas  d'endroit  plus  sûr  et  plus 
convenable  pour  une  entrevue  que  la  ville  de  Tongres,  où 
l'évèque  demeurait  alors,  et  qu'il   irait   l'y   trouver  le 
lendemain,  2  octobre,  qui,  cette  année,  était  un  dimanche. 
Les  bourgeois  rentrèrent  chez  eux,  étonnés  et  inquiets. 
Les  uns  croyaient  bonnement  que  les  choses  s'étaient  pas- 
sées comme  le  légat  le  disait  ;  d'autres  le  soupçonnaient 
d'accord  avec  l'évèque  et  d'agir  ainsi  pour  éviter  de  la 
part  des  Liégeois  une  attaque  contre  les  troupes  épisco- 
pales,  plus  faibles  que  les  leurs,  afin  de  temporiser  jusqu'à 
ce  que  la  querelle  entre  le  roi  de  France  et  Charles  le 
Téméraire  eût  pris  une  tournure  décisive  ;  on  disait,  en 
effet,  que  ces  princes  étaient  à  la  veille  de  livrer  une 
grande  bataille.  Ceux  qui  pénétraient  mieux  le  fond  des 
choses,  trouvaient  les  vrais  motifs  de  la  conduite  de  1  evêque 
dans  les  suggestions  et  les  menaces  du  duc  :  et  ils  ne  se 
trompaient  pas,  en  dépit  des  raisons  mises  en  avant  par  les 
partisans  de  Louis  de  Bourbon,  qui  voyait  de  mauvais 
œil  que  les  Liégeois  avaient  conservé  leurs  armes  et  laissé 
leurs  couleuvrines  sur  les  murailles  de  la  Cité.  Or  les 
bourgeois  n'avaient  pas  cru  devoir  désarmer  parce  que  les 
Bourguignons  occupaient  tous  les  villages  dans  les  environs 


—  56  — 

de  Liège  ;  d'ailleurs,  afin  de  rassurer  l'évêque  sur  sa  sécu- 
rité, ils  lui  avaient  offert  des  otages  ;  mais  ils  savaient 
que,  malgré  cela,  son  intention  était  d'entrer  dans  la  Cité 
avec  une  suite  de  cavaliers  bourguignons  portant  sur 
leurs  drapeaux  la  croix  de  S*  André,  alors  qu'il  eut  été 
plus  convenable  d'arborer  la  croix  droite  et  les  fleurs- 
de-lis  de  France. 

Onufrius  avait  pris  ses  dispositions  pour  se  rendre  à 
Tongres,  lorsque,  pendant  la  nuit,  des  éclaireurs  des  postes 
avancés  des  Liégeois  apportèrent  toup  à  coup  la  nouvelle 
que  Gui  de  Humbercourt,  en  qualité  de  lieutenant  du  duc, 
venait  d'arriver  à  Meffe  (i),  à  5  lieues  de  Liège,  avec  cinq 
mille  hommes  ;  qu'il  avait  ravagé  une  bonne  partie  de  la 
contrée,  donnant  l'ordre  de  porter  partout  le  fer  et  la 
flamme,  et  même  de  piller  et  brûler  la  ville  de  Liège.  Ce 
bruit  s 'étant  répandu  dans  la  Cité,  les  habitants  courent  aux 
armes,  persuadés  qu'ils  sont  trompés  par  l'évêque  et  le 
légat.  De  grands  feux  de  houille  —  laquelle  est  fort  abon- 
dante dans  le  pays  —  sont  allumés  dans  les  rues  et  sur  les 
places  publiques  ;  des  bandes  armées  sortent  de  la  ville 
et  se  précipitent  dans  différentes  directions.  Quelques 
hommes  exaltés  voulaient  se  venger  immédiatement  d'Onu- 
frius  ;  mais  il  fut  protégé  contre  leur  fureur  par  les  chefs  de 
la  bourgeoisie.  D'ailleurs,  il  ne  craignait  rien  et  désirait 
même  pouvoir  s'adresser  à  la  partie  la  plus  hostile  du 
peuple  pour  la  convaincre  de  son  erreur.  On  vint,  en  effet, 
le  trouver  à  l'abbaye  de  St-Jacques,  et  il  n'eut  pas  de  peine 
à  prouver  la  loyauté  de  sa  conduite  en  montrant  la  lettre 
de  l'évêque  qui  promettait  de  revenir  dans  sa  capitale. 
Après  s'être  excusés  de  leur  violence,  les  bourgeois  prièrent 
le  légat  de  se  rendre  auprès  de  Louis  de  Bourbon  pour 

(0  *  Meefle,  commune  à  21  kilom.  de  Huy  et  de  Waremme. 


—  57  — 

entendre  sa  justification,  et  de  revenir  ensuite  au  milieu 
d'eux  afin  qu'ils  pussent,  sous  sa  direction,  mener  les 
choses  à  bonne  fin.  Onufrius  accéda  à  leur  demande  et  char- 
gea deux  citoyens  influents,  Amel  de  Velrois  et  Gilles  (1), 
d'empêcher  tout  acte  d'hostilité  pendant  son  absence.  Le 
2  octobre,  un  dimanche,  il  fit  dire  des  prières  publiques 
dans  toutes  les  églises  pour  le  retour  de  la  paix.  Dans 
l'après-midi  de  ce  même  jour  il  partit  pour  Tongres, 
accompagné  du  général  des  Carmes,  d'un  grand  nombre 
d'ecclésiastiques,  des  deux  capitaines  de  Buren  et  van 
Stralen,  et  d'une  compagnie  de  troupes  liégeoises.  De  son 
côté,  Louis  de  Bourbon  envoya  à  sa  rencontre  une  division 
de  son  armée.  Onufrius,  afin  d'éviter  toute  occasion  d'en 
venir  aux  mains,  détacha  deux  hommes  de  sa  suite  pour 
aborder  les  gens  de  l'évêque  et  les  inviter  à  faire  halte,  en 
même  temps  qu'il  donnait  à  sa  propre  escorte  l'ordre  de 
s'arrêter.  Gosuin  de  Stralen  voyant  ensuite  le  légat  s'éloi- 
gner de  ses  compagnons,  dit  tout  haut,  en  français,  qu'il 
s'attendait  à  ne  plus  le  revoir,  et  que  s'il  ne  réussissait  pas 
dans  sa  mission  à  Tongres  ou  ne  revenait  pas  près  d'eux, 
plus  jamais  il  n'accorderait  sa  confiance  à  un  prêtre.  Le 
légat,  s'étant  fait  traduire  ces  paroles,  engagea  ses  gens  à 
avoir  bon  courage,  car  il  espérait  bien  revenir  avec  l'évêque. 
Lorsqu'il  se  trouva  en  présence  de  Louis  de  Bourbon, 
celui-ci  lui  exhiba  la  lettre  du  duc,  dont  voici  la  teneur  : 
«  il  avait  appris  que  l'évêque,  par  suite  de  l'intervention  du 
légat,  avait  repris  possession  de  sa  capitale  et  fait  la  paix 
avec  ses  sujets  ;  il  lui  en  témoignait  sa  satisfaction  mais 
lui  faisait  savoir  que  s'il  violait  en  un  seul  point  les  clauses 

(1)  *  Gilles  de  Lens  qui,  avec  Amel  de  Velroux,  était  bourgmestre  de  Liège 
(Voy.  mon  Introduction).  Il  l'ut  précipité  du  pont  des  Arches  dans  la  Meuse 
lors  du  sac  de  la  Cité. 


—  58  — 

de  l'accord  conclu  antérieurement  entre  eux,  cela  lui  dé- 
plairait grandement  et  il  prouverait  au  légat  que,  sous  ce 
rapport,  sa  conduite  n'était  pas  justifiable.  »  Le  messager 
avait  ajouté  verbalement  que  le  duc  traiterait  l'évêque  en 
ennemi  s'il  agissait  contrairement  à  leurs  conventions. 

On  sait  positivement  que  Charles,  après  avoir  pris  con- 
naissance de  la  lettre  remise  par  l'évêque  au  légat,  à 
Millen,  s'était  écrié  dans  une  grande  colère  :  «  L'évêque 
soigne  ses  intérêts  sans  penser  aux  miens.  J'arrangerai 
aussi  mes  affaires  sans  égard  pour  lui.  » 

Onufrius,  toutefois,  ne  put  s'empêcher  de  reprocher  à 
l'évêque  l'inconstance  de  son  caractère  et  de  lui  faire 
observer  que  «  les  soupçons  de  mauvaise  foi  qui  planaient 
sur  lui  l'exposaient,  ainsi  que  lui,  légat,  à  de  véritables 
dangers  ;  que  la  lettre  de  Charles  ne  contenait  rien  qui  put 
motiver  son  changement  de  conduite,  puisque  ce  prince  se 
déclarait  satisfait  de  l'arrangement  qui  avait  eu  lieu  ;  qu'en 
conséquence,  l'évêque,  accomplissant  sa  promesse,  pouvait 
très  bien  se  rendre  à  Liège  et  faire  accepter  au  peuple  les 
conditions  du  duc  dans  ce  qu'elles  avaient  de  raisonnable  ; 
enfin,  qu'après  cela,  ils  auraient  pu  s'entendre  entre  eux 
deux  pour  aller  trouver  Charles,  alors  engagé  dans  une 
guerre  avec  la  France,  et  essayer  de  le  calmer.  »  Louis 
pria  Onufrius  «  de  l'excuser  auprès  des  Liégeois  de  ce  qu'il 
ne  pouvait,  en  ce  moment,  agir  contrairement  à  la  volonté 
du  duc,  qui  le  traiterait  en  ennemi  s'il  rentrait  à  Liège  ; 
mais  il  s'engagea  à  faire  tous  ses  efforts  pour  arracher  cette 
autorisation  au  prince.  » 

Onufrius  communiqua  cette  déclaration  aux  Liégeois, 
qui  la  considérèrent  comme  une  excuse  imaginée  entre  lui 
et  l'évêque  pour  ne  pas  revenir  auprès  d'eux.  Ils  envoyèrent 
alors  à  Onufrius  un  messager  pour  qu'il  leur  procurât  un 


—  59  — 

sauf-conduit  pour  trente  députés  chargés  de  se  rendre  à 
Tongres  à  l'effet  de  continuer  les  négociations,  tant  avec 
Tévêque  qu'avec  les  officiers  du  duc. Louis  de  Bourbon  donna 
le  sauf-conduit  sans  faire  d'objection  ;  mais  Humbercourt, 
qui  s'était  avancé  jusqu'à  Huy,  refusa  le  sien.  Onufrius  en 
avertit  les  Liégeois  et  se  décida  à  partir  sur  l'heure  pour 
Maestricht  ;  mais  l'évêque  lui  persuada  de  retarder  son 
départ  de  trois  jours  en  disant  que  Humbercourt  ne  tarde- 
rait pas  à  venir  à  Tongres  et  qu'on  pourrait  peut-être 
encore  s'arranger  sans  répandre  le  sang. 

Humbercourt  arriva  effectivement  le  10  octobre.  Il 
s'excusa  auprès  d'Onufrius  "  de  ne  pas  avoir  accordé  le 
sauf-conduit  demandé,  en  disant  qu'il  avait  reçu  l'ordre  de 
ne  pas  conclure  de  paix  avec  les  Liégeois,  mais  au  contraire 
de  mettre  à  mort  tous  ceux  qui  tomberaient  entre  ses 
mains  ;  il  devait,  dès  le  lendemain,  donner  un  assaut  à  la 
Cité  avec  les  troupes  réunies  du  duc  et  de  l'évêque.  «  En 
présence  de  l'évêque,  qui  n'ouvrait  pas  la  bouche,  il  de- 
manda au  légat»  de  vouloir  prendre  part  à  cette  expédition, 
car,  disait-il,  on  combattait  pour  l'Eglise  contre  ses  enfants 
révoltés,  et  sa  présence  inspirerait  à  ceux-ci  une  crainte 
salutaire.  »  Onufrius  répondit  "  que  les  Liégeois  se  sou- 
mettant à  la  décision  du  Saint-Siège,  il  ne  pouvait  consi- 
dérer cette  attaque  contre  la  Cité  comme  une  guerre  en 
faveur  de  l'Eglise,  mais  plutôt  comme  une  entreprise  dont 
il  fallait  chercher  les  motifs  dans  de  mauvaises  passions,  la 
vengeance  et  la  cupidité  ;  qu'il  ne  voulait,  en  conséquence, 
y  prendre  aucune  part  ni  approuver  les  châtiments  que  l'on 
trouverait  bon  d'infliger  aux  Liégeois  à  raison  du  droit 
du  plus  fort;  que  si  tout  espoir  de  paix  était  évanoui,  il  n'a- 
vait plus  qu'à  se  retirer.  Il  conseillait  toutefois  à  Humber- 
court d'agir  avec  prudence  parce  que  les  Liégeois  avaient 


—  60  — 

l'avantage  du  nombre  ;  il  n'avait  plus  eu  de  leurs  nou- 
velles depuis  plusieurs  jours,  ce  qui  lui  faisait  croire  qu'ils 
méditaient  un  coup  hardi,  soit  en  tombant  sur  l'ennemi, 
soit  en  mettant  le  feu  à  la  ville  pour  l'abandonner  ensuite 
avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants.  »  En  terminant,  il  sol- 
licita un  sauf-conduit  qui  lui  permît  de  se  rendre  à  Maes- 
tricht,  et  il  envoya  dans  cette  ville  des  messagers  pour  lui 
préparer  un  logement. 

Sur  ces  entrefaites,  le  bruit  se  répandit  que  la  paix  venait 
d'être  conclue  entre  le  roi  Louis  XI  et  le  duc  Charles, 
et  que  ce  dernier,  avec  toute  son  armée  et  à  marches 
forcées,  se  dirigeait  sur  Liège.  Ces  nouvelles  n'étaient 
pas  entièrement  exactes.  Depuis  longtemps,  il  est  vrai, 
Louis  avait  demandé  à  Charles  une  conférence  à  Péronne  ; 
mais  le  duc  hésitait  à  accepter  ses  avances  précisément 
parce  qu'il  avait  appris  le  récent  soulèvement  des  Liégeois, 
et  qu'il  avait,  avec  raison,  attribué  à  Louis  XI  une  part 
considérable  dans  cet  événement.  L'entrevue  n'eut  lieu  que 
le  9  octobre  1468  (î).  La  nouvelle  certaine  de  l'arrivée  du  roi 
de  France  à  Péronne  ne  pouvait  donc  pas  avoir  été  reçue  à 
Tongres  le  lendemain,  et  la  solution  des  difficultés  encore 
moins.  Cependant,  des  feux  de  joie  allumés  dans  le  camp  de 
Humbercourt  et  le  son  des  cloches  annoncèrent  la  conclu- 
sion de  la  paix;  les  soldats,  après  s'être  abandonnés  à  toutes 
sortes  de  réjouissances,  ne  se  livrèrent  au  repos  qu'après 
minuit,  sans  prendre  de  prudentes  dispositions,  tandis  que 
les  chefs  tenaient  conseil  dans  le  palais  de  l'évêque. 

Onufrius  aussi   s'était  retiré   dans    ses   appartements, 
lorsque  Jean  de  Berger  (2),  homme  savant  et  éloquent, 

(1)  Philippe  de  Commines,  t.  XI,  pp.  462  et  suiv. 

(2)  *  Lisez  Bergen,  Jean  de  Bergues  ou  Berghes.  Voy.  mon  Introduction. 


—  61   — 

qui  possédait  de  vastes  propriétés  en  Hollande,  vint  frapper 
à  sa  porte.  Il  avait  été  envoyé  par  le  duc  auprès  de  Humber- 
court  pour  lui  dire  de  ne  rien  entreprendre  contre  les 
Liégeois  sans  l'assentiment  de  l'évèque.  Aussi,  dans  le  con- 
seil de  guerre  qui  venait  de  se  tenir  cette  nuit,  avait-il 
exprimé  son  mécontentement  de  ce  que  le  lieutenant  avait 
refusé  aux  trente  députés  liégeois  la  faculté  de  venir  né- 
gocier avec  lui,  et  obtenu  que  tous  ceux  qui  voudraient 
se  rendre  à  Tongres  pourraient  le  faire  librement  ;  or, 
comme  il  trouvait  juste  que  les  Liégeois  fussent  informés 
de  cette  circonstance,  il  venait  en  prévenir  le  légat.  Celui- 
ci,  à  cette  communication, répondit  que  les  Liégeois  avaient 
été  trop  souvent  trompés  pour  encore  ajouter  foi  à  une 
lettre  ;  aussi  conseilla-t-il  à  Berger  de  se  rendre  lui-même 
à  Liège,  ce  qu'il  pouvait  faire  d'autant  plus  sûrement  qu'il 
était  fort  bien  vu  des  bourgeois.  Mais  Berger  ayant  objecté 
qu'il  n'oserait  jamais  s'aventurer  seul,  Onufrius  lui  promit 
de  l'accompagner  pour  l'aller  et  le  retour.  Là-dessus  ils 
se  serrèrent  la  main,  après  avoir  fixé  leur  départ  au  lende- 
main matin. 

Malheureusement,  les  Liégeois  ne  donnèrent  pas  à  ce 
projet  pacifique  le  temps  d'aboutir.  Exaspérés  par  le  refus 
du  sauf-conduit,  et  inquiets  de  la  concentration  des  troupes 
dans  le  voisinage  de  Tongres,  ils  tentèrent  contre  cette 
ville,  deux  heures  après  l'entrevue  du  légat  et  de  Berger, 
une  entreprise  audacieuse.  Ayant  tué  les  sentinelles  placées 

«  Consiliis  habitis  médise  sub  tempora  noctis, 
Johannes  patria  Berges,  quera  lingua  latina 
Atque  probi  mores  et  copia  maxima  fandi 
Illustrant,  Batavis  summus  regnator  in  arrais, 
Advenit  et  sacri  legati  limina  puisât.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1440.) 


—  62  — 

sur  les  ponts  du  Jaar  et  franchi  les  fossés,  grâce  à  la 
démolition  des  murailles  ordonnée  l'année  précédente  par 
le  duc,  ils  arrivèrent  jusqu'au  milieu  du  Marché  avant  que 
personne  s'en  fût  douté  (1).  Ils  étaient  au  nombre  de  cinq 
mille  fantassins  et  de  deux  cents  cavaliers;  ceux-ci,  pour  ne 
pas  éveiller  les  habitants,  s'étaient  arrêtés  à  l'entrée  de 
la  ville;  les  fantassins  seuls  occupèrent  le  Marché  ainsi  que 
les  rues  voisines.  A.  un  signal  donné,  les  couleuvrines 
tonnent  de  différents  côtés  et  les  portes  des  maisons 
sont  enfoncées  ;  les  habitants,  presque  nus,  entre  autres 
Jean  de  Berger,  se  jettent  par  les  fenêtres  ;  beaucoup  se 
cachent  dans  les  caves,  les  puits  et  même  les  tombeaux. 
Quelques-uns  veulent  opposer  de  la  résistance,  mais  doivent 
céder  presque  aussitôt.  Louis  de  Bourbon  fut  un  de  ceux-ci; 
il  perdit  cinquante  hommes  dans  la  lutte.  Lui-même  réussit 
à  regagner  sain  et  sauf  son  palais,  où  quelques  officiers  de 
son  armée  et  de  celle  des  Bourguignons  se  réunirent  autour 
de  sa  personne.  Onufrius,  au  contraire,  resta  tranquillement 
chez  lui  sans  être  inquiété.  L'évêque,  à  l'aide  d'une  corde, 
ayant  fait  descendre  un  de  ses  officiers  dans  la  rue,  l'envoya 
en  toute  hâte  chez  le  légat  pour  le  prier  instamment  de  se 
rendre  auprès  de  lui  ou  de  lui  permettre  de  se  réfugier 
sous  son  toit  :  les  Liégeois  le  soupçonnant  d'avoir  appelé  les 
Bourguignons  dans  le  pays,  il  ne  se  croyait  pas  en  sécurité 
dans  son  palais.  Onufrius  lui  ayant  fait  savoir  qu'il  préférait 
le  recevoir  chez  lui,  mais  en  secret  et  avec  le  moins  de 
monde  possible,  Louis  fit  abattre  un  pan  de  mur  qui  séparait 
son  palais  de  la  maison  voisine,  et  gagna,  à  la  faveur  de  la 
nuit,  la  demeure  du  légat  avec  une  centaine  de  gentils- 
hommes ,  parmi  lesquels  se  trouvaient  Humbercourt   et 

(i)  «  Jverunt  per  Liwaige  (Lowaige)  et  intraverunt  in  Tungris  per  viam 
qusevenit  de  Hasselt.  »  (Adrien,  col.  1334). 


—  63  — 

les  seigneurs  d'Argenteau.  Les  Bourguignons  tremblaient 
de  peur,  et  Humbercourt  dit  au  légat  :  «  Ah!  vénérable 
père,  les  Liégeois  sont  venus  sans  sauf-conduit  !  »  —  «  Que 
Dieu  nous  vienne  en  aide,  répliqua  Onufrius,  car  mieux 
eût  valu  qu'ils  fussent  venus  avec  un  sauf-conduit.  »  Cepen- 
dant il  tâchait  de  rassurer  les  Bourguignons,  leur  répétant 
que,  si  les  Liégeois  respectaient  encore  le  Saint-Siège,  ils 
n'avaient  rien  à  craindre  ;  et  eussent-ils  même  perdu  ce 
respect,  il  leur  assurait  encore  que  personne  ne  serait 
maltraité  avant  que  sa  robe  ne  fut  teinte  de  son  sang. 
Tout  le  monde  le  priait  de  se  rendre  sur  le  Marché  pour 
calmer  les  Liégeois.  Mais  il  s'y  refusa  en  faisant  remarquer 
«  qu'il  ne  parlait  pas  la  langue  des  révoltés,  qu'il  faisait 
nuit  et  que  des  coups  de  feu  éclataient  à  tous  moments.  Il 
était  certain,  ajoutait-il,  qu'aucun  Bourguignon  ne  l'ac- 
compagnerait, et  cependant  il  lui  fallait  un  interprête  connu 
de  tous.  Si  l'évêque  voulait  le  suivre,  il  était  prêt  à  partir. 
Mais  il  croyait  plus  prudent  d'attendre  le  jour,  parce 
qu'alors  on  pourrait  plus  facilement  éviter  lesarquebusades 
et  autres  dangers.  Ils  n'avaient,  du  reste,  rien  à  craindre 
pendant  la  nuit,  car  il  savait  qu'il  était  défendu  aux  Lié- 
geois de  quitter  leur  position  avant  le  lever  du  soleil  et 
de  se  disperser  dans  les  rues  à  la  recherche  des  Bourgui- 
gnons. »  Enfin,  comme  consolation  suprême  dans  leurs 
angoisses  mortelles,  il  donna  à  tous  les  assistants  l'absolu- 
tion de  leurs  péchés. 

A  la  pointe  du  jour,  les  Liégeois  commencèrent  à  pénétrer 
dans  les  maisons  et  s'approchèrent  du  palais  de  l'évêque 
qui  joignait  la  demeure  du  légat.  Ce  fut  alors  qu'Onufrius, 
accompagné  d'un  seul  domestique  et  de  son  chapelain 
Altfast  comme  interprète,  voulut  sortir  de  chez  lui  pour 
se  rendre  au  milieu  des  Liégeois.  Mais  comme  les  gens  de 


—  64  — 

l'évèque  avaient  accumulé  devant  la  porte  des  pierres  et  des 
arbres,  il  dut,  pour  éviter  tout  retard,  sortir  par  la  fenêtre 
à  l'aide  d'une  échelle,  et  se  présenta  aux  révoltés  dans  ses 
vêtements  sacerdotaux.  Devant  la  maison  gisaient  des 
cadavres  que  l'on  était  en  train  de  dépouiller.  Onufrius  les 
fit  enlever,  puis  pria  quelques  cavaliers  de  lui  amener 
Vincent  de  Buren  ainsi  que  d'autres  chefs,  ajoutant  qu'il 
apportait  la  paix  tant  désirée.  Buren  était  resté  à  Liège; 
on  alla  donc  chercher  les  frères  Stralen  et  Jean  de  Wilde  (i), 
qui  arrivèrent  avec  deux  cents  cavaliers.  Onufrius  les 
conjura,  au  moins  par  respect  pour  le  Saint-Siège  auquel 
ils  avaient  si  souvent  promis  obéissance,  de  faire  cesser  le 
carnage  ;  il  les  invita  ensuite  à  exposer  leurs  griefs,  les 
assurant  qu'on  leur  accorderait  toutes  leurs  demandes. 
Les  chefs  ayant  ôté  leurs  casques,  Jean  de  Wilde  prit  la 
parole  pour  se  plaindre  de  la  violation  plusieurs  fois  réité- 
rée des  conventions,  des  ravages  commis  par  les  Bourgui- 
gnons et  du  refus  de  l'évèque  de  rentrer  dans  la  Cité  ; 
formulant  en  peu  de  mots  les  désirs  de  ses  compatriotes, 
»Nous  ne  connaissons,  dit -il,  et  nous  ne  voulons  connaître 
d'autres  maîtres  que  Dieu,  l'Eglise,  toi  et  notre  évêque. 
Nous  désirons  votre  présence  au  milieu  de  nous  pour  que 
vous  nous  protégiez  contre  les  ennemis  qui  excitent  aujour- 
d'hui notre  vengeance.  »  Le  légat  leur  promit  de  nouveau 
qu'on  ferait  droit  à  leur  requête,  et  demanda  s'ils  avaient 
l'intention  d'emmener  l'évèque  prisonnier  à  Liège.  Jean 
de  Wilde  répondit  «  qu'ils  voulaient  l'avoir  comme  leur 

(i)  Onufrius  l'appelle  Dervild  et  Philippe  de  Commines,  t.  XI,  p.  474, 
Guillaume  de  Ville.  Son  vrai  nom  était  Jean  de  Wilde,  chevalier  et  seigneur 
de  Hautpeene  ou  Ilautepanne.  —  *  Jean  de  Home,  dit  de  Wilde  ou  le  Sauvage. 
Voyez  ci-dessus,  p.  39,  note  2.  C'est  Olivier  de  la  Marche  qui  lui  donne  le 
titre  de  seigneur  de  Hautepenne.  —  Stralen,  de  Slraile. 


—  65  — 

seigneur,  mais  de  telle  façon  qu'il  serait  réellement  leur 
maître  et  non  le  serviteur  d'autrui.  »  Louis  et  Humber- 
court  se  tenaient  dans  un  coin  derrière  le  légat,  d'où  ils 
pouvaient  tout  entendre  sans  être  vus  ;  l'évèque  souffla  à 
l'oreille  d'Onufrius  de  faire  semblant  de  l'envoyer  chercher, 
et  qu'il  se  présenterait  à  la  foule.  Les  Liégeois  ayant  promis 
d'épargner  tous  ceux  qui  se  trouvaient  dans  la  ville,  sauf  les 
Bourguignons,  le  légat  déclara  qu'il  n'admettait  pas  d'ex- 
ception, surtout  pour  les  personnes  réfugiées  auprès  de 
lui,  et  qu'il  défendrait  jusqu'à  la  mort  ceux  auxquels  il 
avait  promis  sa  protection.  Les  Liégeois  promirent  alors  de 
laisser  la  vie  sauve  aux  Bourguignons  et  de  se  contenter  de 
les  faire  prisonniers.  Comme  Louis  hésitait  encore  à  paraître, 
Gosuin  Stralen  en  vint  à  soupçonner  qu'on  ne  cherchait 
qu'à  gagner  du  temps  pour  réunir  toutes  les  forces  ennemies 
et  engager  un  combat.  Alors  Onufrius  se  retourna,  et 
prenant  Louis  par  le  bras,  le  fit  avancer  jusque  devant 
la  porte  de  la  maison.  Les  Liégeois  le  reçurent  au  cri  de 
Vive  l'évèque  !  Mais  ils  voulaient  savoir  qui  se  trouvait 
encore  à  l'intérieur  de  l'habitation.  Jean  de  Wilde  y 
pénétra  seul,  et  les  Bourguignons  se  rendirent  sans  résis- 
tance. Humbercourt,  qui  n'ignorait  pas  la  haine  profonde  que 
lui  portaient  les  Liégeois,  le  supplia  de  ne  pas  le  conduire  à 
Liège  ;  plutôt  que  de  se  voir  livré  aux  mains  de  la  populace, 
il  préférait  être  mis  à  mort  sur  le  champ.  Il  assura  que 
si  on  voulait  lui  accorder  un  délai  de  vingt  jours  pour  se 
rendre  auprès  du  duc,  il  se  faisait  fort  d'en  obtenir  la  paix. 
Sa  demande  lui  fut  accordée  à  condition  qu'il  se  constitue- 
rait de  nouveau  prisonnier  dans  le  château  de  Montfort  (1), 

(«)  Montfort  appartenait  sans  doute  à  Jean  de  Wilde,  car  Olivier  de  la 
Marche,  t.  X,  p.  285,  dit  que  Humbercourt  se  trouvait  sous  la  surveillance  u'u 
seigneur  de  Hautepanne.  —  *  Montfort  sur  Ourtho  appartenait  à  cette  époque 
à  la  famille  d'Alsteren  de  Hamal. 


—  66  — 

à  deux  lieues  de  Liège,  avant  l'expiration  du  terme  indiqué. 

L'évêque,de  son  côté,  envoya  un  messager  au  duc  Charles, 
pour  le  supplier  de  ne  pas  s'irriter  au  récit  des  événements 
qui  venaient  de  se  passer  à  Tongres  ;  selon  lui,  «  tout  irait 
mieux  que  beaucoup  de  personnes  ne  le  pensaient.  »  Mais  il 
fallait  bien  peu  connaître  le  puissant,  orgueilleux  et  vindi- 
catif Charles,  pour  croire  qu'il  oublierait  ou  pardonnerait 
jamais  la  surprise  dont  les  siens  venaient  d'être  victimes. 

Le  message  arriva  dans  le  plus  fâcheux  moment,  et  eut 
pour  effet  d'enlever  aux  Liégeois  le  dernier  allié  qui  aurait 
encore  pu  tirer  l'épée  en  leur  faveur.  Louis  XI,  en  proposant 
à  Charles  une  entrevue  à  Péronne,  et  en  se  rendant,  avec 
une  légèreté  inconcevable  pour  un  prince  aussi  rusé,  dans 
le  camp  de  son  mortel  ennemi,  paraît  avoir  oublié  toute 
prudence,  et  s'être  souvenu  trop  tard  que  c'étaient  ses 
émissaires  qui  avaient  allumé  à  Liège  le  feu  de  la  révolte. 
Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  Charles,  apprenant  —  avant 
le  13  octobre  —  tout  à  la  fois  la  nouvelle  de  la  prise  de 
Tongres  et  la  présence,  à  Liège,  des  envoyés  de  Louis  XI, 
ait  retenu  celui-ci  prisonnier.  Sa  colère  était  extrême  (1). 
Dans  un  accord  conclu  le  14  octobre,  le  roi,  pour  échapper 
à  des  conditions  plus  dures  encore,  dut  honteusement 
s'engager  à  suivre  Charles  dans  son  expédition  contre 
Liège  et  à  assister  au  châtiment  qu'il  se  proposait  d'infliger 
à  cette  ville.  Il  consentit  à  tout  et  offrit  même  de  renforcer 
l'armée  bourguignonne  par  un  contingent  de  troupes  fran- 
çaises (2).  Mais  revenons  à  Tongres. 

(1)  Dans  la  première  explosion  de  sa  fureur,  il  avait  déjà  donné  l'ordre 
d'appeler  auprès  de  lui,  le  duc  Charles,  frère  du  roi,  pour  s'enlendre  au  sujet 
de  la  déposition  de  Louis  XI  ;  mais  il  ne  larda  pas  à  renoncer  à  un  projet 
dont  la  hardiesse  l'effrayait  lui-môme.  «  Tout  à  coup,  le  duc  recula  devant  une 
si  grande  résolution.  »  (De  Barante,  t.  IX,  p.  164). 

(2)  Philippe  de  Commines,  l.  XI,  pp.  462-489. 


—  67  — 

Jean  de  Wilde  donna  sa  parole  que  les  promesses  faites 
seraient  inviolablement  tenues,  mais  fit  observer  que  la 
populace  de  Liège,  avide  de  sang  et  de  pillage,  de  même  que 
les  habitants  des  campagnes  (i),ne  manqueraient  pas  d'affluer 
à  Tongres  ;  dans  cette  prévision,  il  conseilla  au  légat  et  à 
l'évêque  de  se  porter  à  la  rencontre  de  ces  bandes,  de  les 
arrêter  et  de  les  ramener  à  Liège.  Après  avoir  mis  Hum- 
bercourt  en  lieu  sûr,  dans  le  voisinage  de  Saint-Trond  (2), 
Jean  de  Wilde  accompagna  Bourbon  dans  sa  marche  triom- 
phale. Parmi  les  personnes  qui  formaient  le  cortège,  les 
uns  rendaient  grâce  à  Dieu  de  la  paix,  les  autres  deman- 
daient pardon  à  l'évêque.  Mais,  à  l'exception  de  quelques 
amis  fidèles,  personne,  dans  l'entourage  de  Louis, ne  croyait 
à  un  accord  sincère,  et  tous  le  quittèrent  par  crainte  des 
Liégeois.  Quanta  ceux-ci,  ils  avaient  différentes  raisons  de 
se  réjouir  :  d'abord,  ils  avaient  la  paix,  à  ce  qu'ils  croyaient 
du  moins  ;  puis,  pour  le  cas  où  il  faudrait  faire  la  guerre, 
ils  avaient  deux  mille  chevaux  bourguignons  dont  ils  s'é- 
taient emparés,  sans  compter  un  grand  nombre  d'armes, 
et  pouvaient  donc  remonter  leur  cavalerie  qui  était  leur 
côté  faible  ;  or,  à  cette  époque,  la  cavalerie  jouait  encore  un 
rôle  très  important  dans  les  batailles  et  décidait  souvent  la 
victoire.  Deux  serviteurs  du  légat  restèrent  à  Tongres  pour 
veiller  sur  les  objets  précieux  que  l'évêque  y  laissait,  et 
pour  donner  leurs  soins  au  chanoine  Robert,  blessé  dans 
la  bagarre  ;  c'était  à  lui  que  les  Liégeois  attribuaient  tous 
leurs  malheurs,  et  ils  rejetaient  sur  lui  les  torts  dont  ils 

(i)  IL  faisait  sans  doule  allusion  aux  paysans  de  Franchimont,  qui  avaient 
embrassé  la  cause  des  Liégeois  et  jouèrent  plus  tard  un  rôle  important  dans 
la  guerre. 

(2)  *  Ceci  m  s'accorde  pas  avec  ce  qui  a  été  dit  plus  haut.  Cf.  Adrien, 
col.  1334  à  1336. 


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croyaient  avoir  à  se  plaindre  de  la  part  de  leur  évèque. 

En  route,  Louis  de  Bourbon  et  sa  suite  rencontrèrent 
une  troupe  de  deux  mille  Liégeois  qui  couraient  à  Tongres; 
Onufrius  réussit  à  les  faire  rebrousser  chemin.  Plus  loin,  à 
deux  mille  environ  de  la  Cité,  dix  mille  hommes,  ayant 
à  leur  tête  les  principaux  bourgeois,  et  notamment  Vincent 
de  Buren,  vinrent  au-devant  d'eux  pour  saluer  leur  évêque. 
Le  clergé,  en  habits  sacerdotaux,  se  tenait  aux  portes  de 
la  ville  ;  le  peuple  poussait  des  cris  d'allégresse,  les  cloches 
des  églises  sonnaient  à  toute  volée.  Louis  de  Bourbon  fut 
conduit  à  son  palais  (1)  à  la  lumière  des  torches  et  au  son 
des  trompettes,  comme  le  prince  le  plus  puissant  et  le  plus 
aimé  de  la  terre. 

Onufrius,  accédant  au  désir  de  l'évèque,  descendit  aussi 
au  palais.  C'est  de  là  qu'il  adressa  son  rapport  au  Saint- 
Siège.  Mais  son  messager  ayant  été  arrêté  en  route,  sa 
lettre  fut  remise  entre  les  mains  du  duc  Charles. 

Dans  la  nuit  du  10  au  11  octobre,Amel  de  Velrois  dépêcha 
au  légat  un  exprès  porteur  d'une  lettre  qu'il  venait  de  rece- 
voir de  Louis  XI;  le  roi  de  France  recommandait  à  Onufrius 
de  lui  écrire  dès  son  retour  à  Liège  avec  l'évèque,  pour 
demander  du  secours  en  cas  d'attaque,  promettant  de  lui 
en  envoyer  immédiatement.  «  Mais,  disait-il,  il  était  néces- 
saire, pour  la  bonté  de  la  cause,  que  cette  demande  lui 
fût  adressée  par  écrit.  »  Il  entendait  sans  doute  par  là 
que  la  cause  devait  paraître  juste,  afin  de  n'avoir  pas  l'air 
de  donner  son  appui  à  des  révoltés,  mais  au  contraire 
de  se  poser  en  défenseur  de  l'Eglise.  C'est  probablement  ce 
message  que  Louis  XI,  au  dire  de  Philippe  de  Commines, 

0)  Ce  palais  dlait  contigu  à  l'église  de  Sainl-Lambert.  Voy.  ci-dessus, 
p.  47.  note  1 . 


—  69  — 

déclara,  à  Péronne,  regretter  d'avoir  envoyé.  Onufrius  déli- 
béra avec  Tévêque  sur  cette  demande.  Louis  de  Bourbon 
hésitait  :  il  craignait  la  vengeance  du  duc  si  le  secours  du 
roi  n'arrivait  pas  à  temps.  Le  légat  répondit  donc  à  Louis 
XI  que  l'on  ne  jugeait  pas  à  propos  de  recourir  à  lui 
avant  de  savoir  si  le  duc  Charles  refuserait  d'accorder 
une  paix  acceptable  ;  réponse  peu  adroite,  à  moins  —  chose 
improbable  —  que  le  légat  ne  fut  déjà  informé  de  l'entrevue 
de  Péronne. 

Le  lendemain,  les  principaux  bourgeois  de  Liège  vinrent 
trouver  Onufrius  et  l'évêque  pour  prendre  leurs  ordres. 
On  leur  répondit  brièvement,  et  devant  tous  les  assistants, 
qu'ils  devaient  observer  les  promesses  faites  au  duc,  se 
garder  de  l'offenser  ou  de  provoquer  sa  puissance  par  des 
actes  ou  par  des  paroles  ;  on  les  engagea  aussi  à  ne  rien 
faire  de  leur  propre  chef,  mais,  avant  d'agir,  à  consulter  en 
toutes  choses  l'évêque  et  le  légat.  Louis  exprima  ensuite, 
avec  une  grande  vivacité,  son  désir  de  rentrer  en  possession 
des  objets  précieux  qu'il  avait  laissés  dans  la  maison  du 
légat,  à  Tongres,  et  surtout,  de  ravoir  auprès  de  lui  son 
favori,  l'archidiacre  Robert.  Onufrius,  qui  savait  combien 
ce  chanoine  était  en  exécration  près  du  peuple,  proposa 
de  le  faire  mener  à  Maestricht  ;  mais  Robert,  consulté, 
déclara  qu'il  voulait  retourner  auprès  de  son  maître. 
Les  gens  du  légat  et  de  l'évêque  furent,  en  conséquence, 
envoyés  à  Tongres  avec  des  voitures  ornées  des  armoiries 
des  deux  prélats,  et  une  litière  pour  ramener  Robert  à 
Liège.  Au  retour,  les  batteurs  d'estrade  de  la  Cité  laissèrent 
passer  tranquillement  les  voitures  sur  la  déclaration 
qu'elles  transportaient  les  biens  de  Louis  de  Bourbon  ;  mais 
à  peine  eurent-ils  entendu  prononcer  le  nom  de  Robert, 
qu'ils  se  ruèrent  sur  lui  et  l'assassinèrent,  malgré  ses 


—  70  — 

supplications  et  la  résistancedeceuxqui  l'accompagnaient  (1). 

Dès  qu'il  fut  informé  de  ce  crime,  Onufrius  convoqua 
le  peuple  dans  le  grand  jardin  du  palais  épiscopal,  et 
lui  déclara  ,  par  l'intermédiaire  du  moine  carme  maître 
Robert,  qu'il  jeterait  de  nouveau  l'interdit  sur  la  ville  si  les 
meurtriers  de  l'archidiacre  restaient  impunis.  Cette  menace 
ne  resta  pas  sans  effet  :  l'affaire  fut  remise  entre  les  mains 
de  Jean  de  Wilde  que  l'évêque,  après  son  retour  de  Tongres, 
avait  investi  des  fontions  de  bailli  de  la  Cité. Mais  l'enquête, 
à  peine  commencée,  fut  suspendue  par  suite  des  bruits  de 
guerre  qui  bientôt  vinrent  porter  l'attention  sur  un  autre 
point.  On  découvrit,  toutefois,  que  Vincent  de  Buren  était 
le  coupable  et  qu'il  avait  commis  le  crime  pour  venger  son 
frère,  victime  d'une  injustice  de  Robert  dans  la  collation 
d'un  emploi.  Du  moins  Louis  de  Bourbon  l'accusa-t-il  du 
meurtre  en  présence  du  légat,  et  de  Buren,  rougissant,  ne 
put  que  balbutier  quelques  excuses. 

Charles  leTéméraire,pourcombattre  Louis  XLavait  voulu 
rassembler  toutes  ses  forces  ;  il  avait  mandé  près  de  lui 
Thibaut  de  Neufchàtel,  seigneur  de  Blanmont  et  maréchal 
de  Bourgogne,  avec  les  troupes  qu'il  commandait,  de  même 
que  quelques  princes,  voisins  de  ses  états,  entre  autres 
Philippe  de  Savoie  (2)  et  ses  deux  frères  ;  cela  formait  un 

(<)  Philippe  de  Coramines,  t.  XI,  p.  475,  rapporte  que  les  Liégeois  tuèrent 
encore  cinq  autres  chanoines.  Il  dit  que  Robert  fut  massacré  sous  les  yeux  de 
l'évêque,  puis  déchiré  en  morceaux,  et  que  les  meurtriers,  par  un  jeu  barbare, 
se  jetèrent  à  la  face  les  membres  du  malheureux.  —  *  Cf.  Adrien,  col.  1337, 
et  voy.  Dewez,  t.  II,  p.  63,  note. 

(2)  Philippe  de  Bresse,  ennemi  mortel  de  Louis  XI,  qui,  à  l'instigation  de 
son  propre  père,  le  duc  de  Savoie,  l'avait  jadis  tenu  prisonnier  (Philippe  de 
Commines,  t.  XI,  p.  468).  Je  dois  ajouter,  du  reste,  pour  rectifier  la  relation 
d'Onufrius,  que,  suivant  Philippe  de  Commines,  les  seigneurs  dont  il  est  ici 
question,   à  la  grande   frayeur   du  roi   de  France,  étaient   déjà  présents  à 


—  71   — 

corps  d'armée  de  vingt  mille  hommes,  tant  bourguignons 
que  savoyards,  qui  devaient  se  diriger,  par  Namur,  vers  la 
Picardie  (1).  Mais  ces  princes,  ayant  appris  que  Tongres 
était  tombé  entre  les  mains  des  Liégeois,  que  l'évêque  était 
mort  ou  prisonnier,  changèrent  leur  itinéraire  —  on  ignore 
si  ce  fut  spontanément  ou  sur  l'ordre  de  Charles,  —et  enva- 
hirent le  territoire  liégeois.  Ils  trouvèrent  Tongres  sans 
garnison,  y  mirent  tout  à  feu  et  à  sang,  et  ravagèrent  les 
environs  (2). 

Cependant,  Humbercourt  et  Jean  de  Berger  ne  restaient 
pas  inactifs  :  ils  travaillaient  à  la  paix.  Humbercourt,  se 
trouvant  à  Léones  (3),  expédia  à  Onufrius  un  sauf-conduit 
pour  Jean  de  Wilde,  Amel  de  Velroux  et  Gilles  de  Lenz, 
en  demandant  «  qu'ils  se  rendissent  tous  quatre,  sans 
tarder,  auprès  de  lui,  dans  un  endroit  nommé  aux  quatre 

Péronne  et  partirent  de  là  pour  le  siège  de  Liège.  Philippe  de  Commines, 
témoin  oculaire,  était  sans  doute  mieux  renseigné  sur  ce  point  qu'Onufrius. 

0)  *  -  Omnes 

Bellorum  primas  Theobaldo  crédit  habenas, 
Quem  Legio  Burgunda  virum,  quem  forte  Comala 
Gallia,  quem  sequitur  lurba  comitante  Philippus 
Atque  Allobrogicis  ingens  exercitus  oris  ; 
Finitimos  Legiis  gentespetiere  Namurcos 
Ventura  in  Francos  atque  arva  Picardiabello.  » 
(Ange  de  Viterbe,  col.  1431). 

(«)  *  C'est  probablement  le  la  octobre  que  les  Bourguignons  entrèrent  a 
Tongres.  Voy.  Adrien,  col.  1337,  et  le  Bull,  de  l'Inst.  nrchéol.  lit:g.,  t.  XIII, 
p.  16.  Le  lendemain  partit  de  Cambrai  Sim.  de  le  Kerrest,  secrétaire  du  duc, 
envoyé  par  celui-ci  au-devant  du  légat  «  estant  lors  en  la  Cité  de  Liège,  pour 
le  conduire  par  devant  Monseigneur.  »  (Voy.  Annales  de  l'Acad.  d'archéol. 
de  Belg.,  1.  c,  p.  658,  note). 

(3)  Peut-être  Léau  en  Brabant,  sur  les  frontières  du  Limbourg,  ou  bien 
Louvain.  —  *  C'est  la  première  de  ces  deux  localités,  ou  plutôt  encore  Lonz 
(Los  castrum). 


arbres,  entre  Hubertingen  et  Jamine  (1),  car  déjà  Charles 
s'avançait  et  entrait  dans  le  Hainaut  (2).  Il  exprimait  le 
désir  que  l'évêque  leur  adjoignit  son  chancelier  et  un  de  ses 
conseillers,  et  que  le  légat  assistât  à  l'entrevue,  personnel- 
lement ou  par  des  délégués  munis  de  ses  pleins  pouvoirs.  » 
On  fit  comme  il  le  désirait;  seulement  Onufrius,  retenu  à 
Liège  par  une  indisposition,  dut  se  faire  remplacer  par 
son  chapelain  Altfast  et  par  le  moine  carme  Robert. 
Chemin  faisant,  l'ambassade  rencontra  quelques  soldats 
bourguignons  qui  ne  voulurent  pas  reconnaître  la  validité 
du  sauf-conduit  délivré  par  Humbercourt,  sous  le  prétexte 
que  le  maréchal  de  Neufchâtel  seul  était  investi  du  com- 
mandement en  chef.  Ils  permirent  cependant  aux  députés 
de  se  rendre  à  leur  destination,  les  invitant,  toutefois,  à  ne 
pas  chercher  à  revenir  à  Liège  parce  qu'ils  seraient  pendus 
si  on  les  attrapait.  Effrayés  par  ces  menaces,  les  bourgeois 
et  le  chancelier  rebroussèrent  chemin  ;  les  envoyés  du 
légat  continuèrent  leur  route. 

Lorsque  ces  nouvelles  arrivèrent  à  Liège,  une  grande 
rumeur  se  répandit  dans  la  Cité  et  déjà  l'on  se  préparait  à 
la  guerre.  Cependant  Humbercourt  ne  cessait  de  prêcher  la 
paix  et  conseillait  aux  Liégeois  de  se  soumettre  à  la  volonté 
du  duc.  Onufrius  partageait  sa  manière  de  voir  et,  de  son 
côté,  exhortait  les  bourgeois  à  exécuter  fidèlement  la  con- 
vention conclue  avec  Charles.  Ceux-ci,  ou  plutôt  les  pros- 
crits,   firent    savoir   au    légat    qu'ils    se    conformeraient 

(1)  *  Houppertingen  et  Grand-Jamines,  communes  du  canton  de  Looz,  à 
une  lieue  de  cette  ville. 

(2)  L'un  des  deux,  d'Onufrius  ou  de  Humbercourt,  doit  avoir  été  mal  infor- 
mé. D'après  la  relation  du  premier,  la  lettre  de  Humbercourt  était  datée  du  12 
octobre,  tandis  que,  suivant  Philippe  de  Commines,  Charles  ne  quitta  pas 
Péronne avant  le  14  octobre.  —  *  Ce  fut  le  15  octobre,  dans  l'après-midi,  que 
le  duc  Charleset  le  roi  Louis  quittèrent  Péronne  pour  aller  assiégerles  Liégeois. 


-   73  — 

volontiers  à  sa  volonté  et  à  celle  de  l'évèque,  mais  qu'ils 
aimaient  mieux  mourir  que  de  retourner  en  exil,  parce 
qu'ils  ne  pouvaient  supporter  davantage  que  la  liberté  de 
l'Eglise  de  Liège  fut  sacrifiée  à  des  étrangers  (1).  Onufrius 
leur  fit  remarquer  «  que  la  liberté  de  l'Eglise  était  affaire 
du  pape,  de  l'évèque  et  de  lui-même  ;  quant  à  eux,  ils 
n'avaient  qu'à  exécuter  leurs  promesses.  »  Mais  précisé- 
ment, c'était  là  le  point  difficile,  car  il  avait  été  stipulé  que 
les  Liégeois  qui,  au  nombre  d'environ  vingt  mille,  avaient 
pris  part  à  la  bataille  de  Bruschen,  seraient  bannis  ; 
que  personne,  dans  la  Cité,  ne  pourrait  plus  porter  d'armes; 
que  tous  les  officiers  de  la  ville  prêteraient  serment  de 
fidélité  au  duc  ou  à  son  représentant,  etc.  Demander  l'exé- 
cution de  la  première  de  ces  clauses,  c'était  exposer  vingt 
mille  Liégeois  à  périr  de  faim  dans  les  bois.  Ils  offraient  au 
duc  "  de  l'indemniser  de  ses  pertes  et  s'engageaient,  sous  la 
garantie  d'otages  qu'ils  étaient  tout  disposés  à  lui  livrer,  à 
ne  plus  lui  faire  la  guerre  :  pour  le  reste,  ils  s'en  rappor- 
taient à  la  décision  de  leurs  maîtres,  l'évèque  et  le  légat. 
Dans  ses  vieilles  chartes,  dans  ses  armoiries,  sur  son 
sceau,  la  ville  de  Liège  était  appelée  la  fille  de  la  sainte 
Eglise  romaine,  et  ses  habitants  les  sujets  et  les  vassaux 
de  Véglise  de  Saint-Lambert  et  de  l'évèque  de  Liège  (2)  ; 
il  n'était  donc  pas  raisonnable  qu'ils  fussent  placés  sous 
la  domination  des  maîtres  temporels  qui  les  opprimaient, 

(0  *  -  Ergo  legatus  suadet  Leodina  juventus 
Pareat  :  illa  refert  velle  observare  petita 
Cuncta  ducis,  verum  non  in  deserla  redire 

Posse  iterum,  exiliumque  duci  non  utile » 

(Ange  de  Viteiibe,  col.   1451). 
(2)  *  Je  crois  qu'Onufrius  se  trompe  ici,  car  je  n'ai  jamais  rencontré  cette 
dernière  formule.  Pour  la  première,  voyez  ci-dessus,  p.  4,  note  4,  et  le  Bull, 
de  In  Société  scientif,  et  litt.  du  Limbourg,  t.  X,  p.  31. 

10 


—  74  — 

notamment  du  duc  de  Bourgogne,  qui  lui-même  était  un 
prince  catholique.  » 

Cette  déclaration  fut  loin  de  déplaire  au  légat  et  à  l'é- 
voque; mais  ils  n'osèrent  la  faire  connaître  au  duc  (1).  Ils  se 
bornèrent  à  inviter  les  chefs  de  l'armée  bourguignonne  «  à 
envoyer  l'un  d'eux  à  Liège  pour  recevoir  les  offres  de 
paix  qu'on  voulait  leur  faire,  puisque,  par  leurs  menaces,  ils 
avaient  empêché  les  Liégeois  de  se  rendre  auprès  d'eux.  » 
Le  maréchal  de  Neufchàtel,  absent  lors  de  l'arrivée  de  ce 
message,  fut  très  irrité,  à  son  retour,  d'apprendre  que  les 
autres  capitaines  avaient  envoyé  à  Liège  Pierre  Hagen- 
bach  (2)  avec  un  sauf-conduit  et  une  escorte  de  quarante 
cavaliers.  Hagenbach,  dans  ses  négociations  avec  le  légat 
et  l'évêque,  plaida  la  cause  de  la  paix  avec  une  noble  obsti- 
nation, exprimant  le  regret  qu'il  aurait  de  voir  une  si 
belle  ville  livrée  aux  horreurs  de  la  guerre.  Dans  une  nom- 
breuse assemblée  du  peuple,  Amel  de  Velrois  lui  réitéra,  au 
nom  de  la  Cité,  les  déclarations  qu'il  avait  faites  la  veille 
au  légat  et  à  l'évêque,  et  pria  Hagenbach  de  représenter 
au  duc  combien  il  serait  plus  avantageux  pour  lui  que  les 
Liégeois  fussent  ses  alliés  fidèles  plutôt  que  de  misérables 
esclaves  sans  aucune  utilité  pour  lui. 

Hagenbach,  de  retour  à  Tongres,  rapporta  ces  paroles 

(i)  *  -  Tum  molus  lacrymis  miseralus  episcopus  ipsos 
Legatusque  fuit  ;  cuperet  cura  mitleread  aures 
Cuncta  ducis,  non  est  inventus,  forte  timoré, 
Qui  portare  velit,  Theobaldiis  quando  minatus 
Legati  est  famulis,  Legios  si  forte  per  agros 
Ultra  irent,  ipsos  morti  crucibusque  daturus.  » 
(Ange  de  Yiterbe,  col.  tiol). 

(2)  Il  est  qualifié  dans  le  manuscrit  miles  cl  magister  hospilii  ducis 
Burgundice.  —  '  Nous  retrouverons  plus  loin  ce  personnage.  Cf.  Adrien. 
col.  1337. 


-  75  — 

au  maréchal  ;  mais  il  n'essuya  que  des  reproches  pour 
avoir  négocié  la  paix  à  son  insu.  Quant  aux  Liégeois,  leurs 
propositions  restèrent  sans  réponse;  mais  ils  les  envoyèrent 
par  écrit  à  Thibaut  de  Neufchâtel,  lui  déclarant  «  qu'ils 
consentaient  à  observer  la  paix  toute  entière,  pourvu  que 
la  clause  relative  à  leur  exil  fut  révoquée,  et,  quant  aux 
points  qui  ne  pouvaient  blesser  aucun  des  intérêts  du  duc, 
que  leurs  plaintes  fussent  entendues.  »  Thibaut  répondit 
sèchement  «  qu'il  ne  pouvait,  sans  l'autorisation  du  duc, 
entamer  de  négociation.  «  En  attendant,  il  fortifiait  la 
position  de  son  armée,  la  rapprochait  de  la  Cité  et  mettait 
les  environs  à  feu  et  à  sang.  Aussi,  c'était  à  grand  peine 
que  les  Liégeois  pouvaient  se  retenir  de  commencer  l'at- 
taque. Les  bourgeois  les  plus  sensés  supplièrent  instamment 
Onufrius  de  se  rendre  auprès  du  duc,  avec  le  chancelier  de 
Louis  de  Bourbon  et  le  noble  chevalier  Jean  de  Vogel- 
sang  (i),  favori  du  duc,  qui  avait  été  fait  prisonnier  à 
Tongres.  Le  légat  céda  encore  une  fois  à  leurs  instances  (2) 
et  résolut  de  remonter  la  Meuse  jusqu'à  Huy,  pour  de  là 
continuer  son  voyage  jusqu'au  camp  de  Charles.  Il  crut  pru- 
dent d'envoyer  d'abord  le  chancelier  de  l'évêque  et  Vogel- 
sang  vers  Thibaut  de  Neufchâtel  pour  lui  faire  part  de  son 
projet  et  lui  demander  un  sauf-conduit.  Ces  deux  person- 
nages ne  revinrent  pas,  ce  qui  était  peu  rassurant.  D'un 
autre  côté,  le  général  des  Carmes  rapporta  à  Onufrius  un 
bruit  qu'il  tenait  de  l'abbesse  d'un  monastère  de  Huy, 
suivant  lequel  soixante  cavaliers  devaient  tomber  sur  le 

(i)  *  Jean  d'Autel  ou  d'Elter,  seigneur  de  Vogelsanck. 

(2)  *  Selon  Ange  de  Viterbe,  col.  1451,  ce  fut  Louis  de  Bourbon  qui  prit  la 
parole  pour  engager  Onufrius  à  se  rendre  auprès  de  Charles,  en  démontrant 
l'inutilité  de  la  résistance  depuis  que  le  duc  avait  fait  sa  paix  avec  le  roi  de 
France. 


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légat  et  l'assassiner  dans  un  bois  dès  qu'il  aurait  quitté 
le  territoire  liégeois  et  se  serait  éloigné  de  Huy  (1). 

Vers  minuit,  un  moine  vint  trouver  Onufrius  et  lui  apprit 
que,  depuis  quelques  jours,  l'évêque  avait  échangé  de 
nombreuses  lettres  avec  les  Bourguignons  et  formé  le 
projet  de  sortir  de  Liège  sous  un  déguisement.  Aussitôt 
après  cette  confidence,  Onufrius  entra  dans  la  chambre  à 
coucher  de  Louis,  qui  joignait  la  sienne,  et  lui  fit  des 
reproches  de  ce  «  qu'il  ne  songeait  qu'à  se  sauver  à  la 
faveur  des  parents  et  des  amis  qu'il  comptait  dans  l'armée 
bourguignonne,  tandis  qu'il  l'abandonnait,  lui,  et  l'exposait 
à  la  fureur  du  peuple;  cependant,  s'il  le  voulait,  il  trouverait 
bien  aussi  le  moyen  de  s'échapper  et  de  dévoiler  à  tous  les 
desseins  de  l'évêque.  •»  Louis  ne  put  s'empêcher  de  rougir; 
il  avoua  »  que  la  fuite  lui  avait  été  conseillée,  mais  qu'il 
avait  repoussé  cette  proposition;  il  jura,  et  engagea  le  légat 
à  prêter,  comme  lui,  le  serment  de  ne  pas  quitter  la  ville 
l'un  sans  l'autre.  "  Défense  fut  faite  au  délateur,  sous 
peine  d'excommunication,  de  souffler  mot  de  cette  affaire  (2). 

Le  20   octobre,    Simon    de  Leurest   (3),    secrétaire   de 

(1)  *  «  Ergo  inventa  fuit  raylier  vestalis  in  Huio 
Quae  narret,  quotiens  vellet  legatus  ad  ipsum 
Ire  ducem,  triginta  équités  bis  forte  paratos 
Et  qui  legato  simulato  occurrere  honore 
Debent,  mox  illum  et  périmant,  aut  tempore  longo, 
Ne  bellura  impediat,  tenebrosis  claudere  in  antris.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  4451-1452). 
(s)  *  Cf.  Ange  de  Viterbe,  col.  1452. 

(s)  *  Simon  de  le   Kerrest.    Voy.  Annales  de  V Académie  d'archéol.   de 
Belgique,  1867,  p.  658. 

»  Ocyor  interea  Sancto  ex  Trudone  redibat 
Robertus,  nuper  quem  jam  dimiserat  ipse 
Legatus,  pelèrent  Simo  quid  sibi  dicere  vellet, 


—  77  — 

Charles,  arriva  à  Saint-Trond,  d'où,  n'osant  aller  lui-même 
à  Liège,  il  écrivit  à  Onufrius  pour  savoir  s'il  consentirait  à 
se  rendre  près  de  lui,  ou  s'il  préférait  lui  envoyer  un  homme 
sûr  auquel  il  pût  confier  ce  qu'il  avait  à  lui  communiquer 
de  la  part  du  duc.  Le  légat  répondit  »  qu'il  pouvait  en 
toute  sécurité  venir  dans  la  Cité  ;  que  s'il  ne  le  voulait  pas, 
il  pouvait  confier  son  message  à  son  chapelain  Altfast, 
qui  se  trouvait  en  ce  moment  à  Saint-Trond,  chez  Hum- 
bercourt.  ■■■  Pour  plus  de  précaution,  Onufrius  envoya 
quelques  hommes  d'une  fidélité  éprouvée  à  la  rencontre 
de  Simon,  pour  l'escorter  jusqu'à  Liège  ;  ils  l'attendirent  en 
vain.  Mais  ce  qu'ils  virent,  ce  fut  l'armée  bourguignonne 
qui  s'éloignait  de  Tongres,  semant  sur  son  passage  le 
meurtre,  le  pillage  et  l'incendie  ;  Crestençay  (1)  en  feu, 
lançant  dans  les  airs  des  tourbillons  de  flammes  et  de 
fumée,  et  les  paysans  s'enfuyant  vers  Liège  avec  leurs 
enfants  et  leur  bétail. 

Altfast,  qui  s'était  mis  en  route  pour  remettre  à  Onufrius 
les  lettres  dont  Humbercourtet  Simon  de  Leurest  l'avaient 
chargé,  fut  arrêté  à  Crestençay  par  les  soldats  bourgui- 
gnons et  mené  à  Philippe  de  Savoie;  celui-ci  le  relâcha 
immédiatement  et  le  chargea  de  saluer  de  sa  part  le  légat 

Qui  vir  Burgundi  ducis  ipsa  arcana  tenebat, 
Quidve  Umbcrcurtus  bis  dente  ad  tempora  lucis 
Pollicitus  Legise  rediturum  ad  mœnia  gentis, 
Dum  captus  summis  Tungris  sub  mœnibus  essct.  » 
(Ange  de  Viterbe,  col.  1452-4453). 

(i)  *  Probablement  Crisnt'e  ou  Crisgnée  (autrefois  Creslingnic),  commune 
à  15  kilom.  de  Liège. 

«  Vix  Crestienaci  patuerunt  culmina  villa;, 
Agricolas  cernit  fugientes  atque  ferentes 
Ex  flammis  prsedas,  elc. 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1453). 


et  l'évêque,  auxquels  il  faisait  dire  «  qu'il  aurait  l'honneur 
de  les  voir  le  lendemain  devant  Liège,  si  Dieu  ne  le  rappelait 
pas  à  lui  pendant  la  nuit  (i).  «  Altfast  continua  son  voyage  ; 
mais  bientôt,  de  nouveau  arrêté,  il  fut  amené  en  présence 
de  Thibaut  de  Neufchâtel  ;  celui-ci  ne  se  souciait  nullement 
de  Humbercourt,  dont  il  voyait  le  nom  au  bas  du  sauf- 
conduit  que  le  chapelain  lui  présenta  ;  mais  ayant  vu  les 
lettres  du  secrétaire  Simon,  il  laissa  partir  Altfast,  non 
sans  lui  dire  «  qu'il  serait  pendu  s'il  retombait  entre  ses 
mains.  •• 

Il  est  évident  que  ni  le  duc  Charles  ni  ses  officiers,  pour 
ne  pas  être  entravés  dans  leurs  projets  par  les  négociations 
d'Onufrius,  ne  voulaient  pas  lui  reconnaître  la  qualité  de 
représentant  du  pape;  et  si  on  renonçait  à  faire  croire  qu'il 
s'était  arrogé  un  titre  et  une  qualité  qui  ne  lui  apparte- 
naient pas,  au  moins  cherchait-on  à  rendre  ses  intentions 
personnelles  suspectes.  Les  récits  des  écrivains  contempo- 
rains et  les  opinions  qu'ils  émettent  sur  notre  légat  (2), 
attestent  que  les  efforts  de  cette  politique  ne  restèrent  pas 
tout  à  fait  sans  résultat. 

Sur  ces  entrefaites,  les  chefs  de  la  Cité  et  les  principaux 
bourgeois  de  Liège  vinrent  solliciter  le  légat  de  lancer  les 

(i)  *     -  Intravit  villam,  mox  captus  ab  ipsis 

Burgundis,  domino  jam  ductus  et  ipse  Philippo 
Quem  Sabaudinse  misère  ad  prœlia  terrœ. 
Mox  cum  legati  famulum  novisset,  ad  ipsum 
Ire  sinit,  mandatque  ferat  de  morle  salutem, 
Tumjussit  narret  Legiis,  nisi  noctesuprema 
Illa  occidantur,  Burgundos  luce  sequenti 
Visuros  belloLeodinas  denique  gentes.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.   14S3). 
(2)  Philippe  de  Commines,  t.  XI,  p.  493;  Paul  EsiiLE.De  rébus  Francorum, 
ad  a.  1468. 


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foudres  de  l'Eglise  contre  leurs  ennemis.  Quelques  hommes 
du  peuple  disaient  même  hautement  qu'il  fallait  le  considérer 
comme  leur  étant  hostile  s'il  tardait  à  le  faire.  Mais  il  jus- 
tifiait son  attitude  passive,  en  disant  «  qu'il  ne  pouvait 
légalement  excommunier  les  Bourguignons  ni  les  laisser 
attaquer  tant  qu'on  n'avait  pas  reçu  de  réponse  du  duc  ; 
que  prendre  l'offensive  c'était  agir  contrairement  à  la  pru- 
dence et  à  la  sagesse,  tandis  que  personne  ne  pourrait  leur 
reprocher  de  repousser  une  attaque  ;  qu'ils  ne  feraient 
qu'exaspérer  le  duc  en  commençant  les  hostilités,  et  d'ail- 
leurs, qu'ils  se  trouvaient  sans  armes  en  présence  d'une 
armée  parfaitement  équipée,  composée  de  cavaliers  et  de 
fantassins  aguerris,  et  ne  devaient  pas  s'attendre  à  rencon- 
trer des  gens  endormis  comme  à  Tongres  ;  que  les  Bour- 
guignons étaient  très  au  courant  de  tout  ce  qui  se  passait 
dans  la  ville  ;  il  ajoutait  même  qu'ils  tenaient  leurs  infor- 
mations de  personnes  dont  le  devoir  eut  été  d'éclairer  leurs 
concitoyens  et  de  veiller  au  troupeau  dont  la  garde  leur 
était  confiée,  plutôt  que  de  donner  à  leurs  ennemis  des  con- 
seils funestes.  » 

Les  chefs,  ayant  écouté  ces  paroles  du  légat,  lui  deman- 
dèrent alors  '•  ce  qu'il  y  avait  à  faire  en  ce  péril  imminent; 
car  pendant  qu'ils  délibéraient  dans  l'inaction,  la  patrie 
était  dévastée  par  l'ennemi.  -  —  «  Des  champs  et  des  mai- 
sons, leur  répondit  Onufrius,  peuvent  facilement  être 
remis  en  bon  état.  Ce  qu'il  importe  surtout  de  sauvegarder, 
c'est  votre  ville.  Continuez  à  proposer  des  conditions  de 
paix  acceptables  ;  si  elles  sont. rejetées,  implorez  le  secours 
de  Dieu  et  de  saint  Lambert,  et  défendez-vous  jusqu'à  la 
dernière  extrémité.  Surtout,  ne  risquez  pas  de  sortie  ;  c'est 
le  dernier  avis  que  j'aie  à  vous  donner.  »  Louis  de  Bourbon 
avait  engagé  Onufrius  à  conseiller  aux  Liégeois  de  faire 


—  80  — 

une  sortie  :  «  qu'ils  tussent  vainqueurs  ou  vaincus,  disait- 
il,  la  guerre  était  finie.  »  Mais  le  légat  ne  voulait  pas  se 
rendre  responsable  du  sang  versé  dans  une  bataille. 

Cependant,  les  Liégeois  ne  suivirent  pas  ses  avis  ;  ils  se 
décidèrent  à  tenter,  pendant  la  nuit,  une  sortie  avec  huit 
mille  hommes  (1).  Jean  Altfast  en  rencontra  jusqu'à  deux 
mille,  divisés  par  bandes  de  cent,  qui  cherchaient  les  Bour- 
guignons ;  ils  croyaient,  en  effet,  parce  que  ceux-ci  étaient 
sortis  de  Tongres  —  ville  très  convenable  pour  y  établir  des 
quartiers  d'hiver,  —  que  leur  intention  était  de  quitter  le 
pays.  Mais  Altfast,  qui  avait  présents  à  l'esprit  les  compli- 
ments dont  Philippe  de  Bresse  Tavait  chargé,  assura  aux 
Liégeois  que  ,  loin  de  se  retirer  ,  les  Bourguignons  au 
contraire  se  dirigeaient  vers  Liège  ;  il  les  engagea  donc  à 
retourner  en  toute  hâte  chez  eux.  Malheureusement,  ils 
méprisèrent  son  conseil. 

Altfast  apporta  au  légat  la  réponse  verbale  donnée  par 
Charles  à  son  secrétaire  ;  ce  n'était  pas  une  proposition 
de  paix,  mais  un  avertissement  amical  :  «  il  était  persuadé 
que  la  surprise  nocturne  de  Tongres  n'avait  pas  eu  lieu  à 
l'instigation  de  l'évèque  et  du  légat  :  mais  telle  était  la 
croyance  générale  des  Bourguignons  ;  aussi ,  ceux-ci 
étaient-ils  très  mal  disposés  envers  les  deux  prélats  ;  son 
armée  étant  composée  de  rudes  soldats  de  différentes 
nationalités,  le  légat  devait  bien  prendre  garde  de  tomber 

(1)  *  «  Interea  rumor  Legiorum  perculit  aures 

Crestenam  (Crisgnt!e)  incensam,  bisquinque  et  raillia  ab  urbe 

Sunt  egressa  hominum,  préparant  noclisque  per  umbram 

Ad  bellum  ;  dulci  non.sunt  sermone  retenti 

Sacri  oratoris  (Onufrii),  médise  sednoctis  ad  horam 

Congressi,  telis  plures  slravere  coliortes 

Burgundas.  " 

(Ange  de  Viterbe,  col.   1453). 


—  81   — 

entre  leurs  mains;  si  Liège  était  prise  d'assaut,  sa  vie  serait 
en  danger  ;  en  conséquence,  il  l'engageait  à  quitter  la 
ville.  »>  Onufrius  communiqua  ce  message  à  l'évêque  ; 
"  c'était  là,  disait-il,  sa  récompense  pour  avoir  sauvé  la 
vie  aux  Bourguignons  ;  s'il  n'avait  pas  mis  obstacle  à  la 
fureur  des  Liégeois,  la  position  serait  peut-être  toute 
autre.  »  Ils  délibérèrent  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire  pour 
détourner  le  danger  qui  les  menaçait  tous  deux  ;  mais 
comme  les  Liégeois  s'apprêtaient  en  ce  moment  à  faire  une 
sortie,  ils  décidèrent  qu'ils  en  attendraient  l'issue. 

La  rencontre  eut  lieu  le  22  octobre  ;  les  premières  nou- 
velles que  l'on  en  reçut  dans  la  Cité,  annonçaient  la 
déroute  complète  des  Bourguignons  ;  d'autres  messagers 
suivirent,  apportant  des  dépêches  tantôt  bonnes  tantôt 
mauvaises.  La  lutte  dura  depuis  le  matin  jusqu'à  midi  (i). 
Les  Liégeois  se  battirent  comme  des  lions  pour  leurs  foyers 
et  leurs  autels  ;  mais  ils  paraissent  avoir  commis  la  faute 
de  se  porter  contre  l'ennemi,  non  avec  toutes  leurs  forces 
réunies,  mais  par  bandes  détachées  telles  qu'elles  sortaient 
de  la  ville.  Au  moins  Onufrius  rapporte-t-il  que  Jean  de 
Wilde,  le  plus  vaillant  capitaine  des  troupes  liégeoises, 
fut  menacé  de  mort  par  ses  concitoyens  parce  qu'il  était 
arrivé  trop  tard  sur  le  lieu  du  combat.  Les  Bourguignons, 
au  contraire,  massèrent  tout  d'abord  leurs  troupes  et 
attaquèrent  vivement  l'ennemi  près  du  village  de  Lantin, 
à  une  lieue  de  la  Cité  (2).  Les  Liégeois,  qui  n'avaient  que 

(1)  *  Voy.  Ange  de  Viterbe,  col.  1453-4454  ;  Adrien,  col.  1337-4338  ; 
Bull,  de  Vins  t.  archéol.  Hcg.,  t.  XIII,  pp.  16  et  47. 

(a)  Villa  Lantin,  probablement  au  Nord-Ouest  de  Liège,  quoique  cela  ne 
concorde  pas  avec  la  distance  indiquée,  car  Lantin  est  éloigné  de  Liège  de 
trois  milles  géographiques  au  moins.  Les  faits  qui  suivent  paraissent  égale- 
ment arrivés  au  Sud  de  la  rivière  du  Geer  et  de  Landen.  —  *  C'est  cependant 
bien  de  Lantin,  à  une  lieue  et  demie  de  Liège,  qu'il  est  question  ici.  Cf.  Adrien, 
col.  1338.  11 


—  82  — 

mille  cavaliers  peu  aguerris,  ne  purent  résister  au  choc  de 
la  formidable  cavalerie  bourguignonne,  et  furent  refoulés 
jusqu'aux  portes  de  leur  capitale  avec  une  perte  de  quinze 
cents  hommes.  Cinq  cents  de  leurs  fantassins  se  retirèrent 
à  Lantin  et  s'y  défendirent  héroïquement ,  retranchés 
dans  les  maisons  et  dans  la  tour  de  l'église.  Les  Bourgui- 
gnons ayant  mis  le  feu  aux  demeures  et  au  temple,  ils 
périrent  tous,  jusqu'au  dernier  (1). 

La  plus  grande  confusion  régnait  dans  la  Cité  (2)  ;  les 
bourgeois  échappés  au  désastre  ne  contribuaient  pas  peu 
à  y  répandre  la  terreur  ;  on  n'y  parlait  que  de  la  ruine  de 
la  ville,  qui  paraissait  imminente  à  tous.  Onufrius  et  Louis 
de  Bourbon  eurent  d'abord  la  pensée  de  se  porter  à  la 
rencontre  des  Bourguignons  et  de  faire  un  dernier  effort, 
par  leurs  supplications  et  leurs  prières,  pour  obtenir  la 
paix.  Mais  la  crainte  de  tomber  entre  les  mains  des  soldats, 
affolés  de  sang  et  de  carnage,  les  détourna  de  ce  projet.  Ils 
se  décidèrent  à  monter  sur  la  tour  de  l'église  Saint-Lambert , 
où  les  suivirent  plusieurs  ecclésiastiques  et  bourgeois,  afin 
de  pouvoir,  de  cet  endroit  élevé,  parlementer,  s'il  y  avait 
lieu,  avec  les  chefs  de  l'armée  ennemie.  Du  haut  de  cet 
observatoire,  ils  assistèrent  à  un  lugubre  et  émouvant 
spectacle  ;  de  quelque  côté  que  se  portassent  leurs  regards, 
ils  voyaient  les  portes  et  les  murailles  dégarnies  de  leurs 
défenseurs  ;  le  peuple  qui  se  réfugiait  en  partie  dans  les 
églises,  en  partie  sur  les  ilôts  de  la  Meuse  ;  d'autres  qui 

(1)  *  Piccolomini,  dans  de  Ram,  p.  378. 

«  Ad  portas  usque  sequunlur 
Burgundi  Legios  fugientes,  altéra  Lantsin 
Pars  fugit  ad  villam,  et  se  nititur  ipsa  tueri,  etc.  « 
(Ange  de  Viterbe,  col.  -1434). 
(1)  '  Cf.  Ange  de  Viterbe,  col.   1454, 


—  83   — 

traversaient  le  fleuve  dans  des  barques.  Les  Bourguignons, 
heureusement,  n'entrèrent  pas  dans  la  ville  ;  ils  ignoraient 
ce  qu'Onufrius  constatait  du  haut  de  la  tour  et  craignaient 
une  embuscade,  notamment  de  la  part  du  corps  qui  s'était 
replié  sur  Lantin,  et  qui,  en  ce  moment,  n'était  pas  encore 
anéanti. 

Témoins  de  la  retraite  des  Bourguignons,  le  légat  et 
l'évêque  quittèrent  leur  refuge  pour  délibérer  sur  la 
situation  (1).  On  s'attendait  à  un  assaut.  Le  bruit  courait 
aussi  que  Louis  XI  et  le  duc  Charles  avaient  conclu  un 
arrangement  et  étaient  en  route  pour  rejoindre  Thibaut  de 
Neufchàtel  (2).  Les  Liégeois  se  berçaient  du  fol  espoir  que 
le  roi  de  France  arrivait  plutôt  en  ami  qu'en  adversaire, 
et  leur  procurerait  une  paix  honorable,  puisqu'ils  avaient 
agi  en  grande  partie  par  ses  ordres  ou  d'après  ses  sugges- 
tions. Douze  bourgeois  ,  au  nombre  desquels  se  trouvait 
Amel  de  Velrois,  estimaient  que  la  seule  chose  à  faire  était 
de  prier  le  légat  et  l'évêque  d'aller  au  devant  des  princes, 
pour  implorer  la  paix,  ou  du  moins  pour  tâcher  d'obtenir  la 
vie  sauve,  car  les  Bourguignons  avaient  juré  que  tous  les 
habitants  seraient  passés  au  fil  de  l'épée.  Les  gens  du  peuple 
étaient  partagés  dans  leur  opinion.  Après  une  longue 
discussion  à  laquelle  prirent  part  le  légat,  l'évêque,  de 
Klerck,  Amel  de  Velrois  et  d'autres,  il  fut  décidé  qu'Onu- 
frius (3),  Louis  de  Bourbon,  Amel  et  dix  autres  bourgeois 

0)  *  Cfr.  Ange  de  Viterbe,  col.  145o. 

(2)  *  Thibaut  de  Neufchàtel  appartenait  à  l'une  des  maisons  les  plus  consi- 
dérables de  la  Bourgogne,  qui  ne  doit  pas  être  confondue  avec  celle  des 
comtes  de  Neufchàtel  en  Suisse.  Voyez  p.  87,  note  2. 

(3)  *  Le  légat,  paraît-il,  exigea  que  l'évêque  l'accompagnât  dans  ce  voyage 
parce  qu'il  comptait  des  amis  parmi  les  Bourguignons,  tandis  que  lui  leur 
était  suspect  comme  trop  favorable  aux  Liégeois  :  a  Legatus  cunctis  Burgun- 
dis  invisus  fuerat,  quod  nimium  Leodiensibus  favere  creditus  sit.  »  (Herbenus, 
dans  de  Ram,  p.  359).  Cfr.  Adrien,  col.  4338. 


—  84  — 

notables  se  rendraient  auprès  du  roi  de  France  et  du  duc 
Charles,  après  avoir  prorais  formellement  de  revenir  à 
Liège,  leur  mission  accomplie  (1). 

Ce  fut  le  23  octobre  qu'ils  quittèrent  la  malheureuse 
Cité  pour  entreprendre  leur  périlleux  voyage,  escortés  par 
une  troupe  que  commandait  Jean  de  "Wilde  (2)  ;  leur  départ 
ne  s'effectua  pas  sans  résistance  de  la  part  de  plusieurs 
bourgeois,  armés  et  non  armés,  qui  voulaient  à  toute  force 
les  retenir.  A  peine  eurent-ils  dépassé  l'enceinte  de  la  ville, 
qu'un  tableau  déchirant  frappa  leurs  regards  ;  des  femmes 
et  des  vieillards  cherchaient  leurs  parents  parmi  les  morts 
couchés  dans  la  plaine.  Près  de  Lantin,  leurs  chevaux  ne 
purent  qu'à  grand  peine  franchir  les  ruines  du  village 
incendié  et  les  cadavres  carbonisés  des  cinq  cents  soldats 
qui  avaient  péri  en  héros  (3). 

«  Properant  incendere  flammis 
Burgundi,  sœvum  nisi  mollia  verba  tyrannum 
Legati  flectant.  Igilur  rogitandus  ad  ipsum 
Ul  vadat,  tantse  et  causam  Ievet  ipse  ruina?.  — 
Sic  ait  (Velrous)  atque  omnes  illius  dicla  probarunt. 
Tum  legatus  ait  :  Si  me  concedere  vultis 
Borbonius  comitem  nobis  se  adjungat,  et  ibo, 
Quamvis  verba  ducis  moneant  vitare  superbos 
Burgundos,  nostro  Tungris  factum  omne  putantes 
Consilio,  etc.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1455). 
0)  *  Cf.  Piccolominj,  pp.  378-379.  Phil.   de  Commines   prétend  que  le 
légat  s"enfuit  de  la  Cité  ;  cette  assertion  est  réfutée  par  M.  de  Gerlache, 
op.  cil.,\>.  283. 

(2)  *  «  Itaque  hora  diei  jara  décima  profecti  omnes  ad  terciam  noctis,  non 
sine  crebris  vitse  periculis  ad  primas  stationes  hosliumpervenere.  »  (Piccolo- 
mini, p.  579). 

(3)  *  Cf.  Adrien,  col.  4338  ;  le  Bull,  de  l'Insl.  archèol.  liég.,  t.  XIII,  17. 

«  Jam  cum  bis  quinis  egressi  civibus  urbe, 
Ante  ipsas  portas  cernunt  miserabile  visu,  etc.  » 
(Ange  de  Viterbe,  col.  1456). 


—  85  — 

En  route,  Louis  de  Bourbon  voulut  renvoyer  Jean  de 
Wilde  et  son  escorte.  Longtemps  le  brave  soldat  résista  à 
ses  sollicitations  :  il  se  rappelait  les  menaces  qu'il  avait  en- 
tendues la  veille,  à  Liège,  et  redoutait  plus  les  caprices  de 
ses  concitoyens  qu'une  mort  honorable  en  face  de  l'ennemi. 
Il  semblait  pressentir  un  danger.  Cependant,  pour  ne  pas 
manquer  à  la  parole  donnée,  il  se  laissa  enfin  persuader  et 
retourna  vers  la  Cité  (1).  Amel  aussi  était  plein  d'appréhen- 
sions sinistres,  et  l'on  peut  dire  que  le  plus  grand  malheur 
des  Liégeois  fut  d'avoir  eu  à  leur  tète  des  hommes  dont  les 
plus  sages  se  laissaient  aller  au  découragement  avant  que 
tout  espoir  fût  perdu. 

Louis  de  Bourbon,  avant  de  partir,  avait  envoyé  au 
maréchal  de  Neufchâtel  trois  messagers  pour  annoncer  son 
arrivée  et  demander  un  sauf-conduit;  aucun  de  ces  hérauts 
ne  reparut. 

Les  ténèbres  enveloppaient  la  contrée  que  traversaient 
les  voyageurs,  mais  les  flammes  qui  dévoraient  Schindel  (2) 
leur  indiquaient  la  route.  Sur  le  conseil  du  légat,  on  se 
dirigea  vers  ce  village  pour  reconnaître,  à  la  clarté  de 
l'incendie,  le  chemin  qui  devait  les  conduire  à  Maestricht  (3). 

(1)  *  Jean  de  Wilde,  dit  M.  de  Chestret,  accompagna  l'évoque  cl  le  légat 
jusqu'en  vue  du  camp  de  Ravenstein  (Bull,  de  CInst.  archéol.  liég.,  t.  XIII, 
p.   17). 

(2)  *  Xhendremael,  autrefois  Scficndelmalc,  entre  Lantin  et  Othée. 

«  Flamma  relucens 
Schindelim  interea  exustifi  monslrabat  eunti 
Ipsa  viam  ;  placuit  villam  concedere  ad  ipsam 
Et  exspectare  aliquem,  si  posset  noscere,  vel  si 
Notus  ab  his  esset.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  4457). 

(3)  *  D'après  Ange  de  Viterbe,  col.  1456-1457,  Onufrius,  dans  la  crainte 
de  tomber  entre  les  mains  des  Bourguignons,  proposa  à  Louis  de  Bourbon  de 
retourner  à  Liège  à  la  faveur  des  ténèbres,  ou  de  se  diriger  sur  Maestricht. 
Ce  fut  à  ce  dernier  parti  qu'ils  s'arrêtèrent  : 


—  86  — 

Enfin,  on  aperçut  un  campement,  vers  lequel  fut  dépêché 
un  quatrième  héraut,  que  l'on  ne  revit  plus.  Douze  ca- 
valiers qu'ils  rencontrèrent  les  menèrent  à  un  village 
voisin  nommé  Elschals  Othey  (1),  où  se  trouvait  le  camp. 
Deux  gentilshommes  allemands,  Frédéric  et  Werner  de 
Vieten(2),  ayant  reconnu  l'évèque  et  le  légat,  restèrent  stu- 
péfaits de  leur  témérité  ;  en  effet,  le  conseil  de  guerre  avait 
statué  que  tous  ceux  qui  sortiraient  de  la  Cité  seraient  mis 
à  mort.  Ils  les  accueillirent  néanmoins  sous  leurs  tentes, 
leur  firent  servir  à  manger  et  leur  donnèrent  de  la  paille 
pour  passer  la  nuit.  Là,  Louis  de  Bourbon  et  Onufrius 
apprirent  que  le  roi  de  France  et  le  duc  avaient  décidé 
la  destruction  de  Liège,  que  Charles  était  mécontent 
d'eux,  et  que  ni  Humbercourt  ni  personne  ne  pouvait  lui 
enlever  la  conviction  qu'ils  avaient  été  cause  de  la  surprise 
de  Tongres.  Comment  concilier  cette  dernière  assertion 

«  Quare  melius  repeteraus  iniqua 
Nocte  urbem  Legiam,  melius  vel  mœnia  ad  ipsa 
Trajecli  tendemus  iter.  —  Pauca  ipse  pudore 
Borbonius  loquitur,  ventura  atqueagmina  rursus 
Asserit.  Ipse  tamen  legatus  mœnia  adibat 
Trajecli,  famulusque  viani  monslravit  habendam 
Tylmandus,  Tungris  fuerat  qui  mœnibus  ortus. 
Borbonius  dubiis  sequitur  mox  passibus  illum.  * 
(0  *  Evidemment  Othée  (en  flamand  Elch),  à  1/2  lieue  de  Xhendremael. 
«  Audilo  legati  nomine  ab  ipsis 
Borboniique  simul,  quoniam  responsa  dabantur 
Fida  satis,  dominos  lseta  mox  voce  salutant. 
Tune  ad  vicinam  quae  fertur  nomine  villam 
Elchis,  perducunt.  « 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1487). 
(2)  *  «  Erat  hic  Fredericus,  et  alter 

Varnerus  germanus  adest,  quem  misit  Aquensis 
Urbs  equidem...  » 

(Ibidem.) 


—  87  — 

avec  l'avertissement  que  le  secrétaire  Simon  avait  fait 
parvenir  au  légat  ?  Il  est  probable  qu'alors  Charles  avait 
déguisé  sa  pensée  pour  amener  Onufrius,  par  des  avis 
simulés,  à  se  retirer  en  Allemagne  ;  en  effet,  la  présence 
d'un  juge  apostolique,  aussi  bien  à  Liège  que  dans  son 
camp,  le  contrariait  vivement,  car  il  n'osait  porter  at- 
teinte à  sa  personne  inviolable  (1)  ;  mais  il  n'eût  pas  été 
fâché  d'apprendre  qu'un  malheur  était  arrivé  à  son  insu  à 
ce  négociateur  gênant. 

Un  parent  de  l'évêque  qui  servait  dans  l'armée  bour- 
guignonne, le  seigneur  d'Arguel  (2),  conduisit  les  deux 
prélats  auprès  de  Thibaut  de  Neufchâtel  et  du  Conseil  du 
duc.  Les  gens  de  la  suite  du  légat  furent  déclarés  prison- 
niers de  guerre  (3).  Onufrius  s'en  plaignit  à  l'évêque  ;  mais, 
suivant  ce  dernier,  il  était  nécessaire  que  lui-même,  aussi 

(i)  Voyez  l'introduction. 

(2)  Dominus  de  Argul  ;  Argul  est  probablement  le  même  nom  qu'Arguel, 
fief  relevant  de  la  baronnie  d'Arloy,  appartenant  à  la  famille  de  Chalons  ; 
celle-ci  jouissait  des  droits  de  souveraineté  dans  la  principauté  de  Neufchâtel 
en  Suisse.  Thibaut  de  Neufchâtel  appartenait  sans  doute  aussi  à  la  môme 
famille.  Voyez  Johan  von  Muller,  Schweizer  Geschichle,  t.  Il,  p.  604,  et 
Picot,  Statistique  de  la  Suisse,  pp.  528  et  suivantes.  —  *  Arguel  est  un 
village  du  département  du  Doubs,  à  4  ou  5  kil.  S.-O.  de  Besançon.  On  y  voit 
les  restes  d'un  château  féodal.  Dans  la  lettre  adressée  par  Mathias  Herbenus 
à  l'évêque  de  Cambrai  au  sujet  des  événements  qui  nous  occupent,  on  lit  que 
le  sr  d'Argué  (sic)  avait  épousé  une  sœur  de  Louis  de  Bourbon  (de  Ram,  p.  360). 
Ce  doit  avoir  été  une  sœur  naturelle. 

(s)  *  «  Quibus  stalim  prœfecli  duo  obviam  facti,  quorum  aller  erat  praeses 
Burgundiae,  aller  sororis  cpiscopi  vir,  intellecta  vise  causa,  vetuerunt  eos 
ulterius  progredi,  ac  stalim  in  cuslodiam  prœsidis  legatus,  episcopus  in 
affinis  sui  tabernaculum  adductus  est,  magistralus  vero  omnis  in  vincla  con- 
jectus.  »  (Piccolomini,  p.  379).  «  Quantocius  in  tam  procacem  legatus, 
comilatus  episcopo  Leodiensi,  castra  Burgundorum  noclu  prosequeretur,  a 
domino  de  Argul,  cui  soror  Borbonii  nupserat,  cum  omni  familia  sua  caplus 
est,  bonis  direptis...  »  (Herbenus,  p.  360). 


—  8S  — 

bien  que  sa  suite,  fussent  considérés  comme  prisonniers  (1). 
Onufrius  protesta  vivement  contre  ce  traitement  infligé  à 
un  personnage  revêtu  d'un  caractère  sacré  ;  mais  on  lui 
fit  entendre  qu'il  était  prudent  de  se  soumettre  à  cette 
formalité,  pour  ne  pas  s'exposer  aux  mauvais  traitements 
des  soldats,  et  il  engagea  sa  parole  d'honneur  de  ne  pas 
chercher  à  s'enfuir. 

Arguel  avait  son  campement  sur  les  deux  rives  du 
Jaar  (2).  L'évèque,  le  légat  et  leur  suite  furent  menés  dans 
le  village  le  plus  voisin,  à  environ  mille  pas  de  Lantin  (3), 
mais  non  sans  subir  de  nouvelles  avanies  :  un  gentilhomme 
savoyard  s'empara  violemment  des  objets  précieux  du 
secrétaire  d'Onufrius,  ainsi  que  des  papiers  de  son  maître, 
et  lorsque  le  légat  eut  passé  le  Jaar,  les  soldats  se  parta- 
gèrent ses  chevaux.  Arguel  et  l'évèque  l'avaient  quitté. 
Enfin,  il  fut  appelé  à  une  entrevue  avec  Thibaut  de  Neuf- 
chàtel  et  le  Conseil  ducal,  entrevue  à  laquelle  devaient 
également  assister  l'évèque  et  les  députés  de  Liège  (4). 

(1)  *  Cfr.  Ange  de  Viterbe,  col.  1458-1459. 

(2)  Hiar  ou  Hyccara.  —  *  Le  Geer(lat.  Jecora).  Voy.  p.  21,  note  3. 

—  *  «  Ast  Arges  Jecorœ  legatum  ad  flumina  ducit, 

Kineccham  (Kemexhe  ?)  et  villam  dictam,  lenloria  habebat 
Juxta  ipsam,  et  late  miles  sua  commoda  cepit.  » 
(Ange  de  Viterbe,  col.  1459). 

(s)  *  Il  est  impossible  de  préciser  quel  est  ce  village.  Lantin  étant  situé  à 
6  kilom.  du  Geer,  en  est  séparé  par  Paive.JupprellejVillers-S'-Siméon^tc.jetc. 
«  Hue  etiam  famuli  capti  ducuntur  ab  Elcbe  (Othée), 
Postquam  legatus  castris  est  ipse  receptus 
Cum  famulis,  Argis  miles  ruitomnis  in  ipsos, 
Et  prsedatur  equos  qusecumque  et  commoda  habebant.  •> 
{Ibidem). 
(•i)  *  «  Talia  jactabant  duo  cum  venere,  rogantes 
Legatus  dominus  Theobaldura  nomine  adiret 
Ductorem,  quoniam  non  ipse  relinquere  castra 


—  89  — 

Onufrius  appelait  de  tous  ses  vœux  cette  conférence  ; 
mais  Arguel  fit  naître  des  obstacles,  car  il  voulait  forcer  le 
légat,  qui  passait  pour  extrêmement  riche,  à  lui  payer  cin- 
quante mille  ducats,  et  refusait  de  céder  sa  proie  au  maré- 
chal (1).  Enfin  il  le  laissa  partir,  sous  la  conduite  d'une 
nombreuse  escorte,  pour  le  village  de  Beyrsées  (2),  où  il 
trouva  Thibaut,  l'évèque,  Humbercourt,  Hagenbach  et 
d'autres  membres  du  Conseil.  Les  députés  liégeois  y  arri- 
vèrent également.  Thibaut  adressa  d'abord  la  parole  à  Amel 
de  Velrois  :  il  désirait  apprendre  «  ce  qu'il  avait  à  lui 
exposer  avant  de  donner  l'assaut  à  la  ville  de  Liège,  qui 
devait  avoir  lieu  le  lendemain.  Ayant  entendu  dire  que  les 
Liégeois  avaient  formé  le  projet  de  l'attaquer  pendant  la 
nuit,  il  avait  mis  le  feu  à  plusieurs  villages,  afin  d'éclairer 
leur  marche.  »  Amel  répondit  avec  autant  de  prudence  que 
de  dignité  :  "  Ses  concitoyens  désirent  la  paix  ;  ils  recon- 
naissent l'évèque  et  le  légat  pour  leurs  maîtres,  et  promettent 
de  se  soumettre  à  leur  jugement  pour  le  cas  où  ils  auraient 

Tune  polerat,  quando  Lcodinis  luce  sequenti 
Kella  movere  viris  jtissus.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1459). 
(1)  *  «  Consilium  inlerca  caslris  fiebal,  et  Argi 
Dicebant  multi  :  legalus  solvere  posset 
Quinquaginta  auri  nummorum  millia  soins, 
Sed  bonus  ut  domino  tanto  sis  filius  olim, 
Quinquc  et  viginti  solvantur  millia  tantum.  » 
(Ibidem). 
(2)  *  «  Bierset,  commune  du  canton  de  Hollogno-aux-Pierres.  Arguel  lui 
rendit  trois  de  ses  serviteurs  : 

«  Verumubi  legalum  vidit  concedere  vclle, 
Et  blandis  mentem  nullis  se  posse  movere 
Vocibus,  adjunxit  très  se  permiltere  tantum 
Restitui  famulos  comités,  nec  reddere  plures. 
(Ange  de  Viterbe,  col.  1460). 

12 


—  00  — 

causé  au  duc  un  dommage  quelconque.  »  Amel  portait  le  titre 
de  maître  (1)  ;  le  maréchal  l'avertit  «  de  ne  pas  se  donner 
cette  qualification  parce  que  le  duc  Charles  avait  ordonné 
aux  Liégeois  d'abolir  toutes  les  magistratures  de  leur  ville.  » 
Se  tournant  ensuite  vers  Louis  de  Bourbon  et  Onufrius,  il 
leur  demanda  ce  qu'ils  avaient  à  dire.  Les  deux  prélats  ré- 
pondirent «  qu'ils  n'avaient  rien  à  ajouter  à  ce  qu'Amel  avait 
exprimé  si  clairement,  à  savoir  que  les  Liégeois  consentaient 
à  se  soumettre  à  tout  ce  qui  était  raisonnable.  «  L'évêque 
supplia   cependant  le    Conseil  d'épargner  cette  ville    de 
Liège  si  magnifique,  en  l'aisant  valoir  que  le  duc  pourrait  en 
obtenir  ce  qu'il  voudrait  s'il  consentait  à  ne  pas  la  mettre  à 
feu  et  à  sang.    Le  maréchal  fit  observer  que  son  maître 
s'était    déjà   mis  trois  fois  en  campagne  pour  réduire  à 
l'obéissance  les  turbulents  sujets  de  l'évêque,  et  qu'ils  ne  se 
soumettraient  pas  plus  cette  fois  que  les  autres.    Ensuite, 
s'adressant  de  nouveau  aux  députés,  il  leur  dit  «  que,  pour 
avoir  la  paix,  il  ne  pouvait  leur  conseiller  autre  chose  sinon 
de  livrer  leur  Cité  à  la  discrétion  du  duc  (2);  au  cas  contraire, 
tout  serait  décidé  le  lendemain  par  le  glaive  ;  la  ville,  après 
avoir  été  mise  au  pillage,  deviendrait  la  proie  des  flammes, 
ensevelissant  les  bourgeois  sous  ses  ruines.  Mais  tout  cela 
n'était  pas  de  nature  à  émouvoir  sa  pitié  :  ce  qui  lui  ferait 
de  la  peine,  ce  serait  de  voir  les  églises  tomber  en  ruines, 
les  objets  sacrés  livrés  à  la  profanation,  les  femmes  et  les 
enfants  égorgés.  «  Amel  répondit  avec  une  noble  audace  : 
"  Si  le  légat  et  l'évêque  l'ordonnent,  nous  nous  soumettrons 

(1)  *  Maître  à  temps  ou  bourgmestre  de  la  ville  de  Liège.  Voy.  ci-dessus 
pp.  42,  note  2,  et  57,  note  ;  et  cf.  Ampliss.  coll.,  IV,  col.   1-iGl,  note. 

(•2)  *  «  Nihilo  his  diclis  obstinata  ad  ultionem  raenspotuit  flecli.  Respondit 
tantum  liberam  sibi  in  res  atf|tie  animas  civium  velle  potestalem  pcrmitti,  nec 
<  1  ni r  1  i n 0  conditioncm  aliquam  dici.  »  (Piccoi.omtm,  p.  379). 


—  91   — 

même  à  cette  extrémité.  »  Et  Onufrius,  non  moins  fier  et 
courageux,  ajouta  «  que  l'Eglise  de  Liège,  fille  de  l'Eglise 
romaine,  ne  devait  pas  se  plier  aux  caprices  du  duc;  il  dou- 
tait grandement  qu'elle  le  fit  sans  y  être  forcée  ;  s'il  était 
investi  de  pouvoirs  plus  étendus,  il  en  dirait  davantage, 
et  le  maréchal  serait  plus  modéré  dans  son  langage.  »  Après 
ces  mots,  il  quitta  la  salle,  suivi  de  l'évêque  (i). 

Humbercourt  renouvela  ses  efforts  près  du  légat  pour 
le  persuader  d'engager  les  Liégeois  à  faire  leur  soumission 
au  duc;  mais  Onufrius  voulait  d'abord  savoir  à  quelles  con- 
ditions on  leur  accorderait  la  paix.  Humbercourt  et  le 
maréchal  lui-même  l'assurèrent  d'abord  qu'Arguel  serait 
puni  pour  les  mauvais  traitements  qu'il  lui  avait  fait  subir. 
Enfin,  les  députés  liégeois  s'engagèrent,  au  nom  de  leurs 
concitoyens,  à  se  soumettre  à  tout  ce  que  leur  ordonnerait 
le  maréchal.  Thibaut  dicta  alors  à  son  secrétaire  les  clauses 
suivantes  :  «  Amel  et  les  autres  députés  imploreront  la 
miséricorde  du  duc  ;  les  Liégeois  abandonneront  leur  ville, 
leurs  corps  et  leurs  biens  à  son  bon  plaisir.  *  Ces  conditions 
ayant  été  signées  par  les  deux  parties,  et  même  par  Onu- 
frius, un  héraut  les  porta  à  Liège. 

Arguel  voulut  reconduire  le  légat  à  son  campement;  mais 
Onufrius,  indigné,  lui  reprocha  sa  cupidité  et  ses  violences, 
et  le  menaça  du  châtiment  réservé  à  ceux  qui  portaient  la 
main  sur  un  légat  du  Saint-Siège.  Il  ordonna  à  l'évêque  de  ne 
pas  le  quitter,  et  Arguel  fut  obligé  d'emmener  seulement  les 
députés  liégeois.  Toutefois,  il  fit  encore  une  tentative  pour 
s'emparer  de  la  personne  d'Onufrius,  mais  elle  échoua  (2). 

(1)  *  Celte  entrevue  est  décrite  par  Ange  de  Viterbe, col. 1461-1462,  qui  met 
de  longs  discours  dans  la  bouche  des  orateurs.  Il  faut  renoncer  à  citer.  Cf. 
Piccolomini,  379. 

(2)  *  Voy.  Ange  de  Vlterbe,  col.  1463. 


—  92  — 

Le  légat  et  l'èvèque  cherchèrent  alors  un  refuge  dans  un 
château-fort  appelé  Foux  (1),  situé  à  mille  pas  de  là,  sur  la 
Meuse,  au  nord  de  Liège.  C'était  en  cet  endroit  que  Hum- 
bercourt  et  Jean  de  Berger  avaient  établi  leur  camp,  avec 
deux  mille  hommes  de  la  Cité  et  du  pays  de  Liège  qui,  se 
mettant  en  opposition  avec  leurs  concitoyens,  s'étaient  dès 
le  principe  déclarés  pour  1  evêque. 

Comme  le  maréchal  ne  recevait  de  la  Cité  aucune  réponse 
aux  conditions  qu'il  avait  faites,  il  fit,  le  lendemain  (2), 
avancer  ses  troupes  pour  mettre  le  siège  devant  la  ville. 
Onufrius,  qui  craignait  de  rester  sans  escorte  à  Foux, 
se  décida  à  suivre  l'armée  (3).  Celle-ci  formait  un  demi-cercle 
composé  de  trois  lignes.  Dans  la  première  se  trouvaient 
les  lansquenets  et  les  archers  à  pieds  (lancearii  et  balis- 
tarii  pedites),  dans  la  seconde  les  archers  à  cheval 
(architenentes)  —  dont  les  petits  chevaux  étaient  dressés  à 
s'arrêter  dès  que  les  cavaliers  descendaient  pour  combattre; 
—la  troisième  comptait  tous  les  autres  soldats.  Les  chefs  et 
les  porte-drapeaux  se  tenaient  au  centre.  Il  y  avait  en  tout 
vingt-deux  bataillons  (agmi?ia),  forts  chacun  de  deux  mille 
hommes  à  pied  et  à  cheval.  Dix-huit  cents  chariots,  attelés 

(1)  *  Eooz,  à  3  kilora.  de  Bierset. 
(i)  *  C'est-à-dire  le  24  octobre. 

(3)  *  "  Legatus,  quamvis  potuisset  tutus  abire, 

Se  tamen  huic  genti  comitem  prsebere  volebal, 

Casibus  uttanlis  populos  paler  ipse  labantes 

Eriperel,  possetque  segris  conferre  salutem. 

Sed  quoniam  sequilur  non  agmina  passibus  œquis, 

Ipse  sibi  jungi  socios  ex  agmine  poscit, 

Qui  post  extremas  ducanl  ad  bella  cohortes, 

Eloquio  sperans  aniraum  mollire  furentis 

Ipseducis,  placidœ  et  conjungere  fœdera  pacis.  Etc.  - 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1464-4465). 


—  93  — 

de  douze  mille  chevaux,  voituraient  les  vivres,  l'artillerie 
et  autres  machines  de  guerre.  Telle  était  la  formidable 
armée  qui,  sous  le  commandement  de  Thibaut  de  Neufchà- 
tel,  s'avançait  sur  Liège  (1). 

Tout  à  coup  arriva  un  courrier  de  Charles  ordonnant 
au  maréchal  de  revenir  sur  ses  pas  et  de  lui  envoyer  Hum- 
bercourt  et  l'évêque.  Le  duc  et  le  roi  Louis  se  trouvaient 
alors  dans  un  village  voisin  nommé  Momalie  (2).  Chacun 
rentra  donc  dans  son  ancien  campement,  et  Humbercourt, 
avec  Berger,  le  légat  et  l'évêque,  retournèrent  à  Foux. 
Avant  que  Humbercourt  et  l'évêque  se  fussent  mis  en  route 
pour  aller  rejoindre  le  duc  dans  ses  quartiers,  le  héraut  qui 
avait  été  expédié  vers  la  Cité  revint  avec  la  réponse  des 
Liégeois  à  Louis  de  Bourbon  et  au  légat  :  »  Le  maréchal 
était  autorisé  à  pénétrer  librement  dans  la  ville  avec  huit 
cents  soldats,  pendant  que  l'évêque  et  Onufrius  s'y  ren- 
draient aussi  pour  traiter  des  conditions  de  la  paix  ;  mais 

(1)  *  -  Burgundus  ductor  habebat 

Quinquaginla  hominum  Theobaldus  milita  :  secum 
Ibat  tota  phalanx,  et  cogebatur  in  arclura. 
Uastalos  pedites,  etc.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1464). 

(2)  *  Momalie,  commune  de  la  province  de  Liège,  à  9  kilom.  de  Waremme. 
Suivant  Adrien,  col.  1338,  Louis  X!  et  Charles  étaient  à  Fallais,  village  à  12 
kilom.  de  Waremme  :  «  Illa  die  (feria  lertia  =  25  octobre)  venit  dux  cum  rege 
Francis?  post  meridiem  in  Falais,  et  occurrit  ei  dominus  de  Humbercourt... 
lllo  sero  comcdit  rex  ad  unam  mensam,  dux  ad  aliam  mensam  ;  dominus  Leo- 
diensis  cum  archiepiscopo,  fratre  suo,  cl  duce  Borbonise,  et  aliis  fratribus  et 
sororibus  suis,  comedit  in  lertia  mensa  ;  et  dominus  de  Humbercourt  fuit 
ullerius  in  eadem  mensa,  ex  cujus  relalu  isla  scripta  sunl.  »  Selon  M.  Hen- 
rard,  Annales  citées,  p.  662,  Charles  arriva  à  Namur  le  21  octobre  ;  il  quitta 
cette  ville  le  24,  passa  deux  jours  à  Fallais,  et  se  rendit  le  26  à  Momalie  où  il 
apprit  l'escarmouche  de  Vivegnis  ;  il  monta  aussitôt  a  cheval,  et  le  27  au  soir 
il  occupait  les  hauteurs  de  Stc  Walburge. 


—  94  — 

dans  tous  les  cas,  ces  deux  derniers  devaient  tenir  leur 
parole  et  revenir  dans  la  Cité.  ->  Louis,  sans  tenir  compte 
de  cette  réponse,  se  hâta  de  partir  pour  se  rendre  auprès 
du  duc. 

L'époque  approchait  où  Humbercourt,  d'après  l'engage- 
ment qu'il  en  avait  pris,  devait  se  remettre  sous  la  garde 
de  Jean  de  Wilde  au  château  de  Montfort.  Il  s'excusa  par 
écrit  de  ne  pas  remplir  sa  promesse,  sous  prétexte  »  qu'en 
restant  à  l'armée,  il  serait  mieux  à  même  d'agir  en  faveur 
des  Liégeois,  et  qu'il  voulait  y  consacrer  tous  ses  efforts. 
Il  conseillait,  du  reste,  aux  Liégeois,  d'ouvrir  leurs  portes 
aux  Bourguignons.  » 

Onufrius,  à  l'insu  de  l'évèque,  envoya  au  duc  un  héraut 
porteur  des  armes  papales,  avec  mission  de  lui  remettre 
une  lettre  datée  du  25  octobre,  dans  laquelle  il  lui  faisait 
savoir  "qu'il  avait  quitté  Liège  d'après  ses  conseils,  et  que. 
néanmoins,  le  seigneur  d'Arguel  l'avait  retenu  prisonnier 
et  traité  comme  tel  ;  que  si  c'était  par  son  ordre,  il  devait 
se  soumettre,  mais  qu'il  l'engageait  à  bien  réfléchir  sur  la 
gravité  de  cet  acte,  car  il  était  de  son  devoir  de  protéger 
l'honneur  du  Saint-Siège  et  de  son  légat  ;  qu'enfin,  il  faisait 
des  vœux  pour  le  succès  de  ses  armes  contre  les  rebelles, 
en  sauvegardant,  toutefois,  les  intérêts  de  l'Eglise,  de  la 
ville  de  Liège,  et  ceux  des  bourgeois  innocents.  » 

Pendant  la  nuit,  les  postes  avancés  firent  savoir  que,  à 
la  faveur  des  ténèbres,  huit  mille  fantassins  liégeois  se  diri- 
geaient sur  Huy  en  longeant  la  Meuse.  Onufrius,  dont  les 
lettres  avaient  fait  connaître  le  lieu  de  retraite  ainsi  que 
celui  de  l'évèque,  supposait  que  cette  expédition,  quoique 
faite,  semblait-il,  dans  une  direction  toute  opposée,  avait 
pour  point  de  mire  le  château  de  Foux.  Il  eut  beaucoup  de 
peine   à  persuader  aux  chefs  bourguignons   que   c'était 


—  95  — 

une  ruse  des  Liégeois.  Ceux-ci  arrivèrent,  en  effet,  à 
minuit,  au  nombre  de  dix  mille,  et  exigèrent  qu'on  leur 
remît  le  légat  et  l'évêque,  »  qui,  n'ayant  quitté  Liège 
que  pour  négocier  la  paix,  étaient  retenus  contre  toute 
justice  ;  >»  ils  demandèrent  aussi  que  Humbercourt,  obéis- 
sant à  son  serment,  se  constituât  prisonnier  à  l'époque  et 
au  lieu  qui  avaient  été  fixés  (i).  Les  défenseurs  du  camp 
sortirent  à  la  hâte  pour  combattre  les  arrivants  ;  mais 
tous  étaient  loin  d'avoir  la  même  ardeur,  car  la  discorde 
régnait  entre  les  Bourguignons  et  les  Liégeois  partisans 
de  l'évêque.  Les  premiers  ayant,  dans  l'obscurité,  jeté  à 
quelques-uns  de  ceux-ci  le  cri  :  Qui  vive  ?  les  Liégeois 
se  contentèrent  de  répondre  :  Bom,  boni,  boni  (2)  /  ce  qui 
fit  croire  aux  Bourguignons  qu'ils  étaient  d'accord  avec 
leurs  compatriotes  ;  aussi  leur  demandèrent-ils  de  se 
retirer,  ce  que  les  Liégeois  eussent  fait  volontiers  si  leur 
troupe  avait  été  plus  nombreuse.  Cependant ,  Berger 
réussit  à  apaiser  ce  conflit  et  à  les  mener  ensemble  au 
combat.  Les  Liégeois,  s'étant  aperçu  que  l'armée  était 
concentrée,  se  retirèrent,  à  la  grande  satisfaction  d'Onu- 
frius  qui,  dans  cette  position  fausse  et  dangereuse,  n'était 
pas  sans  appréhension. 

(1)  *  «  Sic  liber  factus  legatus  rellulil  illis  : 

.lam  luce  hesterna,  cum  prima  crepuscula  noctis, 
Exivisse  hominum  Legiorum  raillia  dena, 
Alque  Hoyum  peliisse  adverso  flumine  Mosa? 
Fa  ma  fuit,  eic.  « 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1463). 

(î)  *  «  Interea  legatus  fuerat  qui  plurimus  exul 

Junclus  Burgundis,  partes  ducis  alque  seculus, 
Dum  Burgunda  phalanx  poscit  :  Quis  vivat  ?  ineple 
Bourbon  respondit  :  visus  sic  prodilor  esse  est, 
Alque  urbi  Legiae  et  palrise  prabere  favorem.  » 
(Ange  de  Viterbe,  col    1464). 


—  96  — 

Quelque  temps  après,  Humbercourt  et  Louis  de  Bourbon 
revinrent  du  camp  du  duc  avec  une  réponse  à  la  lettre 
d'Onufrius  :  Charles  «  désapprouvait  la  conduite  d'Arguel 
qui  avait  agi  contre  sa  volonté  ;  rien  de  tout  cela  ne  serait 
arrivé  si  le  légat,  suivant  ses  conseils,  s'était  éloigné  de 
l'armée  pour  se  retirer  en  Allemagne;  il  devait  se  considérer 
comme  libre  et  pouvait  se  rendre  où  il  voulait,  car  le 
maréchal  avait  reçu  Tordre  de  lui  restituer  ses  gens,  ses 
chevaux  et  ses  bagages  (i)  ;  il  lui  était  impossible  de  lui 
accorder  une  entrevue  ,  car  son  temps  et  ses  pensées 
étaient  entièrement  absorbés  par  les  préparatifs  du  siège 
de  Liège,  dont  il  comptait  se  rendre  maître  dans  six  ou 
huit  jours  ;  enfin,  il  lui  conseillait  de  rester  à  Foux  jus- 
qu'au retour  de  sa  suite,  envoyée  par  Arguel  en  Bourgogne." 

L'armée  bourguignonne  reprit  son  mouvement  en  avant 
dans  le  même  ordre  que  la  première  fois.  Les  Liégeois 
s'étaient  mis  en  mesure  pour  recevoir  le  choc  et  Onufrius 
était  loin  d'être  rassuré  sur  son  sort,  même  dans  le  cas 
où  il  suivrait  l'armée.  Malgré  le  conseil  qu'on  lui  avait 
donné  d'attendre  le  retour  de  ses  domestiques,  ou  de  se 
rendre  à  Saint-Trond  pour  y  avoir  une  entrevue  avec  le 
duc,  il  chercha  à  se  retirer  dans  un  endroit  sûr.  Comme 
on  lui  faisait  observer  qu'on  ne  pouvait  se  priver  de  soldats 
pour  lui  former  une  escorte,  il  répliqua  "  que,  n'étant  plus 
prisonnier,  il  n'avait  besoin  pour  gardes  que  de  deux 
hérauts,  et  que  ses  gens  sauraient  bien  le  rejoindre  plus 
tard.  On  lui  donna  en  conséquence  deux  hérauts  revêtus, 

(0  '  «  Ubi  sunt  ad  caslra  reversi, 

Exponunt  doluisse  dncem  quod  ceperat  Arges 
Legatum,  atque  ipsi,  si  qua  olim  ablata  fuerunt 
Reslitui  jussisseaiunt.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  U63). 


—  97  — 

l'un  de  la  livrée  du  roi,  l'autre  de  celle  du  duc,  et  portant  en 
main  des  bâtons  blancs  ;  ce  fut  sous  leur  conduite  qu'il 
gagna  Maestricht.  Alors  seulement  s'évanouit  toute  crainte 
des  Bourguignons  qui  appréhendaient  de  le  voir  rentrer  à 
Liège,  où,  par  dépit,  il  aurait  pu  exciter  davantage  encore 
le  peuple  à  la  vengeance  (1).  Par  suite  de  méfiance  ou 
de  peur  exagérée,  c'est  avec  peine  qu'on  lui  ouvrit,  ainsi 
qu'à  ses  hérauts,  les  portes  de  Maestricht,  où  le  bruit  de 
sa  mort  était  répandu  depuis  trois  jours.  Il  était  exténué  ; 
la  pluie,  la  neige,  le  froid,  la  faim  l'avaient  fait  cruellement 
souffrir.  Mais  les  chanoines  de  Saint-Servais  l'accueillirent 
avec  la  plus  grande  bienveillance  et  lui  fournirent  des  vête- 
ments et  de  la  nourriture  (2). 

Sur  ces  entrefaites,  arriva  à  Maestricht  la  nouvelle  que 
les  Liégeois  avaient  remporté  une  grande  victoire,  et  la 
terreur  se  répandit  aussitôt  dans  la  ville  (3). 

Immédiatement  après  le  départ  d'Onufrius,  l'armée  bour- 
guignonne fut  divisée  en  plusieurs  corps  de  bataille  qui 
devaient  respectivement  attaquer  le  côté  de  la  ville  qu'ils 
avaient  en    face  d'eux   (4).    L'évêque,    Humbercourt,    de 

(1)  *  ><  Mirantur  plures  nimium  quo  tempore  pergat, 

Et  Tungrim  inulti  credunt  concedere,  raulti 
Clam  Legias  portas  subiturutn  nocte  putabanl, 
Scilicet  armaret  Legiorum  peclora  bello, 
Rursus  et  ulcisci  cuperet  quicumquepararunt 
Insidias,  ipsum  et  captum  voluere  teneri.  » 

(Ange  de  Viterbe,  col.  1465). 

(2)  '  «  Ast  is  Trajeclum  per  multa  pericula  venil  ; 

Quatuor  et  famuli,  reliquosjam  detinet  Arges 
Captivos,  dominum  cum  hyraldis  forte  sequuntur.  Etc.  » 
(Ange  de  Viterbe,  col.  1465-4466). 
(s)  *  Ce  bruit,  malheureusement,  était  faux. 

(4)  *  «  Feria  quarla  (26  octobre)  venit  pars  exercitus  supra  montem 
S.  Walburgis,  et  stetit  ibi  quasi  per  duas  horas,  expectando  alios  nescientes 

13 


—  98  — 

Berger  et  quelques  seigneurs  allemands  qui  servaient  dans 
l'armée  du  duc,  se  trouvaient  en  aval  de  la  Meuse,  près 
de  la  porte  Saint-Léonard.  D'après  les  ordres  de  Charles, 
c'était  Louis  de  Bourbon  qui,  le  premier,  devait  livrer  un 
assaut  aux  remparts  ;  il  voulait,  par  là,  faire  croire  que 
cette  guerre  était  juste,  que  les  Liégeois  s'étaient  révoltés 
contre  leur  seigneur,  et  qu'il  n'agissait  que  de  concert 
avec  lui.  L'évêque  souscrivit  à  cet  arrangement  qui,  plus 
tard,  lui  valut  de  la  part  du  légat,  de  légitimes  reproches  : 
«  Les  Liégeois,  lui  dit-il  alors,  l'avaient  laissé  partir  pour 
négocier  la  paix  et  non  pour  changer  sa  crosse  en  une  épée 
tirée  contre  son  propre  peuple.  «  Le  faible  évêque  donna 
pour  toute  excuse  qu'il  n'avait  pu  faire  autrement.  Il  est 
certain  que  Charles,  afin  d'éviter  des  difficultés  avec  la 
cour  de  Rome,  chercha,  de  toute  manière,  à  donner  à  la 
guerre  contre  Liège  une  apparence  de  légalité.  C'est  ainsi 
que  pour  forcer  Louis  XI  à  prendre  part  à  cette  expédition, 
il  avait  invoqué  la  parenté  du  monarque  avec  Louis  de 
Bourbon,  en  lui  disant  que  la  cause  de  l'un  devait  être 
défendue  par  l'autre.  Le  roi  se  servit  lui-même  de  ce 
prétexte  hypocrite  pour  répondre  à  son  fidèle  général 
Dammartin  qui,  considérant  l'alliance  de  Louis  XI  avec  le 
duc  comme  imposée  de  force  et  son  maître  comme  prison- 
nier, lui  offrait  de  le  délivrer,  par  les  armes,  des  mains  des 
Bourguignons  (1). 
Pendant  quelques  heures,  les  Liégeois,  retranchés  der- 

quo  diverlerent,  quia  major  pars  volebat  descendere  ad  S.  Margaretam  et  ad 
S.  Lauremium,  limens  pertransire  civilatem,  ne  Leodienses  prœcluderent  viam. 
Dorainus  vero  de  Humbercourt,  volens  servareS.  Laurentium,  suasit  ire  versus 
S.  Leonardum,  sciens  ducem  cum  rege  in  crastino  advenlurum.  »  (Adrien, 
col.  1338-1339). 

(i)  Philippe  de  Communes,  I.  XI,  pp.  486  et  suiv.,  cl  490, 


—  99  — 

rière  les  murs  à  moitié  détruits  de  leur  ville,  et  qu'ils 
n'avaient  pas  encore  eu  le  temps  de  réparer,  se  défendirent 
vaillamment. 

Vers  trois  heures,  ils  firent  une  sortie.  Près  de  la  porte 
Saint-Léonard,  à  gauche  vers  le  Sud,  coule  la  Meuse  ;  mais 
à  droite,  vers  le  Nord,  s'élève  une  montagne  escarpée, 
dont  la  partie  surplombant  la  ville  était  garnie  d'une 
muraille  qui  empêchait  celle-ci  d'être  dominée  par  l'ennemi. 
Cette  fortification,  suivant  la  pente  de  la  montagne, 
descendait  vers  la  porte  de  Saint-Léonard  où  elle  allait 
rejoindre  la  Meuse.  La  route  de  Liège  au  village  d'Astal  (1), 
situé  à  quatre  mille  pas  de  là,  était  resserrée  entre  le  fleuve 
et  les  rochers,  et  se  trouvait  en  quelques  endroits,  si 
étroite  que  deux  voitures  n'auraient  pu  que  difficilement 
y  passer  de  front.  Elle  était  bordée  d'une  foule  de  petites 
maisons,  dont  la  plupart  étaient  déjà  occupées  par  les 
Bourguignons.  Pendant  la  nuit,  les  Liégeois  envahirent 
ces  demeures  en  criant  :  Vive  Liège  et  la  verdure  (2)  / 
car  depuis  qu'ils  avaient  constaté  que  Louis  XI  était  venu 
en  ennemi  et  non  en  négociateur  de  la  paix,  ils  avaient 
supprimé  son  nom  dans  leur  cri  de  guerre.  Tout  d'abord 
les  Bourguignons,  surpris,  furent  mis  en  déroute  (3)  ;  mais 

(«)  *  Herslal,  aux  portes  de  Liège. 

(î)  C'est-à-dire  les  compagnons  de  la  Verte  tente,  proscrits  Liégeois  qui 
avaient  cherché  un  refuge  dans  les  forêts  des  Ardennes  et  étaient  rentrés 
dans  la  Cité. 

(5)  *  «  Illo  vespere  factus  est  gravis  comflictus  ad  portam  S.  Leonardi,  et 
infra  unam  horam  obtinuerunt  Leodienses  duo  vexilla  de  ipsis,  duravitque 
conflictus  quasi  per  très  horas.  Circa  quartam  horam  de  mane  exiit  Johannes 
de  Ville  per  portam  de  Vivengnis,  cum  illis  de  Rivagio  et  de  Franchimont,  et 
invasit  exercitum,  et  tanta  csede  percussit,  quod  ultra  duo  millia  sagitlarioruni 
acceperunt  fugam...  Dominus  de  Humbercourt  traclus  inpede,  et  mulli  nobiles 
vulnerati,  quia  tenebrœ  erant,  et  ignorabant  extranei  a  quibus  se  custodere 
debebant.  »  (Adrien,  col.  1339). 


—  100  — 

les  chefs  ayant  réussi  à  réunir  leurs  troupes,  il  s'engagea 
un  combat  opiniâtre  qui  dura  jusqu'au  jour.  L'artillerie 
put  alors  balayer  les  rues  du  faubourg,  et  les  Liégeois, 
repoussés,  furent  obligés  de  fermer  leurs  portes  (1)  ;  deux 
mille  morts  et  autant  de  blessés  jonchaient  le  lieu  du 
combat.  Parmi  ceux  qui  avaient  succombé  dans  la  lutte 
ou  s'étaient  noyés  dans  le  fleuve,  figuraient  quinze  cents 
soldats  bourguignons  ;  mais  pour  que  cette  perte  ne  jetât 
pas  l'effroi  dans  l'armée,  leurs  cadavres  furent  précipités 
dans  la  Meuse  avant  que  le  soleil  n'éclairât  le  champ  de 
bataille  ;  au  contraire,  les  corps  des  Liégeois  restèrent 
couchés  tout  le  long  de  la  route,  où  ils  furent  écrasés 
sous  les  sabots  des  chevaux  et  sous  les  roues  des  voitures. 
Parmi  les  Liégeois  mortellement  blessés  se  trouvait  Jean 
de  Wilde  ;  épuisé  par  la  perte  de  son  sang,  il  se  cacha  sous 
un  tas  de  cadavres  amoncelés  près  de  la  porte  et  feignit 
d'être  mort.  Lorsque  le  combat  fut  fini,  il  se  traîna  sur  les 
pieds  et  les  mains  jusque  dans  la  ville,  où  il  mourut  le 
lendemain.  Ses  concitoyens  lui  firent  des  obsèques  dignes 
de  lui  (2).  Arguel,  Berger  et  Humbercourt  avaient  aussi 
reçu  des  blessures  ;  les  deux  premiers  furent  transportés 
à  Maestricht,  mais  Humbercourt  resta  dans  le  camp, 
auprès  de  l'évêque. 

(i)  Philippe  de  Commines  lui-même,  t.  XI,  p.  494,  attribue  à  Thibaut  de 
Neufchâtel  l'infériorité  des  Bourguignons  dans  ce  combat.  Dans  leur  impa- 
tience du  pillage,  ils  n'avaient  pas  voulu  attendre  l'arrivée  du  duc  et  du  roi  ; 
et  c'est  ainsi  que  leurs  troupes  en  désordre  furent  surprises  par  les  Liégeois, 
auxquels  il  était  facile  de  sortir  de  leurs  murs  à  moitié  détruits.  —  *  «  Illi  de 
Leodio  incenderunt  unam  domum,  et  sic  adversarii  se  defendere  viso  lumine 
cœperunt,et  dominum  Johannem  de  Ville  cum  suis  retrocedere  compulerunt. 
Qui  invenit  portam  clausam  et  ascendit  per  scalam...  etc.  »  (Adrien,  col.  1339). 

(*)  *  Voy.  dans  le  Bull,  de  l'Inst.  archéol.  liég.,  t.  Xllf,  p.  20,  une 
longue  note  de  M.  de  Chestret  sur  ce  point. 


—  101  — 

Entretemps,  Onufrius  était  rentré  en  possession  de  la 
presque  totalité  de  ses  bagages  et  tous  ses  gens  étaient 
venus  le  rejoindre  à  Maestricht. 

Cependant  Charles  le  Téméraire  n'était  pas  encore  arrivé 
avec  son  armée  et  son  royal  prisonnier.  La  perte  que  ses 
troupes  venaient  d'essuyer  ne  laissait  pas  de  l'inquiéter  et 
il  cherchait  à  la  cacher  à  Louis  XI  qui,  de  son  côté,  tâchait 
de  faire  bonne  contenance.  Il  est  vrai  que  les  murailles  de 
Liège  étaient  à  moitié  ruinées,  qu'elles  n'étaient  défendues 
par  aucune  pièce  d'artillerie  (1),  et  que  les  fossés  qui 
auraient  dû  entourer  la  ville  n'avaient  pu  être  creusés 
partout  à  cause  de  la  nature  rocailleuse  du  sol.  Mais,  ainsi 
que  le  fait  remarquer  Philippe  de  Commines,  ces  rochers 
mêmes,  les  nombreux  accidents  du  terrain,  la  longue  et 
étroite  vallée  dans  laquelle  s'allonge  la  ville  :  toutes  ces 
circonstances  jointes  à  la  saison  avancée,  rendaient  extrê- 
mement périlleuse  l'entreprise  d'un  siège  en  règle.  On  peut 
donc  admettre  comme  très  plausible  cette  assertion  d'Onu- 
frius  que,  pendant  une  suspension  d'armes  de  deux  jours, 
on  travailla  encore  à  la  paix  par  l'intermédiaire  de  Louis 
de  Bourbon.  Charles  lui-même  en  avait  peut-être  dicté  les 
conditions  :  "  le  duc  entrerait  librement  dans  la  Cité  ; 
l'évèque  veillerait  à  ce  que  la  ville  et  les  habitants 
innocents  de  toute  participation  dans  la  guerre,  fussent 
épargnés  ;  les  coupables  seuls  seraient  abandonnés  à  la 

(1)  On  peut,  à  bon  droit,  s'étonner  de  ce  que  les  Liégeois  fussent  si  peu  pré- 
parés pour  cette  dernière  guerre.  Ils  ne  manquaient  ni  de  fer  que  leur  procu- 
raient les  Ardennes,  ni  d'armuriers  pour  le  forger,  ni  d'hommes  pour  porter 
les  armes.  Et  cependant  les  Bourguignons  trouvèrent  les  murailles  en  ruines 
et  constatèrent  l'absence  de  toute  artillerie.  L'espoir  qu'ils  nourrissaient  de 
conclure  la  paix,  la  confiance  qu'ils  avaient  dans  les  négociations  d'Onufrius 
et  la  persuasion  où  ils  étaient  que  le  roi  de  France  viendrait  à  leur  secours, 
peuvent  contribuer  à  expliquer  cette  circonstance. 


—  102  — 

merci  du  vainqueur.  »  Mais  cette  dernière  clause  fit 
repousser  toute  capitulation  ;  les  coupables,  en  effet, 
n'étaient-ce  pas  précisément  tous  les  hommes  en  état  de 
porter  les  armes  et  ces  compagnons  de  la  Verte  tente 
qui,  le  glaive  en  main,  faisaient  l'opinion  publique  ? 

Dans  cette  extrémité,  les  Liégeois  conçurent  une  entre- 
prise aussi  audacieuse  que  désespérée  :  ils  formèrent  le 
projet  de  tuer  ou  d'enlever,  par  surprise,  Charles  et  Louis, 
au  milieu  même  de  leur  camp  qui,  d'après  leurs  informa- 
tions, était  établi  dans  le  village  de  Noubruer  (1),  à  quinze 
cents  pas  de  Liège  (2).  Lorsqu'on  fut  assuré  que  les 
Bourguignons  dormaient,  une  troupe  de  mille  hommes  à 
pied,  au  nombre  desquels  se  trouvaient  six  à  sept  cents 
campagnards  du  pays  montagneux  de  Franchimont.  con- 
sidérés comme  l'élite  des  milices  de  la  ville,  se  mit  en 
marche.  Comme  ils  devaient  suivre  un  défilé,  on  envoya 
en  avant,  pour  épier  l'ennemi,  dix  hommes  parlant  le 
dialecte  bourguignon,  qui  furent  conduits  par  des  soldats 
de  la  garde  même  du  roi  et  du  duc,  jusqu'au  quartier  des 
princes.  Là,  ils  se  mirent  à  causer  avec  des  vivandières 
assises  autour  d'un  feu,  tandis  que  tout  le  camp  était 
plongé  dans  le  sommeil,  et  firent  croire  qu'ils  venaient 
d'être  relevés  de  faction.  Mais  deux  d'entre  eux  s'étant 
éloignés  pour  donner  à  leurs  compagnons  le  signal  convenu, 
les  femmes  se  doutèrent  d'une  trahison  et  se  communi- 

(1)  *  Cela  ne  peut  être  que  St0  Walburge. 

(2)  *  «  Feria  quinta  (27  octobre),  circa  priraam  horam,  venit  dominus  dux 
cum  rege  Francise  et  magno  exercitu  circa  S.  Walburgem  ;  tune  Leodienses 
incenderunt  vicum  S.  Margarelse.  «  (Adrien,  col.  1339  ).  «  Igitur  admoto  ad 
urbem  exercilu  bipartito  copias  dividit,  ac  colle  occupato  qui  Valburgensi 
porlsc  proximus  erat,  suam  et  régis  stationem  eodem  in  loco  constituit.  Ad 
alteram  autem  ac  longe  diversam  civitatis  partem,  Philippum  Sabaudiensem 
cum  reliquis  mittit.  »  (Piccolomini,  p.  380). 


—  103  — 

quèrent  leurs  soupçons  à  voix  basse.  Les  Liégeois,  qui  s'en 
aperçurent,  se  précipitèrent  sur  elles  pour  les  empêcher  de 
répandre  l'alarme;  mais  l'une  d'elles  parvint  à  se  sauver  et, 
se  jetant  dans  un  fossé  plein  d'eau,  se  mit  à  crier  :  «  Aux 
armes  !  Les  Liégeois  sont  là  !  »  A  ces  cris,  la  garde  du 
roi  et  du  duc,  forte  de  quinze  cents  hommes,  s'éveille  et 
arrête  les  Liégeois  qui  déjà  couraient  en  avant  et  étaient 
sur  le  point  d'enfoncer  les  portes  du  logis  des  deux  princes; 
ceux-ci  se  sauvèrent  à  la  hâte  par  une  issue  derrière  la 
maison.  Après  avoir  tué  douze  hommes  et  blessé  deux  cents 
autres,  les  Liégeois  durent  opérer  leur  retraite  (1). 

Charles  le  Téméraire,  effrayé  du  danger  qu'il  avait  couru, 
fit  le  vœu  d'accomplir  à  pied  le  pèlerinage  de  la  Sainte 
Vierge  de  Boulogne,  ou  de  parcourir  une  distance  de 
cinquante  lieues. 

Le  30  octobre,  la  paix  fut  de  nouveau  offerte  aux 
Liégeois,  aux  mêmes  conditions  que  précédemment,  sauf 
que  les  fauteurs  des  troubles  en  étaient  exclus  ;  mais 
ces  propositions  ne  paraissent  avoir  été  faites  que  pour 

(i)  Philippe  de  Commines  raconte  ce  fait  d'armes  avec  des  détails  quelque 
peu  différents.  —  *  C'est  dans  la  nuit  du  29  au  30  octobre  que  cette  entreprise 
eut  lieu.  Les  Liégeois  étaient  conduits  par  Gosuin  de  Slrailhe  et  Vincent  de 
Buren.  Cfr.  les  Annales  de  VAcad.  d'archéol.  de  Belg.,  I.  c,  pp.  66o  à  668. 
«  Illo  sero  (29  octobre)  exivit  Gocs  de  Slrailhe  per  valles  monlium,  eu  m  CCC 
sociis,  et  pervenit  a  rétro  usque  ad  tentorium  ducis,  et  in  ostio  domus  inter- 
fecerunt  servitorcm  ducis,  et  incenderunt  tentorium  ducis  etc.  »  (Adrien,  col. 
1341).  *  Ecce  egressi  ex  Leodio  per  porlam  S.  Margarelse  non  minus  trecenti 
viri...  »  (Jean  de  Looz,  dans  de  Ram,  p. 60).  Cf.  Piccolomini,  ibid.,  p.  380. 
La  Gazelle  de  Liège  du  23-24  mars  1878  contient  un  article  tendant  à  prou- 
ver, et  avec  raison,  que  ce  ne  furent  pas  uniquement  des  Franchimontois,  mais 
aussi  et  surtout  des  Liégeois  qui  tentèrent  cet  audacieux  et  héroïque  coup  de 
main.  Bouille,  t.  Il,  p.  339,  nous  apprend  qu'en  1556  les  Franchimontois 
reçurent  le  droit  de  bourgeoisie  en  récompense  de  la  promptitude  avec  laquelle, 
de  temps  immémorial,  ils  élaient  venus  garder  la  Cité. 


—   104  — 

endormir  leur  vigilance,  car,  dans  ce  moment  même,  on 
discutait,  dans  le  camp  bourguignon,  le  projet  d'un  assaut 
général.  Louis  XI  le  déconseilla  et  fit  naître  par  cet  avis 
des  soupçons  dans  l'esprit  de  Charles  (1).  Ce  fut  Humber- 
court  qui  proposa  l'attaque,  accomplissant  ainsi  (2)  l'enga- 
gement d'honneur  qu'il  avait  pris.  Il  savait  que  les  Liégeois 
veillaient  la  nuit  et  dormaient  le  jour  De  plus,  c'était  un 
dimanche,  et  les  bourgeois,  affaiblis  par  de  fréquentes 
sorties,  épuisés  par  les  fatigues  des  huit  derniers  jours, 
étaient  prosternés  devant  les  autels  ou  étaient  à  table  (3). 
Entre  9  et  10  heures  du  matin,  un  boulet  tomba  tout  à 
coup  dans  la  Cité.  C'était  le  signal.  Au  même  instant,  les 
Bourguignons  coururent  à  l'assaut  de  divers  côtés  à  la 
fois.  Seule,  une  petite  troupe  de  Liégeois  opposa  quelque 
résistance  à  la  porte  Saint-Léonard  ;  mais  les  ennemis, 
beaucoup  plus  nombreux,  la  refoulèrent  clans  l'intérieur 
de  la  ville. 

Les  chefs  bourguignons,  qui  étaient  :  le  bâtard  de  Bour- 
gogne, fils  naturel  de  Philippe  le  Bon,  le  seigneur  de 
Ravenstein  ,  frère  du  duc  de  Clèves  et  cousin  du  duc 
Charles ,  Thibaut,  maréchal  de  Bourgogne  et  premier 
lieutenant  du  duc  dans  cette  expédition  ,  Philippe  de 
Savoie  ,  Humbercourt  et  le  porte-drapeau  du  seigneur 
d'Arguel,  en  l'absence  de  ce  capitaine  lui-même,  entrèrent 
tous  dans  la  Cité,  égorgèrent  les  femmes  et  les  enfants,  et 
dispersèrent  les  habitants.  La  plupart  se  réfugièrent  dans 
les  églises  et  furent  massacrés  au  pied  des  autels  ;  beau- 
coup d'autres  se  cachèrent  dans  leurs  maisons.  Dans  cette 

(1)  Philippe  de  Commines,  t.  XI,  p.  506. 
(â)  Dérisoirement  ? 

(r,)  Au  moins  les  Bourguignons  trouvèrent-ils  les   tables  servies  lorsqu'ils 
entrèrent  dans  la  ville.  —  *  Cf.  Adrien,  col.  1341  et  suiv. 


—  105  — 

horrible  boucherie,  les  paisibles  bourgeois  tombaient  sans 
défense  sous  le  glaive  des  vainqueurs.  En  effet,  Vincent 
de  Buren,  les  frères  Stralen,  une  bonne  partie  des  nobles 
et  des  bourgeois,  huit  cents  cavaliers  et  dix  mille  fantassins, 
aussitôt  qu'ils  surent  que  les  Bourguignons  étaient  maîtres 
de  la  ville,  passèrent  la  Meuse  sur  le  pont  et  s'enfuirent 
dans  les  Ardennes  ;  quelques-uns  allèrent  jusqu'à  Maizières. 
La  ville  fut  ensuite  livrée  au  pillage,  quartier  par  quartier, 
puis  on  y  mit  le  feu.  On  vit  le  roi  Louis  XI,  portant  à  son 
chapeau  la  croix  de  saint  André  que  les  Bourguignons 
arboraient  en  temps  de  guerre,  à  cheval  au  milieu  du 
Marché,  l'épée  à  la  main  et  le  bras  étendu,  s'écrier  à 
haute  voix... 


Ici  se  termine  la  relation  cl'Onufrius  —  car  les  dernières 
feuilles  de  son  manuscrit  manquent,  —  et  force  nous  est  de 
recourir  aux  sources  déjà  souvent  citées  pour  achever  l'his- 
toire de  la  destruction  de  Liège. 

Louis  XI,  dit  Olivier  de  la  Marche,  s'écria  :  Vive  Bour- 
gogne !  et  donna  par  là  le  signal  du  pillage  (1).  Cependant, 
Charles  le  Téméraire  se  dirigeait  vers  la  cathédrale  de 
Saint-Lambert,  non  pour  sauver  les  malheureuses  victimes 
qui  s'y  étaient  réfugiées,  mais  bien  les  reliques.  Toutes  les 
autres  églises  furent  dépouillées,  et  inondées  par  le  sang 
des  fugitifs  qu'on  y  massacrait.  Le  pape  excommunia  dans 
la  suite  ceux  qui  ne  restituèrent  pas  aux  églises  les  objets 
qu'on  en  avait  enlevés  (2). 

(t)  Collection  de  Mémoires,  t.  X,  p.  289. 

(2)  *  Par  ses  lettres  datées  de  Bruxelles,  le  26  décembre  1468,  le  duc 
Charles  ordonna  à  lous  ses  officiers  de  faire  restituer  aux  églises  de  Liège  les 
objets  qui  en  avaient  été  enlevés  par  ses  soldats.  11  publia  à  nouveau,  en 
l'amplifiant,  cet  ordre,  le  22  mai  1467  (Charte  de  la  collégiale  S'-Martin,  aux 

14 


—  106  — 

La  soldatesque  bourguignonne  se  livra  sans  frein  au  viol, 
au  pillage,  à  l'incendie  :  elle  n'épargna  pas  même  les  prêtres 
qui  tenaient  dans  leurs  mains  le  saint  Sacrement  des 
autels.  Enfin,  de  toute  cette  population  de  Liège,  si  nom- 
breuse, il  ne  resta  en  vie  que  quelques  femmes,  des  enfants, 
des  prêtres,  des  religieuses,  des  vieillards.  Charles  fit  pré- 
cipiter dans  la  Meuse  les  habitants  arrachés  de  leurs 
maisons  et  qui  n'avaient  pas  de  quoi  payer  leur  rançon. 
Mais  c'est  à  ceux  qui  avaient  décrété  la  mort  de  Jean  le 
Charpentier  qu'il  infligea  les  plus  cruels  supplices  (1). 

Lorsque  le  pillage  fut  achevé,  on  fit  venir  quatre  mille 
habitants  du  Limbourg  qui  reçurent  l'ordre  de  jeter  bas  les 
murailles  de  la  Cité  et  de  combler  les  fossés  avec  les 
décombres,  puis  de  mettre  le  feu  à  la  ville,  en  ayant 
soin,  toutefois,  d'épargner  les  églises  et  environ  trois  cents 
maisons  habitées  par  des  chanoines  et  des  prêtres.  Cet  ordre 
fut  exécuté  à  la  lettre.  Plus  tard,  beaucoup  de  fugitifs 
revinrent  se  cacher  dans  ces  demeures,  et  une  nouvelle 
ville  ne  tarda  pas  à  sortir  des  ruines  de  l'antique  Cité 

Pendant  ce  temps,  Charles  le  Téméraire  donnait  des 
fêtes  en  l'honneur  de  son  royal  prisonnier,  qui,  après  un 
séjour  de  cinq  ou  six  jours  au  milieu  des  débris  fumants  de 
cette  ville  de  Liège  dont  il  avait  lui-même  fait  jaillir  la 
première  étincelle,  il  l'autorisa  à  rentrer  dans  ses  états.  Il 
s'en  alla  la  honte  au  front,  pour  devenir  un  objet  de  risée 
même  de  la  part  de  ses  propres  sujets  (21. 

archives  de  l'Etat  à  Liège,  n°  272).  C'est  en  vertu  de  cette  ordonnance  que  fui 
sans  doute  dressée  la  Liste  de  ces  objets,  que  j'ai  publiée  en  1-468  dans  les 
Ditll.  de  Vlnst.  archéol.  liégeois. 

(1)  Philippe  de  Commines,  l.  c.,  t.  XI,  p.  509.  —  *  Cfr.  les  Annales  île 
VAe.ad.  iVarchéol.  de  Belgique,  I.  c,  pp.  G69  et  suiv. 

(2)  '  Louis  XI  quilla  Liège  le  2  novembre,  Charles,  le  9.  Hcrben  us  résume  les 
sentiments  de  tous  les  chroniqueurs  sur  le  compte  Je  Louis  XI,  en  disant  : 


—   107  — 

Charles,  lui,  reprit  sa  campagne  de  vengeances.  Par  les 
froids  rigoureux  du  mois  de  novembre,  il  s'en  alla  dans  le 
pays  montagneux  de  Franchimont  pour  y  continuer  les 
scènes  de  carnage  inaugurées  à  Liège;  tous  les  campagnards 
qui  ne  réussirent  pas  à  se  sauver  dans  les  bois  furent 
massacrés,  toutes  les  maisons  furent  pillées  puis  brûlées. 
Il  détruisit  les  forges,  qui  constituaient  le  plus  grand 
élément  de  la  prospérité  des  Franchimontois.  Ces  braves 
gens  avaient  prêté  à  Liège  l'appui  de  leurs  bras,  il  fallait 
qu'ils  payassent  par  la  mort  et  la  ruine  leur  généreux 
dévouement.  Ainsi  l'incendie  et  le  pillage  apaisaient  la  soif 
de  vengeance  de  Charles,  tandis  que  ses  cruels  soldats 
recueillaient  un  riche  butin  (i). 

Tel  fut  l'épouvantable  dénouement  de  ce  sanglant  épi- 
sode. Toutefois,  l'histoire  doit  être  juste  envers  Charles  : 
si  elle  doit  porter  le  jugement  le  plus  sévère  sur  la  cruauté 
qu'il  déploya  dans  cette  expédition,  elle  n'oubliera  pas  que 
les  Liégeois  n'avaient  jamais  respecté  aucune  paix,  tenu 
aucune  promesse  ;  que  pendant  quatre  années  consécutives 
il  avait  du  se  mettre  en  campagne  pour  les  faire  rentrer 
dans  le  devoir  ;  qu'il  lui  avait  fallu  souffrir  leurs  railleries 
et  supporter  tout  espèce  de  dommages  ;  enfin,  qu'il  ne 
pouvait  espérer  de  vivre  en  paix  avec  eux  ,  même  en 
concluant  des  traités,  aussi  longtemps,  du  moins,  que  le 
méprisable  Louis  de  Bourbon  aurait  occupé  le  siège  épis- 
copal  de  Liège. 

«  Quod  cunctis  mortalibus  indignissimum  visum  est,  rex  adversus  tam  fidèles 
clientes...  hostis  accessit.  »  Dans  de  Ram,  p.  360.  Cfr.  Ange  de  Viterbe, 
col.  U50. 

(i)  Olivier  de  la  Marche  et  Phil.  de  Commines,  l.  c.  ;  Jean  de  Troyes, 
Coll.  de  Mémoires,  t.  XIU,p.  387  et  suiv. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages . 

Introduction i 

Examen  des  sources vu 

Renseignements  que  fournissent  les  chroniqueurs  sur  Onu- 

frius 

Avant-propos 1 

Comment  M.  Estrup  a  trouvé  et  utilisé  les  Commentaires 

d'Onufrius 1 

Son  opinion  sur  le  légat 3 

La  cour  de  Rome  répugne  à  accorder  l'investiture  de  l'évê- 
ché  de  Liège  à  Louis  de  Bourbon  parce  qu'elle  craint 
la  sécularisation  que  semblait  poursuivre  le  duc  de 

Bourgogne 4 

Description  de  la  ville  de  Liège 4 

Le  pays  de  Liège  convoité  par  les  ducs  de  Bourgogne  ...  6 

Les  Liégeois  craignent  et  haïssent  les  Bourguignons     ...  6 

Relations  de  Jean  de  Heinsberg  avec  les  ducs  de  Bourgogne,  fi 
Philippe  le  Bon  promet  au  pape  des  secours  contre  les  Turcs 

et  obtient  la  confirmation  de  Louis  de  Bourbon   ...  7 

Caractère  de  Louis  de  Bourbon    . 7 

Il  entre  dans  les  vues  du  duc  de  Bourgogne .  7 

Griefs  des  Liégeois  contre  Louis 7 

L'archidiacre  Robert  gagné  par  Louis  à  ses  projets  de  sécu- 
larisation    8 

Force  des  Liégeois  puisée  dans  leur  système  communal    .    .  8 

Ils  comptent  sur  l'appui  des  rois  de  France 8 


—   110  — 

Pages. 

Leur  turbulence  et  leur  orgueil 9 

Attitude  insouciante  de  l'empereur 9 

Hostilité  entre  les  Liégeois  et  leur  évêque 9 

Louis  de  Bourbon  jette  l'interdit  sur  la  Cité  et  va  s'établir  à 

Huy 9 

Il  est  remplacé  par  Marc  de  Bade 9 

Le  pape  Pie  II  envoie  Pierre  Ferrici  à  Liège 10 

Les  Liégeois  s'emparent  de  Rbeidt 10 

Paul  II  rend  une  sentence  favorable  à  l'évêque 11 

Analyse  de  la  Pauline  (23  décembre  1465) 11 

Politique  de  Louis  XI  ;  sa  guerre  avec  le  duc  de  Bourgogne.  12 

Il  excite  les  Liégeois  contre  les  Bourguignons 13 

Les  Liégeois  battus  à  Montenacken  (20  octobre  1465).    ...  13 
Les  comtes  de  Horne  et  de  Meurs  obtiennent  de  Philippe  le 

Bon  la  paix  de  Saint-Trond  (22  décembre  1465)    ...  13 
Analyse  de  cette  paix  qui  met  en  quelque  sorte  Liège  à  la  dis- 
position du  duc  de  Bourgogne 14 

Dinant  exclue  de  la  paix 15 

Paix  de  Conflans  entre  le  roi  de  France  et  le  duc  de  Bour- 
gogne (5  octobre  1465) 16 

Destruction  de  Dinant 16 

Désaccord  entre  Louis  de  Bourbon  et  les  Liégeois  au  sujet  de 

la  paix 17 

Démarches  inutiles  du  duc  de  Bourgogne  auprès  de  l'évêque 

pour  amener  un  accord  avec  les  Liégeois 18 

Philippe   le  Bon  demande  au  pape  de  ratifier  la  paix  de 

Saint-Trond 18 

Mort  de  Philippe.  Charles  le  Téméraire,  duc  de  Bourgogne.  19 
Le  pape  refuse  de  ratifier  la  paix  de  Saint-Trond,  préjudi- 
ciable à  la  juridiction  de  l'Eglise .  19 

Il  envoie  Onufrius  à  Liège 19 

Les  Liégeois  assiègent  Huy  pour  ramener  l'évêque  à  Liège    .  20 
Louis  de  Bourbon  se  réfugie  à  la  cour  du  duc  de  Bourgogne  .  20 
Charles  déclare  la  guerre  aux  Liégeois  et  s'empare  de  Saint- 
Trond    20 

Protestation  de  Louis  XI  qui  déclare  les  Liégeois  ses  alliés  .  20 

Charles  envahit  le  pays  de  Liège 21 

Les  Liégeois  sont  vaincus  à  Brusthem  (28  octobre  1467).    .    .  22 

Charles  assiège  Liège 23 


—  111  — 

Pages. 

Division  entre  les  Liégeois;  ils  remettent  les  clefs  de  la  ville 

à  Charles 23 

Raes  de  Heers  et  les  bourgeois  hostiles  à  l'évêque  quittent  la 

Cité 23 

Cruelle  sentence  du  duc  de  Bourgogne  (18  novembre  1467).    .  24 

Raes  de  Heers  et  ses  partisans  sont  bannis 24 

Vaine  protestation  de  Louis  de  Bourbon  et  du  clergé  liégeois 

contre  les  articles  préjudiciables  à  l'Eglise 25 

Exactions  du  duc 26 

Exactions  de  son  lieutenant  Humbercourt 27 

Paul  II  mande  à  Onufrius  de  se  rendre  à  Liège 27 

Ses  pouvoirs 28 

Son  itinéraire 28 

Sa  réception  à  Liège 29 

Il  constate  que  la  désunion  n'existait  pas  seulement  entre  les 
bourgeois  et  leur  évoque,  mais  aussi  en  partie  entre 

celui-ci  et  le  clergé 30 

Il  lève  l'interdit 30 

onufrius  écoute  les  griefs  des  Liégeois  contre  le  duc  de  Bour- 
gogne       31 

Il  se  rend  à  Bruges  auprès  de  Charles 31 

Il  expose  les  griefs  des  Liégeois 32 

Retards  apportés  à  la  réponse  du  duc 33 

Noces  de  Charles  avec  Marguerite  d'York 33 

Son  voyage  en  Hollande 34 

Onufrius  se  rend  à  Bruxelles 34 

Il  essaie  en  vain  de  détourner  Charles  de  faire  la  guerre  à 

Louis  XI 35 

Charles  demande  la  ratification  de  la  paix  de  Saint-Trond    .  35 

Louis  de  Bourbon  appelé  à  Bruxelles  ;  conférences  ....  35 

Colère  de  Charles  contre  le  légat  et  l'évêque 36 

Onufrius  rentre  à  Liège -    ...  37 

Ses  conférences  avec  le  clergé  ;  attitude  de  celui-ci  ....  37 

Adroite  diplomatie  d'Onufrius 38 

Raes  de  Heers  et  ses  partisans  s'emparent  de  la  Cité  (9  sep- 
tembre 1468) 39 

Ils  sont  soutenus  sous  main  par  Louis  XI 39 

Colère  de  Charles  contre  les  Liégeois  et  Louis  XI 39 

Position  critique  d'Onufrius  à  Liège  ;  son  courage    ....  40 


-   112  — 

Pages. 

Il  engage  les  insurgés  à  rentrer  dans  le  devoir .41 

Pourparlers  à  S'-Jacques  entre  Amel  de  Velroux  et  Onufrius.  42 
Le  légat  consent  à  aller  trouver  Louis  de  Bourbon  à  Maes- 
tricht,  avec  des  députés  Liégeois,  pour  implorer  leur 

pardon 42 

Entreprise  hostile  des  seigneurs  d'Argenteau 43 

Conférences  entre  les  proscrits  et  l'évêque;  médiation  d'Onu- 

frius 43 

Conditions  posées  par  Louis  à  son  pardon 44 

Dévouement  d'Onufrius  pour  les  Liégeois 44 

Les  proscrits,  retournant  à  Liège,  sont  faits  prisonniers  par 

les  seigneurs  d'Argenteau .  45 

Le  légat  accusé  de  trahison  par  les  Liégeois  ;  son  zèle  pour 

la  paix 45 

Onufrius  commence  à  se  défier  de  Louis  de  Bourbon     ...  45 

Position  critique  du  légat 46 

Il  engage  les  Liégeois  à  accepter  les  conditions  de  l'évêque  .  47 

Assemblée  populaire  sur  le  Marché 47 

Déclaration  des  proscrits 48 

Onufrius  porte  cette  déclaration  à  l'évêque 49 

Ses  conseils  pacifiques.  Nouvelles  propositions  de  Louis    .    .  50 

Condescendance  des  proscrits 50 

Obstination  et  duplicité  de  Louis 51 

Indignation  et  menaces  de  rupture  d'Onufrius 51 

Les  Liégeois  acceptent  les  propositions  de  Louis 51 

Un  arrangement  est  convenu  et  doit  se  conclure  à  Vivegnis .  52 
Louis,  sur  l'injonction  du  duc  de  Bourgogne,  élude  sa  pro- 
messe   52 

Onufrius  va  le  trouver  à  Milieu  et  l'accable  de  reproches  (28 

septembre  1468) 53 

Louis  cède  à  ses  menaces  et  fixe  son  retour  à  Liège  ;  allé- 
gresse des  Liégeois 54 

Nouvelle  tergiversation  de  Louis 54 

Conduite  adroite  du  légat  pour  calmer  les  Liégeois  ....  55 
Louis  n'agissait  que  d'après  les  ordres  de  Charles  le  Témé- 
raire    55 

Humbercourt  envahit  le  territoire  liégeois 56 

Les  Liégeois  accusent  de  nouveau  Onufrius  de  trahison    .    .  56 
Ils  reconnaissent  son  dévouement  et  le  prient  d'aller  trouver 

l'évêque  à  Tongres 57 


—   113  — 

Pages. 

Rencontre  d'Onufrius  et  de  Louis  ;  celui-ci  lui  montre  une 

lettre  de  Charles 57 

Le  légat  lui  reproche  sa  faiblesse 58 

Louis  refuse  d'agir  contrairement  aux  ordres  du  duc    ...  58 
Humbercourt  arrive  à  Tongres  ;  il  engage  Onufrius  à  se 

joindre  à  lui  contre  les  Liégeois 59 

Refus  énergique  du  légat 60 

Nouvelles  de  Péronne;  bruit  de  paix  entre  Louis  XI  et  le  duc 

Charles .60 

Jean  de  Bergues  intervient  en  faveur  des  Liégeois    ....  61 
Les  Liégeois  surprennent  Tongres  pendant  la  nuit  et  s'em- 
parent de  l'évêque  (8-9  octobre  1468)     62 

Noble  conduite  d'Onufrius 63 

Déclaration  de  Jean  de  Wilde 64 

Démonstrations  pacifiques  des  Liégeois  envers  leur  évèque  .  65 
Situation  de  Humbercourt  ;  conduite  généreuse  de  Jean  de 

Wilde  à  son  égard 65 

Ces  nouvelles  transmises  à  Péronne  ;  colère  de  Charles    .    .  66 

Louis  de  Bourbon  ramené  à  Liège 67 

Conduite  charitable  d'Onufrius  envers  l'archidiacre  Robert  .  67 

Allégresse  des  Liégeois  au  retour  de  Louis 68 

Les  rapports  du  légat  saisis  et  remis  au  duc  Charles     ...  68 

Message  secret  de  Louis  XI  aux  Liégeois 68 

Soumission  des  Liégeois  à  leur  évêque 69 

Assassinat  de  l'archidiacre  Robert 69 

Indignation  et  menaces  d'Onufrius 70 

Thibaut  de  Neufchàtel  envahit  le  territoire  liégeois  ....  71 

Humbercourt  et  Jean  de  Bergues  travaillent  à  la  paix  ...  71 

Onufrius  leur  envoie  des  députés 72 

Le  légat  et  Humbercourt  engagent  les  Liégeois  à  faire  leur 

soumission  au  duc 72 

Déclaration  désespérée  des  bannis 73 

Le  bourguignon  Pierre  de  Hagenbach  envoyé  à  Liège  pour 

négocier 74 

Son  attitude  conciliatrice 74 

Propositions  pacifiques  des  Liégeois 75 

Le  maréchal  de  Bourgogne  repousse  toute  proposition  d'ac- 
commodement      75 

Les  Liégeois  décident  Onufrius  à  se  rendre  auprès  de  Charles 

le  Téméraire 75 


-  114  - 

Pages. 

Embuscade  tendue  au  légat 75 

Projet  de  l'évêque  de  s'enfuir  de  Liège 76 

Reproches  que  lui  adresse  le  légat 76 

Le  duc  Charles  envoie  son  secrétaire  à  Onufrius 77 

Crisgnée  livré  aux  flammes  par  les  Bourguignons    ....  77 
Retour  à  Liège  d'Altfast,  chapelain  d'Onufrius,  avec  un  mes- 
sage   77 

Sentiments  de  Charles  à  l'égard  du  légat.  Calomnies  répan- 
dues sur  le  compte  de  celui-ci 78 

Conduite  prudente  d'Onufrius,  sages  conseils  qu'il  donne  aux 

Liégeois. 79 

Ce  qu'aurait  voulu  Louis  de  Bourbon 79 

Les  Liégeois  méprisent  les  conseils  d'Onufrius  et  d'Altfast    .  80 
Avis  donné  par  Altfast  au  légat  de  la  part  de  Charles,  d'aban- 
donner les  Liégeois 80 

Les  Liégeois  attaquent  les  Bourguignons,  à  Lantin  (22  octobre)  81 
Ils  sont  battus.  Désarroi  dans  la  Cité.  Embarras  de  Bourbon 

et  d'Onufrius 82 

On  décide  qu'une  ambassade  composée  de  Louis,  d'Onufrius, 
d'Amel  de  Velroux,  de  Jean  de  Wilde  et  d'autres  se 

rendra  auprès  de  Charles 83 

Départ  de  l'ambassade  (23  octobre) 84 

Jean  de  Wilde  retourne  à  Liège 85 

Incendie  de  Xhendremael 85 

Bourbon  et  Onufrius  se  dirigent  sur  Maestricht 85 

Ils  arrivent  au  camp  bourguignon,  à  Othée 86 

Projet  bien  arrêté  de  Charles  de  détruire  Liège 86 

Le  seigneur  d'Arguel  déclare  le  légat  prisonnier 87 

On  le  dépouille.  Ses  protestations 88 

L'évêque,  le  légat  et  les  députés  appelés  à  une  entrevue  avec 

le  maréchal  de  Bourgogne 88 

Vues  intéressées  d'Arguel  sur  le  légat 89,91 

Projet  bien  arrêté  des  Bourguignons  de  prendre  Liège.    .    .  89 

Questions  du  maréchal. 89 

Réponses  dignes  et  sages  d'Amel  de  Velroux  et  du  légat    .    90,91 

Efforts  de  Humbercourt  pour  amener  la  paix 91,94 

Les  Liégeois  se  soumettent.  Conditions  du  maréchal ....  91 
Le  légat  et  l'évêque  se  retirent  à  Fooz,  dans  le  camp  de  Hum- 
bercourt      92 


—   115  — 

Pages. 

Les  Bourguignons  s'avancent  vers  Liège  ;  leurs  forces  ...  92 

Charles  mande  l'évêque  et  Humbercourt  à  Momalle.    ...  93 

Réponse  des  Liégeois  aux  propositions  du  maréchal.    ...  93 

Humbercourt  infidèle  à  sa  promesse 94 

Lettre  d'Onufrius  à  Charles  pour  se  plaindre  d'Arguel  ...  94 
Sortie  nocturne  des  Liégeois  pour  s'emparer  de  l'évêque  à 

Fooz 95 

Ils  sont  repoussés 95 

Réponse  de  Charles  à  Onufrius;  il  lui  fait  rendre  ses  bagages.  96,101 

Onufrius, accompagné  de  deux  hérauts,  se  rend  à  Maestricht.  96 

Ce  que  les  Bourguignons  craignaient  de  sa  part 97 

L'armée  Bourguignonne  en  face  de  Liège 98 

Faiblesse  de  Louis  de  Bourbon .  98 

Explication  de  la  conduite  de  Charles 98 

Les  Bourguignons  attaqués  la  nuit  par  les  Liégeois  à  St-Léo- 

nard 99 

Mot  d'ordre  des  Liégeois 99 

Ils  sont  repoussés  avec  perte 100 

Mort  de  Jean  de  Wilde 100 

Arrivée  de  Charles  à  Ste-Walburge  avec  Louis  XI    ...    .  101 

Nouvelles  propositions  pour  la  paix 101 

Conditions  inacceptables  du  duc 102 

Entreprise  héroïque  des  Liégeois  et  des  Franchimontois  .    .  102 

Elle  échoue.  Vœu  de  Charles  le  Téméraire 103 

Fausses  ouvertures  pour  la  paix 104 

La  ville  de  Liège  prise  par  les  Bourguignons 104 

Massacres  et  pillage 104-105 


I 


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BRIEF 

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